Ce qui se joue à la table de la cantine
Comment accompagner des enfants lors de repas collectifs ou pris dans les accueils extrascolaires ? Comment agir avec la néophobie ? Autour d’une même table, la diversité des comportements est un levier pour promouvoir une alimentation saine.
Par Marilyne Seydoux-Perroud, diététicienne ASDD, Nutripassion, Sâles (Gruyère), avec Daoud Rhrib, étudiant, et Fany Chappuis, étudiante, Bachelor Nutrition et Diététique, Genève
Dans le processus d’acquisition de compétences et de savoirs chez l’enfant, la famille est le premier modèle, complétée par les structures scolaires et parascolaires. Selon l’Office fédéral de la statistique, 30% des enfants de 4-12 ans fréquentent ces structures d’accueil [1]. Avec ses pairs, l’enfant va renforcer des compétences psychosociales, alimentaires et physiques [2]. Les repas collectifs jouent un rôle primordial dans la santé de l’enfant. Manger en groupe en dehors de la maison favorise la socialisation par les échanges entre amis, le partage de moments et d’émotions, l’imitation de la conduite d’autres adultes que les parents [3].
L’encadrement de repas collectifs regroupe trois thèmes généraux: éducatif, institutionnel et nutritionnel. C’est l’aspect essentiellement nutritionnel qui est développé dans cet article. Ce thème englobe la connaissance des recommandations alimentaires pour les enfants et sa mise en visibilité dans l’assiette. Chaque enfant exprime ses préférences et ses besoins nutritionnels selon des facteurs individuels, notamment sa culture, son activité physique, ses habitudes alimentaires familiales, ses perceptions sensorielles propres et son développement physique. C’est ici tout l’enjeu de l’accompagnement par des professionnels du social, amenant chacun à être un consommateur individuel dans un environnement collectif respectant des limites institutionnelles.
Un enfant sur six en surcharge pondérale
La proportion d’enfants et d’adolescents souffrant de surcharge pondérale de tous les niveaux scolaires confondus est de 16.4% dont 3.5% d’obésité. Les statistiques suisses de 2010, 2013 et 2017 montrent un recul dans les classes enfantines et primaires, respectivement de 4.7 et 2.6%. Pour le niveau secondaire, une augmentation de 1% est relevée [4]. Dans le cadre de l’étude HBSC de 2018 [5], 17.6% des élèves de 11-15ans consomme au moins 5 portions de fruits et légumes par jour. 53% des élèves consomment des boissons sucrées plus d’une fois par semaine et 25% des chips ou des frites également plus d’une fois par semaine.
Les conséquences d’une alimentation mal régulée pour ces enfants sont multiples. Elles induisent une augmentation des risques à l’âge adulte d’excès pondéral, de troubles alimentaires, de diabète de type 2, d’hypertension et de pathologies cardiaques. Une alimentation dérégulée a aussi des conséquences psychologiques, comme une baisse de l’estime de soi ou une tendance augmentée à effectuer ou subir des comportements de harcèlement (5). C’est un défi de taille pour tous les acteurs qui interviennent de près ou de loin dans l’alimentation des enfants, tels que l’entourage, les professionnels de la santé et du social, les industries agroalimentaires ainsi que la santé publique.
Les partenaires d’un repas collectif
Divers acteurs entrent en jeu dans l’organisation d’une structure de repas collectifs : accueillants, prestataires de repas, parents, responsables d’établissements scolaires et enseignants. La communication entre chaque partenaire est essentielle, l’accueillant étant la pièce centrale. Lors des inscriptions pour l’accueil extrascolaire, les spécificités de chaque enfant doivent être renseignées par les parents afin de valider les différents régimes nécessaires pour l’élaboration des repas. Le prestataire de repas et les accueillants s’adaptent au mieux pour chaque situation. Lorsque des difficultés surviennent, les intervenants engagent un dialogue avec les parents sur les ressources mises en place à domicile pour l’un et dans la collectivité pour l’autre.
Des ressources matérielles incitent l’enfant à faire des liens entre les divers lieux et ainsi se sentir en sécurité autant à l’accueil qu’à la maison. Ces outils se concrétisent par des assiettes ludiques imagées, en sets de table par exemple, des histoires mettant en scène des légumes rendus vivants, des défis de groupe comme jouer l’aventurier pour déguster un mets les yeux bandés. La réalisation de bricolages ciblés sur l’alimentation amène de la réflexion sur les comportements alimentaires ou favorise la détermination de choix, par exemple pour se resservir à table.
Le guide de l’OSAV (3) présente diverses check-lists et pointe les améliorations possibles par des conseils facilitant le dialogue avec les parents, les fournisseurs de repas et les responsables d’établissement scolaire.
La créativité du cuisinier et les recommandations
L’offre alimentaire dépend des prestataires des repas, mais surtout aux valeurs qu’ils accordent à la qualité et à l’équilibre alimentaire. La proposition de labels d’alimentation saine, comme « Fourchette verte » ou des demandes de plusieurs institutions incitent les fournisseurs à adapter leurs offres, notamment en fonction du public cible. De manière indirecte, les réflexes pris en restauration collective par l’enfant influencent les habitudes familiales. L’importance accordée à certains critères pris en compte par le fournisseur de repas diffère: l’aspect saisonnier, la provenance des aliments, la fréquence des aliments gras et sucrés, les portions prévues, la variété et la fréquence de chaque groupe d’aliments, le choix des matières grasses, la présence d’aliments complets, la capacité à renseigner sur les allergènes éventuels. La créativité que le cuisinier met en visibilité dans l’assiette est essentielle dans l’acceptation des enfants à goûter et apprécier.
Les recommandations alimentaires pour un repas de midi se traduisent par une assiette comprenant un tiers de féculents, un tiers de légumes et un quart de protéines, accompagné d’eau du robinet. Cependant, la portion de féculents est très variable selon les besoins et l’activité de l’enfant, la portion de légumes dépend de son acceptation. Il est recommandé de varier les sources de protéines telles que viande, poisson, œuf, tofu, légumineuses, fromage.
La grandeur de la main de l’enfant est un bon indicateur pour visualiser ce que représente une portion selon chaque âge. Le guide de l’OSAV contient des informations claires sur la qualité des repas et les quantités recommandées par la Société suisse de nutrition par tranche d’âge [6]. Il incite les structures à se positionner quant aux améliorations souhaitées et à dialoguer d’une manière bienveillante et constructive avec le fournisseur de repas.
L’individu, le collectif et les néophobiques
Le quotidien des accueillants est partagé entre individualité de l’enfant et nécessité de la collectivité. Une charte, construite par les accueillants et les enfants, prend alors toute son importance. Elle définit des règles et rituels auxquels professionnels et enfants s’engagent. Elle pose des objectifs d’organisation et des limites aux comportements. Chacun a sa part de responsabilité dans le respect de la charte. Par exemple l’accueillant détermine « quand », « quoi » et « où » l’on mange, il assure le bon fonctionnement collectif et assume la référence face aux règles. Encadré et aiguillé par un adulte, l’enfant définit la quantité de ce qu’il mange, soit le « combien », en écoutant et respectant ses sensations alimentaires et se sert lui-même dès l’âge de 5 ans. Encouragé par l’adulte à goûter à tout, l’enfant se sert dans des proportions adaptées à ses goûts et à son appétit. Le gaspillage alimentaire est ainsi diminué. Les enfants sont responsables de leur comportement, par exemple en lien avec le bruit, la tenue à table, les déplacements dans la salle à manger (3).
Ces éléments se heurtent à des difficultés en présence d’enfants ayant des particularités liées à l’alimentation. C’est le cas avec les enfants fortement néophobiques par exemple. Leur opposition répétée au fait de goûter de nouveaux aliments est un obstacle à leur responsabilisation dans ce domaine. Comme 75% des enfants entre 2 et 10 ans traversent cette phase normale de développement du goût, avec une intensité et une durée variable, il convient de lui accorder une attention particulière. La néophobie traduit un besoin à la fois de sécurité et d’autonomie par rapport aux parents. En milieu scolaire, les comportements néophobiques ont tendance à être moins prononcés et à l’inverse renforcés à la maison. L’exemple des pairs et d’autres adultes que les parents facilite une baisse de l’opposition. De plus, la collectivité offre une diversité de repas autres que ceux consommés à la maison. Dans certains cas, une sélectivité alimentaire apparaît sous une forme de phobie sévère et pathologique, perdure à long terme et crée potentiellement un ralentissement de la croissance. L’intervention de professionnels de la santé tels que pédiatres, psychologues, diététiciens, ergothérapeutes, logopédistes est alors nécessaire.
Les besoins de chaque enfant
Chez les enfants souffrant de surcharge pondérale, le renforcement de l’estime de soi, l’accompagnement par la non-culpabilité et le soutien par la responsabilisation sont des attitudes essentielles. Elles diminuent le risque de comportements inadéquats, potentiellement en lien avec des messages stigmatisants ou restrictifs face à la nourriture. Encourager l’écoute des sensations alimentaires pousse à limiter spontanément les apports de l’enfant et à le responsabiliser. Engager une discussion avec les parents sur les observations faites durant les repas et les préoccupations favorise un accompagnement approprié de l’enfant et une amélioration de son bien-être en collectivité.
Les spécificités telles que le végétarisme, le végétalisme, le diabète, les allergies ou les intolérances nécessitent un dialogue entre accueillants et parents afin d’en valider la nécessité, notamment par une prescription médicale. Dans un deuxième temps, les demandes spécifiques de repas font l’objet d’un échange avec le prestataire de repas pour gérer au mieux l’élaboration des menus et connaître ses moyens pour chaque cas. Un diététicien est bienvenu pour soutenir la mise en place de régimes spécifiques. L’accompagnement de ces enfants autour de la table commune se fait dans la discrétion.
Il est important de prendre en compte les besoins de chaque enfant en fonction des possibilités et des exigences de l’établissement pour accorder une alimentation équilibrée à tous les enfants. Des comportements créant une différence entre les individus risquent de mettre l’enfant à l’écart du groupe. Un bon soutien social par l’expérience positive amène à l’épanouissement psychologique et physique de l’enfant (3).
Une posture professionnelle bienveillante
Globalement, une attitude bienveillante aide à gagner la confiance de l’enfant. Une attitude rigide l’empêche de comprendre et d’expérimenter la richesse d’une alimentation saine et variée. L’approche ludique ou par métaphore investit les enfants dans des apprentissages accessibles, notamment dans le cas de la néophobie. Cette approche se traduit concrètement par la mise en scène des aliments, l’intégration de la sensorialité autour de l’acte de manger, la création de préparations culinaires simples et originales pour des goûters, l’intégration de la curiosité et de la découverte autrement que par le fait de goûter.
En tant qu’adulte, prendre conscience des étapes qu’impliquent la mise en bouche d’un aliment inconnu, ou cuisiné différemment qu’à la maison, amène à la compréhension et à l’acceptation des comportements de chaque enfant, et naturellement à une manière d’agir appropriée. Cette posture intègre une notion essentielle dans le développement du goût chez l’enfant, la familiarisation.
La prévention est particulièrement efficace auprès des enfants : les activités collectives favorisent les liens sociaux entre eux. De plus, elles sont l’occasion d’aborder certains sujets comme les comportements à risque, la confiance ou l’équilibre alimentaire (3). Dans le canton de Fribourg comme dans les autres cantons [7], des programmes de prévention intègrent des activités et ateliers originaux et ludiques sur l’alimentation et l’activité physique, et peuvent être sollicités par les structures d’accueil pour des animations.
[1] Office fédéral de la statistique (OFS). Enquête sur les familles et les générations. 2020. En ligne
[2] Addiction Suisse, Lausanne. Promotion de la santé dans les structures d’accueil extrascolaire prenant en charge des enfants de 4 à 12 ans. 2012. Education + santé Réseau Suisse et Addiction Suisse
[3] Conrad Zschaber C., Jost E., Weidmann C., Bender U. & Rytz T. Les repas de midi dans les structures d’accueil pour enfants et adolescents et les restaurants scolaires. 2018. Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV)
[4] Stamm H., Fischer A., Lamprecht M. Monitoring comparatif des données relatives au poids des enfants et des adolescent-e-s en Suisse. Analyse de données collectées dans les cantons de Bâle-Ville, de Berne, des Grisons, du Jura, de Lucerne, d’Obwald, de Saint-Gall et d’Uri ainsi que dans les villes de Berne, Fribourg et Zurich. 2017. Promotion Santé Suisse, Document de travail 41, Berne et Lausanne
[5] Delgrande Jordan M., Schneider E., Eichenberger Y., Kretschman A., Schmidhauser V., Masseroni S. Habitudes alimentaires, activité physique, statut pondéral et image du corps chez les élèves de 11 à 15 ans en Suisse - Résultats de l’étude « Health Behaviour in School-aged Children » (HBSC) 2018 et évolution au fil du temps (Rapport de recherche No 109). 2020. Lausanne. Addiction Suisse.
[6] Société Suisse de Nutrition. L’alimentation des enfants. 2019. En ligne
[7] Promotion santé Suisse. Soutien de projets Programmes d'action cantonaux. 2020. En ligne
Cet article appartient au dossier À table!
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Marilyne Seydoux-Perroud, Daoud Rhrib et Fany Chappuis, «Ce qui se joue à la table de la cantine», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 3 septembre 2020, https://www.reiso.org/document/6310