Course d’obstacles d’une coopérative d’habitants
Décider ensemble la façon de construire un habitat solidaire et écolo ! C’est le rêve des coopératives d’habitation. Sa concrétisation n’est pas une aventure de tout repos. Comme en témoigne cette expérience neuchâteloise.
Par Elisabeth Hirsch Durrett, Isabelle Girod, Julien Moeschler, Christopher Richard et Christine Wyss, au nom des membres de la Coopérative d’en face, Neuchâtel
Une demi-douzaine de jeunes couples rêvent d’une autre façon d’habiter à Neuchâtel. Leur envie ? Disposer d’un habitat participatif, solidaire, convivial et respectueux de l’environnement. Ils constituent la Coopérative d’en face (cdef) [1] pour concrétiser ce souhait et mettre à disposition des membres des logements qui répondent à ces valeurs. Aujourd’hui, sept ans plus tard, elle compte une soixantaine de personnes de 0 à 75 ans et 21 appartements sont prévus. Le chantier a démarré en octobre 2017 et se terminera en 2019.
En 2011, le groupe est constitué de personnes passionnées, prêtes à mettre en commun leurs compétences et à donner une grande part de leur temps à l’aventure. Il se dote d’une charte dont les divers articles servent de fil rouge à toute la démarche. Et à cet article.
En premier lieu, le projet se veut participatif et il invite donc les membres à être acteurs et actrices des processus décisionnels. Il encourage la prise en charge partagée de tous les aspects de la vie de la coopérative. Très rapidement, il faut s’informer et documenter des questions techniques complexes et financièrement risquées. Puis prendre des décisions ensemble sur les options. Certains s’en vont, d’autres rejoignent le Conseil d’administration et participent aux assemblées. Si une grande famille quitte le bateau, parce qu’elle a par exemple trouvé un logement entre temps et ne peut plus envisager un nouveau déménagement, il faut «recruter» un autre groupe familial de taille similaire. Ce n’est pas toujours simple. Le temps passant, de nouvelles personnes rejoignent les rangs, amenant de nouvelles compétences. Rien de figé donc !
Les premières réactions des voisins
Un plan de construction en pleine ville se confronte inévitablement à la proximité d’habitations existantes et affecte le caractère du quartier. Le terrain situé sur les anciennes serres publiques appartient à la Ville de Neuchâtel. Il a été cédé en droit de superficie à la cdef qui sera propriétaire des logements mais qui doit respecter les engagements pris par les autorités.
Pour encourager et soutenir cette démarche innovante, la Ville a en effet accordé un soutien financier à la cdef. Par ailleurs le projet prévoit de conserver la maison vigneronne et de rénover et transformer les anciens bûchers de la parcelle. L’Association de quartier est, de plus, très présente pour surveiller le respect du cadre négocié.
Ce cadre a finalement imposé la surface, le volume et la hauteur du bâtiment. Des rencontres sur le terrain, avant le début de la construction, ont été organisées à l’intention des voisins. Les oppositions ont d’abord été vives. Les uns et les autres se font à présent davantage confiance sur le processus de suivi mis en place. Les diverses contraintes citadines et architecturales ont diminué le nombre de logements et augmenté d’autant le prix des loyers. Certains membres ont alors renoncé à poursuivre l’aventure et quitté la coopérative. Là encore, d’autres personnes sont arrivées pour reprendre le flambeau.
Solidarité et convivialité au quotidien
La notion de solidarité, clairement précisée dans la charte, imprègne le projet. Le nouvel habitat doit favoriser le lien et l’entraide entre personnes de générations et/ou de cultures différentes. Les vingt-et-un logements vont du 5 pièces au studio et s’adressent aussi bien aux familles qu’aux personnes seules. Cette solidarité s’est concrétisée puisque les coopératrices et les coopérateurs appartiennent à toutes les tranches d’âge.
Quant au principe de convivialité, lui aussi affirmé dans la charte, il s’est notamment concrétisé dans la distribution des espaces. Malgré les redimensionnements, la salle commune a été préservée et la cour devant l’immeuble sera aménagée pour que toutes et tous en profitent dès la belle saison. Le projet de chambre d’ami·e collective a en revanche dû être abandonné. Il faudra trouver d’autres solutions : prêts de chambres temporairement inoccupées pour accueillir des visiteurs, utilisation d’appartements durant les vacances de leurs locataires, etc.
La convivialité s’est aussi concrétisée par des rencontres informelles. Maintenant que le chantier a démarré, la coopérative a organisé une rencontre mensuelle dans un lieu associatif de Neuchâtel pour permettre aux membres de se retrouver de manière festive, en dehors des assemblées générales. C’est aussi l’occasion pour des personnes intéressées de venir s’informer et de faire connaissance avec les coopérateur·trice·s.
Respect de l’environnement et mobilité douce
Pour que le projet soit respectueux de l’environnement, il doit viser à minimiser son empreinte écologique autant dans l’infrastructure que dans son utilisation quotidienne. Le nouvel immeuble répond donc aux normes Minergie P et privilégiera plusieurs formes d’économies d’énergie. Le chauffage à distance est intégré et des panneaux solaires occuperont le toit du nouveau bâtiment.
Autour du site, des arbres fruitiers d’espèces anciennes et robustes vont être plantés et les habitants bénéficieront, avec les voisins du quartier, d’un jardin public aménagé dans le même esprit sur le terrain attenant.
Un point délicat de toute coopérative ? La mobilité ! A Neuchâtel, les futurs habitants s’engagent à ne pas avoir de voiture individuelle sur le site. Le terrain est situé en pleine ville et offre un accès aisé aux transports publics. Il est à 5 minutes à pied de la gare et à 3 minutes du bus qui mène au centre-ville. La cdef disposera aussi d’un grand garage à vélos, poussettes ou charrettes et il y aura un peu de place dans la cour pour y laisser momentanément sa bécane. Ce principe de la mobilité douce a pourtant lui aussi posé des questions complexes. A noter toutefois que trois places de parc adjacentes permettront de prévoir un ou deux véhicules à partager, voire une place Mobility.
La qualité de vie : privée et collective
La coopérative n’est pas une communauté, mais elle souhaite favoriser l’équilibre entre vie privée et vie collective en offrant des espaces agréables à vivre. Chaque famille, chaque couple ou personne seule aura son appartement ou son studio [2]. Les appartements bénéficient chacun d’une loggia donnant un accès privé à l’extérieur. En même temps, le mode de vie est doté de caractéristiques collectives. La salle commune permettra de se réunir occasionnellement, de manger ensemble et donnera la possibilité aux enfants comme aux adultes de se rencontrer selon leurs envies. Elle pourra également être mise à disposition pour des activités de quartier ou pour des réunions associatives.
La cour sera le lieu extérieur communautaire. Il est prévu de l’aménager de manière à s’y retrouver, y manger ensemble, jouer. Au fil du temps, de nouvelles idées émergent pour créer d’autres lieux collectifs si cela s’avère possible, comme aménager un atelier de bricolage/réparations en mettant des outils en commun, créer une bibliothèque commune dans les cages d’escaliers…
Une bonne dose de persévérance
La structure participative permet certes de se soustraire à la spéculation immobilière. Mais la construction d’un nouvel immeuble de petite taille au centre-ville, respectant les normes les plus exigeantes en matière énergétique, ainsi que la transformation d’anciens ateliers en appartements coûtent très cher. Les loyers prévus ne sont pas aussi bas qu’initialement escompté et se situent finalement dans la moyenne de ceux pratiqués pour les appartements neufs mis sur le marché à Neuchâtel. La cdef ne va donc pas réellement faciliter l’accès au logement de personnes aux bas revenus, en tous cas durant les premières années de son fonctionnement. C’est une déception, car la mixité sociale visée ne sera pas réalisée.
Malgré ces difficultés et ces renoncements, une coopérative d’habitant·e·s est un projet enthousiasmant et l’expérience montre qu’il est réalisable dans une ville de taille moyenne comme Neuchâtel. Un engagement sur le long terme d’un noyau de personnes impliquées et déterminées est crucial. Le soutien des autorités locales et la coopération avec les divers services communaux, cantonaux et fédéraux sont indispensables. Ce à quoi il faut ajouter une bonne dose de patience. Dans ce contexte s’ouvre alors la perspective d’une vie plus communautaire, d’une solidarité intergénérationnelle au quotidien et d’une empreinte carbone réduite.
[2] A part pour les studios, le nombre de pièces correspond au nombre d’habitant·e·s plus un : par exemple un trois pièces pour deux personnes. Cette exigence est fédérale pour ce type d’habitat.
Cet article appartient au dossier Habiter ensemble
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Elisabeth Hirsch Durrett, Isabelle Girod, Julien Moeschler, Christopher Richard et Christine Wyss, «Course d’obstacles d’une coopérative d’habitants», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 6 août 2018, https://www.reiso.org/document/3322