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Psychothérapie et programmes de transition

Jeudi 09.03.2023
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Les jeunes souffrant de troubles psychiques peinent à intégrer le marché du travail. En Suisse alémanique, une démarche propose des psychothérapies de groupe dans les programmes de transition. Quels en sont les bénéfices et les défis?

Par Filomena Sabatella, chercheuse, Ran Michael Wehrli, Assistant scientifique et doctorant, et Agnes von Wyl, professeure, Département de psychologie appliquée, Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW)

En Suisse, près d’une jeune personne sur cinq se trouve sans solution professionnelle à l’issue de la scolarité obligatoire [1]. Parmi les alternatives qui leur sont proposées figurent les programmes de transition. Outre l’aide à la recherche d’un apprentissage, l’objectif de ces mesures consiste à combler les lacunes scolaires et à remédier aux déséquilibres sociaux.

Les adolescent·e·s et jeunes adultes qui participent à ces programmes présentent diverses problématiques. Comparé à la population qui effectue un apprentissage ou fréquente un établissement secondaire, les troubles de santé mentale et de maladies psychiques s’avèrent nettement plus élevé [2]. Une étude réalisée à la suite d’un projet pilote dans ce domaine formule deux hypothèses à cette différence. La première part du constat que se trouver au chômage constitue une charge psychologique. La seconde pose, à l’inverse, que c’est en raison d’un trouble psychique préexistant que de nombreux jeunes ne parviennent pas à trouver une place en formation ou un emploi.

Plus largement, on observe que les maladies psychiques représentent désormais la principale cause d’invalidité. Selon l’Office fédéral des assurances sociales, en 2020, 49% des nouvelles rentes AI ont été accordées pour cause de troubles psychiques. Une étude réalisée par Avenir Suisse prévoit une poursuite de l’augmentation des rentes en raison du manque de perspectives, de la solitude par l’isolement social et de l’incertitude quant à l’évolution du marché du travail — trois facteurs induits par la pandémie [3].

En effet, adolescent·e·s et jeunes adultes ont particulièrement souffert des mesures imposées pour lutter contre le covid. Selon l’étude Swiss Corona Stress Study [4], les deux années de pandémie constituent la plus forte augmentation de dépressions graves au sein de cette population, ce qui pose un problème spécifique aux différentes institutions d’assurances sociales. D’un point de vue économique, les personnes jeunes qui perçoivent une rente AI de façon précoce représentent un défi particulier car elles sont susceptibles de toucher des prestations durant plusieurs décennies.

Souffrance psychique des jeunes sans emploi

Dans ce contexte, on constate un manque d’identification et de prise en charge des déficiences et maladies psychiques de la population jeune. Deux hypothèses peuvent être avancées à ce sujet : d’une part, la peur d’être stigmatisé et, de l’autre, un manque de compréhension quant au besoin et à la recherche d’aide [5].

Afin de pallier ce déficit, un nouveau concept de thérapie pour jeunes adultes suivant un programme de transition a été élaboré. Baptisé « inclusif plus », le projet a été mené en collaboration avec un partenaire académique et plusieurs partenaires privés, avec le soutien de l’agence suisse pour l’encouragement de l’innovation, Innosuisse.

La nouveauté consiste en une psychothérapie de groupe, mise en place directement dans les programmes de transition. Les jeunes adultes et adolescent·e·s sans emploi et en détresse psychique étant difficiles à atteindre, une intervention innovante à bas seuil a été conçue. Son objectif est de renforcer les ressources des personnes participant, d’accroître leur auto-efficacité ainsi que leur estime de soi et de promouvoir leurs compétences en matière de santé. Ces différentes ressources améliorent leur aptitude au travail et les soutiennent dans leurs futures étapes de développement, telles que l’entrée ou le retour dans la vie professionnelle.

La démarche vise à compléter l’aide déjà offerte par les programmes de transition. Sous la supervision d’un ou d’une psychothérapeute, une thérapie de groupe se déroule une fois par semaine, durant une heure et demie. L’intervenant·e peut en outre apporter des conseils à titre individuel. En parallèle, chaque participant·e dispose de cinq séances individuelles au maximum.

La durée de la participation au groupe de psychothérapie n’est pas prédéterminée. Les personnes peuvent la suivre aussi longtemps qu’elles sont inclus·e·s dans le programme de transition. Le temps moyen de participation varie entre trois et douze mois, notamment en fonction de la situation du marché du travail.

La force d’un groupe de pair·e·s

Une évaluation est en cours auprès de dix programmes de transition situés dans les cantons de Berne, Saint-Gall, Thurgovie, Zurich et Lucerne [6]. Il s’agit d’une étude longitudinale pragmatique (pragmatic trial) utilisant différentes méthodologies telles que des mesures quantitatives, des entretiens semi-structurés et des groupes de discussion. Les participant·e·s sont interrogé·e·s à trois reprises : avant d’entrer dans le groupe thérapeutique, au moment de le quitter et six mois plus tard. Afin d’obtenir un retour nuancé sur l’intervention, la dimension qualitative de l’étude recueille le point de vue des personnes participant, ainsi que celui des professionnel·le·s impliqué·e·s, thérapeutes et coachs notamment. Les derniers groupes se sont tenus en juillet 2022 et les derniers entretiens de suivi ont eu lieu en janvier 2023.

Les premiers résultats intermédiaires s’avèrent positifs. Ils révèlent d’abord que la démarche offre la protection d’un groupe de pair·e·s. Les jeunes travaillent ainsi sur les défis, les difficultés et les situations qu’ils et elles rencontrent au quotidien, tout en bénéficiant d’un encadrement thérapeutique. La dynamique de groupe active et renforce les ressources. Les participant·e·s peuvent se confronter à leurs problèmes de développement, expérimenter de nouveaux rôles et améliorer leur perception d’eux-mêmes. Etant donné que de nombreuses personnes suivant les programmes de transition souffrent de stress et d’une santé mentale défaillante, la psychothérapie de groupe peut également contenir des éléments psychoéducatifs et propres aux troubles vécus. Cela renforce l’aspect préventif, favorisant les demandes de soutien en cas de difficultés [7]. Enfin, les jeunes peuvent poser des questions et évoquer leurs soucis, chercher des solutions et aider leurs collègues à en trouver.

Un autre bénéfice attendu porte sur l’augmentation de l’aptitude au travail [8]. Cet objectif principal des programmes de transition veut rendre adolescent·e·s et jeunes adultes capables d’intégrer un emploi. Le projet est conçu pour soutenir ce but.

Il est établi que les atteintes psychiques constituent un frein à l’évolution professionnelle. Pour accéder à l’objectif à long terme d’intégration dans le monde du travail, il est donc important de commencer par réduire les troubles psychopathologiques, les déficiences structurelles et les crises interpersonnelles. Il s’agit de l’une des finalités de la participation au programme. Afin de mesurer une éventuelle réduction des affections psychopathologiques, la liste de vérification des symptômes (Brief Symptom Checklist ou BSCL) a été utilisée. Dans le but d’obtenir un plus large aperçu des difficultés interpersonnelles comme intrapersonnelles, les déficiences structurelles et les problèmes interpersonnels ont également été évalués [9].

Comme indiqué plus haut, les jeunes souffrant de soucis de santé mentale ou de maladies psychiques considèrent rarement un soutien professionnel. Modifier cette attitude constitue ainsi un autre objectif intermédiaire important pour l’insertion dans le marché du travail. Les possibles changements de comportement en matière de recherche d’aide ont été mesurées au moyen du Help-seeking Questionnaire.

Enfin, ont été recueillies des données sur le sexe, l’âge, l’origine migratoire, la consommation de drogues, les antécédents scolaires et professionnels ainsi qu’un éventuel recours à des aides liées à la santé.

Des défis pour les institutions et les thérapeutes

Si l’offre « inclusif plus » apporte des avancées, un certain nombre de défis ont également été mis en évidence. Ils concernent aussi bien les institutions que les psychothérapeutes qui y interviennent.

Un premier aspect relève du fonctionnement du programme en groupes dits ouverts. Cela signifie que les participant·e·s peuvent le rejoindre à tout moment. La taille et la composition du groupe varient donc d’une réunion à l’autre. De plus, l’absentéisme constitue une thématique dans le cadre des programmes de transition [10]. En conséquence, les psychothérapeutes ne peuvent jamais prévoir le nombre de personnes présentes. Cela leur demande de réagir avec souplesse aux conditions de travail concrètes, différentes à chaque fois.

Un autre enjeu porte sur l’intégration du ou de la psychothérapeute, en tant que nouvelle figure professionnelle. Il est important que ce ou cette intervenant·e ne soit pas perçu·e comme un·e rival·e par les autres professionnel·le·s, mais plutôt comme un atout, pour les personnes participantes et pour l’ensemble de l’équipe. L’institution doit également fournir l’infrastructure nécessaire pour la thérapie de groupe, comme du matériel ou des salles verrouillables, et un soutien organisationnel au thérapeute. Enfin, il est essentiel pour la réussite du projet que l’organisation s’approprie la démarche, tout en respectant l’idée de base et le concept de départ.

L’importance du partage

Lors d’un entretien, un participant témoigne de son expérience d’un groupe thérapeutique, mettant l’accent sur l’importance du partage entre pair·e·s de situations similaires : « Ce sont des gens qui ont vécu des choses similaires. Et dans ce groupe, il y a aussi des personnes du même âge. Oui, et je pense que ça reste difficile à comprendre pour les autres, les amis de mon âge qui n’ont jamais été dans cette situation, qui n’ont jamais vécu quelque chose comme ça. Devoir abandonner quelque chose. Ceux pour qui tout s’est bien passé. Ils comprennent, mais c’est différent quand on l’a vraiment vécu soi-même. »

Après plusieurs mois de pratique dans des programmes de transitions, les premières conclusions montrent l'importance d'une intervention précoce et à bas seuil, afin de pouvoir influencer positivement l'évolution d'une maladie mentale. De telles mesures s’avèrent particulièrement importante à l'époque actuelle alors que les délais d’attente pour une prise en charge par des institutions psychiatriques peuvent être longs. En agissant rapidement, le développement ultérieur des adolescent·e·s n'est pas entravé et leur avenir professionnel et personnel se révèle plus stable.

Références

[1] Gomensoro, A., & Meyer, T., 2021. Parmi les 19% de jeunes gens sans solution professionnelle à l’issue de la scolarité obligatoire, 5% ne suivent pas de formation ou d’enseignement et n’ont pas d’emploi ; 10% suivent une 10e année scolaire et 4% s’engagent dans d’autres solutions provisoires telles que des mesures de transition.

[2] Sabatella et von Wyl, 2014

[3] Cosandey, 2021

[4] de Quervain et al, 2021

[5] Dunley & Papadopoulos, 2019

[6] Il existe plus d’une centaine de ces programmes en Suisse.

[7] Wei et al., 2015

[8] L’indice Work Ability Index a été mis en œuvre afin d’évaluer l’aptitude au travail. La démarche a été enrichie en mesurant également l’estime de soi, à l’aide de l’échelle de Rosenberg, ainsi que les capacités d’action et de décision liées au travail, au moyen de l’outil My Vocational Situation Scale.

[9] respectivement au moyen du OPD-SFK et du IIP-D.

[10] Contrairement au contexte d’hospitalisation où la question de l’absentéisme ne se pose pas ou dans une moindre mesure.

Comment citer cet article ?

Filomena Sabatella et al., «Psychothérapie dans les programmes de transition», REISO, Revue d'information sociale, publié le 9 mars 2023, https://www.reiso.org/document/10413