La radiologie enfin à la portée des pays pauvres
Les pays du Sud sont confrontés à un manque sévère de technologie appropriée en imagerie médicale. Avec le projet GlobalDiagnostiX, l’accès aux examens radiologiques sera bientôt possible dans les petits hôpitaux de district.
Par Eric Fleury, professeur HES, Haute école de Santé, Filière Technique en radiologie médicale, Genève
Selon les chiffres de l’OMS, plus des deux tiers de l’humanité n’ont pas accès aux dispositifs médicaux de base comme la radiologie, essentiels à la pratique de la médecine actuelle [1].
Dans les pays du Sud, les accidents de la route, la tuberculose, les complications de la pneumonie infantile sont les exemples les plus récurrents de pathologies entraînant des complications qui auraient pu être évitées. Faute de diagnostic, des patients meurent de problèmes anodins qui auraient pu être soignés à l’aide des services d’imagerie médicale fonctionnels et efficaces.
La raison majeure de ce manque d’accès à l’imagerie médicale est l’inadéquation entre les technologies existantes et le contexte local des pays pauvres [2]. Souvent envoyés par l’aide internationale, de nombreux systèmes de radiologie ne peuvent jamais être utilisés, en raison notamment des conditions climatiques (chaleur, humidité, poussière) et de l’instabilité des réseaux électriques. En quelques semaines seulement, ils sont hors d’usage. Le manque de personnel qualifié ou de pièces de rechange fait rapidement disparaître tout espoir de les voir fonctionner.
Un appareil performant et bon marché
GlobalDiagnostiX [3] propose « une solution pensée sur le terrain dans les pays du Sud et développée dans les pôles scientifiques suisses » [4]. Les appareils de radiologie développés pour les hôpitaux des pays industrialisés ne sont pas adaptés à l’infrastructure et aux conditions d’utilisation des hôpitaux de district des pays du Sud, ni à leur pouvoir d’achat. En ce qui concerne la radiologie en particulier, les solutions existantes basées sur la technologie à film ne sont pas appropriées. Les solutions d’imagerie numérique moderne sont trop chères, trop complexes et trop fragiles.
Aujourd’hui, il est possible de répondre à ces problématiques en innovant non seulement dans la technologie mais aussi en recourant à des projets collaboratifs qui s’appuient sur la réalité du terrain.
Sous la direction de l’équipe du programme EssentialTech [5] du Centre de Coopération et Développement de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), un vaste consortium de plus de 35 chercheurs a été créé. Ainsi, des laboratoires de l’EPFL, dix groupes de recherche de la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (domaines santé, ingénierie et design), l’Institut Paul Scherrer, l’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse, la Fondation EssentialMed [6] ainsi que le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) travaillent en étroite collaboration avec l’Hôpital universitaire de Yaoundé (Cameroun), le Centre universitaire de recherche sur l’énergie pour la santé au Cameroun [7], et d’autres acteurs locaux.
Intégrant directement les données relevées sur le terrain, le matériel a été repensé dans son entièreté par rapport aux systèmes d’imageries médicales actuels afin de répondre aux besoins et aux capacités financières spécifiques des pays à bas revenus. Réfléchi sur l’ensemble de son cycle de vie en matière de coûts et de durabilité, le coût d’achat et d’entretien du système devra être dix fois plus faible que les solutions existantes (soit $ 50’000 au lieu de $ 500’000, mais incluant les coûts d’exploitation pendant dix ans). Un premier prototype de GlobalDiagnostiX pleinement fonctionnel a été dévoilé à l’EPFL le 9 mars 2015.
L’enjeu cardinal de la formation continue
Dans la conception d’un appareil de ce type, il est impératif d’adapter les fonctionnalités du système à l’environnement de travail, aux diversités culturelles et aux différences de niveaux de formation des utilisateurs. La filière Technique en radiologie médicale (TRM) de la Haute école de Santé de Genève [8] apporte avant tout son expertise métier sur les spécifications et les qualités ergonomiques requises. Elle participe de façon importante aux développements et innovations du système et s’assure qu’il répond aux besoins du terrain. Par exemple, un petit hôpital n’a pas besoin de la vaste gamme d’examens radiologiques requis dans un hôpital universitaire réalisés avec des appareils compliqués et coûtant plus cher.
Précisons également que, face au manque de personnel qualifié pour réaliser et interpréter les images radiologiques, le développement d’une technologie appropriée ne suffit pas. Actuellement, les compétences spécifiques de la filière TRM de la HEdS-GE sont pleinement mobilisées dans le développement d’une interface utilisateur qui intégrera des didacticiels multimédias indépendants de la langue et qui guideront l’utilisateur pendant toutes les étapes du processus d’acquisition des images radiographiques avec une attention particulière concernant les aspects sécuritaires, notamment pour la radioprotection.
En fonction de l’indication et de la région à investiguer, le didacticiel proposera des incidences radiologiques de base à réaliser. Des graphiques et images indiqueront à l’opérateur·trice comment effectuer le positionnement du patient et comment mettre en place le complexe tube à rayon X - détecteur. Une simulation du centrage et du champ de vue de l’image permettra à l’utilisateur·trice de bien se représenter la région à radiographier sans irradier inutilement les autres parties du corps. Les paramètres techniques d’exposition de la radiographie (kilovolts, milli-ampères et temps d’exposition) seront prédéfinis en fonction de l’incidence à réaliser. Ils pourront être modifiés en tout temps par l’opérateur·trice selon la situation. Ils seront par exemple adaptables à la petite taille d’un patient pédiatrique ou à la taille d’un patient adulte.
Les différents moyens de radioprotection à prévoir pour le patient et pour le personnel – comme l’utilisation adéquate d’un tablier de plomb – seront soulignés à tous les niveaux du processus d’acquisition des images. Pour finir, le didacticiel fournira une reproduction du cliché qui devrait être obtenu avec la mention des différents critères de qualité et de réussites.
Même avec ces didacticiels, rien ne remplace l’expérience et les opérateurs doivent être formés par des technicien·ne·s en radiologie médicale qualifié·e·s qui repassent ensuite régulièrement dans les petits hôpitaux en vue de résoudre les problèmes et d’assurer un contrôle de qualité. Pour répondre à ces impératifs, les spécialistes de Genève travaillent en étroite collaboration avec la Fondation EssentialMed sur la création d’une plateforme de formation et de soutien technologique en faveur de l’apprentissage sur place. L’idée est que l’utilisateur fasse partie intégrante de la stratégie de formation.
Des solutions de type « télémédecine » seront également proposées en appui des services de téléconsultation et de formation continue pour soutenir les futurs utilisateurs là où ils en ont le plus besoin.
[1] Medical Devices in the Developing World, Frost & Sullivan. 2012
[2] Medical Devices : managing the missmatch. World Health Organization, 2010.
[3] Les partenaires : EPFL, HES-SO, Institut Paul Scherrer, EssentialMed, Cures, CHUV, CHU UHC, Swiss TPH.
[4] Site internet de Global DiagnostiX
[5] Site internet EssentialTech
[6] Site internet EssentialMed
[8] Site internet de la HEdS Genève