Sortir du cadre pour réaliser son rêve de vie autonome
Comme tout un chacun, les jeunes adultes présentant une déficience intellectuelle souhaitent vivre dans leur appartement. Pour eux, le chemin pour accéder au logement est semé d’obstacles. Comment les surmonter ?
Par Lidia Gerace, formatrice au SFVA, Line Lachat, cheffe de service au SFVA, et Etienne Blanc, chef de projet à Handiloge, Pro Infirmis Vaud
Nombre d’entre nous avons eu l’occasion un jour d’entrer pour la première fois dans son propre appartement. Cette étape de vie est souvent synonyme d’instants mémorables allant de la remise des clés à la perplexité devant une machine à laver inconnue, en passant par le plat de pâtes au Maggi®. Les jeunes adultes présentant une déficience intellectuelle ont les mêmes rêves d’indépendance que tout un chacun, mais pour eux, les obstacles se multiplient tant au niveau personnel qu’au niveau environnemental. Dès lors, la réalisation d’un tel projet demande volonté, persévérance et affirmation de soi.
Un premier obstacle touche à nos représentations sociales, une personne ayant une déficience intellectuelle peut-elle prétendre à son propre logement ? Comment se comporte-elle et comment dois-je m’adresser à elle ? Va-t-elle avoir un comportement gênant ? Que comprend-elle quand on lui parle ? Va-t-elle provoquer des conflits dans le voisinage ?
Si historiquement, la tendance était l’institutionnalisation des personnes en situation de handicap, ces dernières années, l’offre des établissements socio-éducatifs (ESE) s’est élargie au-delà des murs (foyers décentralisés, appartements protégés, etc.). Ce mouvement répond aux axes prioritaires du Plan Stratégique Handicap 2011. En effet, l’Etat de Vaud souhaite d’avantage mettre l’accent sur la diversification de l’offre favorisant une pleine participation sociale et le développement d’alternatives au placement en ESE.
Un parcours d’apprentissage sur trois ans
Le Service de formation à la vie autonome (SFVA) a anticipé ce nouveau cadre étatique il y a 16 ans. Partant du principe que certaines compétences, développées habituellement de manière informelle nécessitent un apprentissage et un entraînement pour des personnes présentant une déficience intellectuelle, le service propose un parcours d’une durée de trois ans. Alliant formations collectives et apprentissages de terrain, les apprenants passent par un processus de prise d’indépendance progressive. Parallèlement, il s’agit de co-construire un projet de vie solide et réaliste avec l’apprenant et son réseau. Selon une évaluation menée en 2014 sous la supervision de l’IDHEAP [1], 87% des apprenants diplômés par le SFVA vivent ensuite dans leur propre appartement avec une aide légère, soit un maximum de 4 heures d’accompagnement hebdomadaires. Ce soutien est renforcé par une nouvelle prestation née au mois d’août 2016, la Formation+. Il s’agit, pour apprenants diplômés, d’un dispositif de formation continue visant le maintien des compétences acquises. Parallèlement, l’évaluation a montré que ces projets sont viables sur le long terme, dont certains depuis maintenant 14 ans.
Maxime [2] est l’un d’entre eux. Il travaille dans un atelier de conditionnement de la région lausannoise. Durant ses temps libres, il se passionne pour le Japon et s’exprime par la peinture. Il rencontre notamment des difficultés de représentation dans le temps, ce qui le handicape dans la planification de ses occupations (ponctualité, organisation de ses rendez-vous médicaux et de loisirs). De plus, ce jeune homme se fatigue vite et a besoin de beaucoup de repos. Dans le cadre de sa formation au SFVA, Maxime a réalisé des progrès insoupçonnés qui valident son projet de vie indépendante. Il utilise méthodiquement son agenda, entretient des relations joviales avec les voisins et prépare avec soin des sushis pour ses proches. Au terme de sa formation, il a acquis les compétences et ressources nécessaires pour vivre dans son propre logement et l’étape suivante consiste en la recherche d’un appartement dans la région lausannoise.
Dès lors, Maxime se confronte au même défi que nombre de Vaudois, trouver un appartement sur l’arc lémanique. En effet, selon le portail statistique du canton de Vaud , le taux de vacance était de 0.7% au 1er juin 2015 avec une situation encore plus tendue pour les appartements de 1 à 3 pièces pour lesquels le taux varie entre 0.4 et 0.5%.
Comme obstacle supplémentaire, en qualité de bénéficiaire d’une rente de l’assurance-invalidité et du régime des prestations complémentaires, Maxime doit se trouver un appartement dont le loyer mensuel est d’au maximum CHF 1’100.00, charges comprises. Ce montant lui offre un choix limité d’appartements dans la région lausannoise. La pratique des gérances qui exigent que le loyer ne dépasse pas un tiers du revenu de la personne rend la recherche encore plus ardue. La prise en compte des seules rentrées financières nettes ne correspond pas à la réalité des bénéficiaires des prestations complémentaires. Ce régime permet en effet un allégement de certaines charges (assurance maladie, impôts, transports, etc.).
Maxime rêvait d’un bel appartement de deux pièces avec balcon au centre-ville dans lequel il pourrait peindre et recevoir ses amis. Il espérait qu’il soit suffisamment proche de son lieu de travail et des commodités pour ne pas s’épuiser dans les transports publics. Malgré une formation de trois ans à la vie autonome, des lettres de soutien détaillant sa situation financière et justifiant de ses bonnes mœurs, ainsi que du renfort de ses parents qui se sont portés garants, les recherches sont restées vaines. Maxime a donc baissé ses exigences, se limitant à rechercher un studio situé au maximum à 45 minutes en transports publics de son lieu de travail. Après plusieurs mois de recherches intensives, et malgré le problème de fatigabilité de Maxime, ses parents ont décidé d’élargir encore le temps de déplacement pour arriver à un trajet de 75 minutes, ce qui a permis de prospecter dans la ville où eux-mêmes résident. Un logement a finalement été trouvé en trois semaines et Maxime a dû se résoudre à effectuer de grands trajets pour rester en contact avec son réseau social.
Afin d’éviter que cette situation se reproduise, Pro Infirmis a décidé de sortir du cadre habituel de prestations.
Handiloge ou l’éligibilité à son propre logement
La situation de Maxime n’est de loin pas unique. Afin de répondre à la problématique de l’éligibilité des personnes au bénéfice des prestations complémentaires à leur propre logement, Pro Infirmis a lancé le projet-pilote HandiLoge en novembre 2014. Ce dernier a comme objectif la mise en place d’outils favorisant l’attribution de logement. Il entend également assurer leur maintien dans leur propre logement en complétant l’offre de services existante.
La mise en place d’un partenariat avec une quinzaine d’interlocuteurs du monde immobilier vaudois (gérances, régies et propriétaires institutionnels) a permis de changer les regards sur la problématique. Les gérants d’immeuble n’avaient pas compris la complexité de la structure des revenus des personnes en situation de handicap. De plus, la règle qui veut que les coûts du logement ne dépassent pas le tiers du revenu était appliquée rigoureusement. Comme pour tout dossier, certaines gérances avaient également le souci des « bonnes mœurs du candidat ». Ces préoccupations ont été prises en compte et les partenaires se sont entendus pour examiner les situations particulières.
Avec HandiLoge, les critères de sélection sont basés premièrement sur l’engagement du candidat à respecter le voisinage ainsi que les règles de l’immeuble. Il est sensibilisé au fait que la déficience qu’il présente ne l’exonère pas des obligations d’un locataire lambda. Deuxièmement, sa situation financière doit être « saine » ou viable, autant au niveau du revenu que des poursuites. Afin de clarifier ses revenus pour la gérance, HandiLoge établit un calcul du « salaire équivalent » qui tient compte de tous les revenus, y compris certaines prestations ou gratuités (subside assurance maladie, remboursement frais médicaux, etc.). Ensuite, ce partenariat a prévu une préséance sur des dossiers sélectionnés au préalable. Il s’agit de favoriser un traitement équitable entre le client et les autres prétendants au logement. Il est à souligner que les milieux de l’immobilier ont accueilli ce projet de manière parfois très chaleureuse : la preuve que ces deux mondes que sont le social et l’immobilier, qui de prime abord semblent si différents, peuvent tout à fait collaborer.
Un autre axe pour l’accès au logement a été développé avec le concept du concierge social, ou Concierge+. Le but est de faciliter l’autonomie des clients et leur maintien dans leur logement en offrant des prestations de services complémentaires. En effet, des tâches comme changer une ampoule, monter le courrier, amener les verres vides aux points de collecte, ne sont couvertes par aucun prestataire de soutien à domicile. De plus, un rôle de médiateur pourrait être attribué à ce concierge afin de faciliter les relations entre les personnes en situation de handicap et leurs voisins.
Un facilitateur pour accéder à son logement
HandiLoge a permis la concrétisation d’un idéal de vie pour Sofia et Laurent. Arrivant au terme de leur formation au SFVA, ces derniers ont décidé de vivre en colocation. Ils s’entendent très bien et se rendent de nombreux petits services mais leur souci principal est de rompre le sentiment de solitude qu’ils jugent pesant. Après avoir convaincu leurs familles et curateurs respectifs, une étroite collaboration a dû se mettre en place afin de régler tous les aspects pratiques liés au choix de l’appartement. Il a fallu ensuite gérer l’aspect administratif de cette colocation.
La question principale a été de savoir comment effectuer les démarches auprès des gérances pour signer un bail pour deux adultes bénéficiaires des prestations de l’assurance-invalidité et de mesures de protection. HandiLoge a dû faire preuve d’une écoute attentive et fournir des conseils pour répondre aux questions administratives et aux besoins de chacun. Il s’est également montré actif pour présenter et soutenir le dossier auprès des gérances. Ainsi, le logement de leurs rêves a rapidement été trouvé et le bail signé. Sofia et Laurent vivent aujourd’hui dans leur propre appartement.
HandiLoge a pour ambition d’être un facilitateur au service des personnes face aux obstacles générés par leur situation de handicap. En abordant le problème sous un angle différent, le projet-pilote répond de façon innovante aux difficultés d’accès au logement pour ces personnes et répond au souci étatique et international [3] de permettre à la personne de faire valoir son projet de vivre comme beaucoup d’entre nous, dans un appartement avec un bail à son nom.
[1] Lachat L. (2014), La formation continue comme soutien à la vie en milieu ordinaire ? La situation des apprenants diplômés du Service de Formation à la Vie Autonome Travail de validation du CEMAP, IDHEAP.
[2] Prénom modifié
[3] Art. 19 Convention ONU relatives aux droits des personnes handicapées.