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Depuis 2018, la journaliste Christine Gonzalez porte le monde des sexualités et du genre à l’oreille des auditeurs et auditrices romandes, sur les ondes de La Première. Une mission de santé publique ?
Depuis 2018, la journaliste Christine Gonzalez porte le monde des sexualités et du genre à l’oreille des auditeurs et auditrices romandes, sur les ondes de La Première. Une mission de santé publique ?
Par Céline Rochat
Christine Gonzalez s’engouffre avec quelques minutes de retard sur la terrasse lausannoise d’un « petit bouiboui sympathique » qu’elle affectionne, situé près de chez elle. Sourire sur le visage, elle déchausse ses lunettes à soleil en s’excusant d’avoir été retenue en séance.
Christine Gonzalez, c’est la voix chaude et chaleureuse que l’on a pu entendre dans les chroniques culturelles de Vertigo, et dont on se délecte lorsque l’on branche Par Jupiter, sur France Inter, le vendredi en fin d’après-midi. Si ce billet-ci n’est pas ouvertement en lien avec la sexualité et le genre [1], la journaliste romande ne manque toutefois pas d’y imprimer ses thèmes de prédilection, ceux qu’elles abordent dans ses émissions Question Q [2] et Question genre [3], diffusées le vendredi entre 21 heures et 22 heures sur RTS La Première.
Ces deux programmes, la professionnelle les a d’abord conçus en termes de service public. Il s’agit, pour elle, de s’adresser et d’intéresser « le plus grand nombre », mission première de la RTS qui se doit de « répondre à une époque » à travers la vulgarisation et la démocratisation de sujets contemporains. « Des chroniques dédiées à la sexualité ont toujours existé, rappelle-t-elle. Ce qui a changé, avec Question Q, c’est que l’émission entière est consacrée à cette thématique. »
Ainsi, durant une heure, discussions, témoignages, chroniques et analyses explorent un sujet en lien avec la sexualité et l’intimité. Dans les épisodes antérieurs, les auditeurs et auditrices ont par exemple pu écouter et s’interroger sur « La nudité en sexualité », « L’asexualité », « L’éducation sexuelle positive en famille », « Les assistant·e·s sexuel·le·s », « La violence sexuelle au sein du couple » ou « Sexualité et autisme ». En consultant la liste des diffusions passées, Christine Gonzalez rit. « On a déjà fait tout ça ! » Les yeux pétillent, signe de bons souvenirs, d’échanges nourris. « Dès le début, nous avons décidé de parler franchement, sans nous prendre trop au sérieux, ni tomber dans la vulgarité. »
Apprendre passe par déconstruire : en acceptant de découvrir et de remettre en question, on ouvre les portes de la compréhension de l’autre et l’on peut renverser les a priori.
L’une des richesses de ce programme réside en effet dans le fait que plusieurs intervenant·e·s se réunissent autour de la table, contribuant ainsi à une approche interdisciplinaire. « Les sexologues et sexothérapeutes amènent le côté scientifique du sujet, alors que les chroniqueurs en proposent un angle plus littéraire, humoristique ou décalé. » Ces différents tons permettent d’aborder toutes les thématiques sans tabous, qu’il s’agisse d’excision, d’homosexualité, de polyamour ou de problèmes d’érection. « L’un des objectifs de Question Q est de tordre le silence, car tout ce qui est passé sous silence est tabou. Or, ce sont les interdits qui font du mal, à soi d’abord, aux autres ensuite. »
Si l’émission n’a pas été pensée en termes de santé publique initialement, Christine Gonzalez accepte volontiers d’y lire une mission en la matière. « Mieux on se connaît soi-même, plus on devient capable d’être ensemble, d’aller vers autrui. Cela représente autant de clés pour la tolérance. » Ces programmes peuvent-ils, dès lors, devenir des ressources pour les professionnel·le·s du travail social et de la santé qui se sentiraient parfois emprunté·e·s ou mal à l’aise dans leurs échanges avec les bénéficiaires ? « On assiste à une conscientisation collective des besoins d’empoigner ces sujets, estime la Fribourgeoise d’origine. Dans les soins, régulièrement, des professionnel·le·s rapportent ne pas savoir comment s’adresser aux gens. Dans l’éducation ou à l’école, les connaissances en matière de sexualités et de genre sont laissées au bon vouloir de chacun·e. Cela doit désormais changer de sphère : il s’agit d’avoir des mots d’ordre politiques, avec l’octroi de moyens pour former les gens. »
À l’évocation de ces enjeux, Christine Gonzalez a le ton qui s’affirme. Elle redresse le torse, le regard devient plus appuyé. Le temps de quelques propos, le sourire s’efface (un peu). « En tant que femme concernée par les questions LGBTIQ, je sais combien la parole des professionnel·le·s compte. Et combien elle peut détruire. » Silence. On semble percevoir en elle le passage de souvenirs peu agréables liés à son orientation sexuelle et affective. « Aujourd’hui, je suis armée, je suis au fait de comment répondre et que faire face à l’homophobie. Mais je sais aussi combien cela peut être compliqué lorsque l’on est jeune et que l’on est harcelé. »
À celles et ceux qui rencontrent des situations difficiles, Christine Gonzalez a envie de lancer des encouragements. « Si c’est possible, bien sûr, et même si ça demande beaucoup d’énergie et de courage, dénoncez ce qui vous arrive. Il existe de nombreuses ressources, diverses manières d’accéder à des professionnel·le·s adéquat·e·s et extraordinaires. » Dans sa lancée, un mot aux parents : « Faites réellement attention où vous envoyez vos enfants et prenez garde à la façon dont vous recevez les propos de votre progéniture. »
La radio, vecteur propice à l’intimité
Pour Christine Gonzalez, véritable amoureuse des ondes et de la parole, le média radiophonique est celui qui se prête le plus à une production du genre de Question Q. « Écouter une émission, ou un podcast, est une expérience très intime. Et cette intimité se trouve encore accentuée lorsque cela passe par des écouteurs. » Sans nécessité de devoir lire un texte ou regarder des images, l’auditeur ou l’auditrice peut garder les yeux fermés pour mieux se concentrer, percevoir les intonations et les émotions, en recevant les mots au creux de l’oreille. « Journalistes, producteurs et productrices avons la chance de pouvoir embarquer les auditeurices directement dans l’intimité d’une histoire, c’est très puissant. L’audio invite à l’intimité, à une conversation de soi à soi. » (CROC)
Pour passer de la parole aux actes, un moyen, encore et toujours : la radio. Avec sa compagne, la journaliste Aurélie Cuttat, Christine Gonzalez a créé Voyage au Gouinistan [4], une réalisation en dix épisodes qui narre leur quotidien, défis et joies, de femmes homosexuelles. Lancé en mars dernier, ce podcast — brillant, touchant et drôle — fait déjà office de précieux outil d’information et de dédramatisation. « Nous comptons de multiples retours et témoignages de personnes jeunes, plus matures, et de parents. Ils et elles nous remercient de contribuer à les rendre visibles ou de leur donner des clés de compréhension. »
L’émotion passée, Christine Gonzalez revient sur la nécessité pour les professionnel·le·s du travail social et de la santé de se montrer bienveillant·e·s et ouvert·e·s en matière de sexualité et de genre. « Les travailleurs et travailleuses sociales ainsi que le personnel de santé représentent une forme d’autorité pour quiconque en connaît le besoin. Le regard posé sur nous par elles et eux s’avère déterminant. En conséquence, ces personnes doivent se montrer particulièrement vigilantes. Une oreille inappropriée, une parole maladroite, une seule, peut marquer, voire briser, une vie. »
Pour la journaliste, il n’existe pas l’ombre d’un doute : cette responsabilité engendre des besoins de formation élevés. « Ces professionnel·le·s doivent pouvoir disposer des outils nécessaires et actuels à l’accompagnement d’autrui, notamment des adolescent·e·s. Mais cela signifie que les politiques saisissent l’urgence de ces sujets et octroie temps et argent à la formation continue. »
Si Christine Gonzalez ne fait pas de politique, elle espère toutefois apporter sa pierre à l’édifice de la tolérance en suscitant la curiosité de celles et ceux qui l’écoutent : « Ces émissions m’ont déjà enseigné mille trucs et j’espère que c’est aussi le cas pour les auditeurices. Apprendre passe par déconstruire : en acceptant de découvrir et de remettre en question, on ouvre les portes de la compréhension de l’autre et l’on peut renverser les a priori. »
De la sexualité au genre
Depuis le début de cette année 2022, Question Q laisse sa place, trois vendredis soirs par mois, à Question genre. Si le motif initial de cette évolution était financier (un entretien coûte moins cher à produire qu’une table ronde comprenant plusieurs intervenant·e·s), Christine Gonzalez voit néanmoins cette évolution d’un bon œil : « le genre, c’est un prisme de lecture comme un autre. Il se trouve des émissions politiques, sportives ou économiques qui abordent l’actualité selon leur angle. Pour nous, c’est pareil et c’est devenu essentiel pour appréhender et vivre dans notre société. »
À l’interrogation de réfléchir s’il est réjouissant ou plutôt attristant de créer ces contenus en 2022, la journaliste enthousiaste n’attend pas pour se livrer : « Tout me réjouit. Bien entendu, si on l’avait fait en 2002, on aurait gagné deux décennies. Mais pour avancer, il faut s’inscrire dans le temps, dans ce que vit et rencontre la société. Personnellement, je trouve cette période très exaltante à vivre. Rien que depuis le début de Question Q, je sens les regards critiques qui bougent. Il n’est jamais trop tard ! » (CROC)
[1] Dans Par Jupiter, Christine Gonzalez s’appuie sur des enregistrements d’archives pour « faire parler les morts ».
[2] (Ré)écouter Question Q en podcast
[3] (Ré)écouter Question genre en podcast