Se former ensemble pour mieux se comprendre
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Pour mieux prendre en charge des patient·e·s porteur·se·s de troubles du spectre autistique, trois institutions genevoises actives dans les soins et l’accompagnement social ont favorisé la création d’une formation interdisciplinaire.
Par Joanne Wiesner Conti, maître d’enseignement HES en interprofessionnalité, Adeline Paignon, professeure en éducation interprofessionnelle, Vincent Boutière, formateur, chargé d’accompagnement et Isabelle Hochuli, chargée de formation [1]
Développer des modules de formations visant à consolider les pratiques professionnelles autour des troubles du spectre autistique (TSA) et de la déficience intellectuelle avec ou sans troubles psychiques associés : en 2018, des directions de différents services hospitaliers et institutions éducatives genevoises adressent cette demande au centre de formation continue de l’Hôpital universitaire de Genève. Cette requête est justifiée par l’évocation d’une discontinuité dans le parcours des résident·e·s / patient·e·s / bénéficiaires lors des transitions interinstitutionnelles.
Afin de mettre sur pied la formation souhaitée, une cheffe de projet a constitué un comité de pilotage composé de professionnel·le·s de chacune des institutions impliquées. Le développement de chaque module a réuni des professionnel·le·s exerçant dans les unités de soins dédiées à la déficience intellectuelle aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), dans les foyers résidentiels pour personnes majeures des Établissements publics pour l’intégration et dans des foyers pour jeunes mineur·e·s de l’Office médico-pédagogique. Il s’agissait donc d’éducateurs et d’éducatrices, d’assistantes et assistants socio-éducatifs, de directeurs et directrices d’établissement, de psychologues, d’infirmier·ères, d’assistant·e·s en soins et santé communautaire et de médecins.
Après les premiers échanges, le groupe de pilotage a envisagé une formation en cinq modules : Sensibilisation aux troubles autistiques, Stratégies et interventions éducatives, Comportements défis, Évaluation et intervention somatiques et psychiatriques et, enfin, Interprofessionnalité. Ce cinquième thème fait l’objet du développement qui suit [2].
La formation, ouverture aux compétences des autres
Ce module « Interprofessionnalité », d’une durée d’une journée, a été développé conjointement par des membres du Centre interprofessionnel de simulation de Genève et un·e représentant·e de chaque institution, sous la supervision de la cheffe de projet. Selon la volonté pédagogique adoptée, il s’agit là de permettre aux apprenant·e·s de mettre en œuvre des compétences interprofessionnelles en les pratiquant en simulation. En reproduisant des situations ou des environnements de soins ou de vie, cette modalité offre en effet l’opportunité d’exercer des habiletés spécifiques à une équipe de professionnel·le·s. Elle favorise aussi la prise de conscience du travail des autres puisque celles et ceux qui ne jouent pas leur propre rôle sont observateurs et observatrices de la séance. Enfin, à travers les différents scenarii composés, la simulation permet de répondre aux besoins de formation exprimés par les trois institutions impliquées, à savoir « mettre en œuvre des ressources interprofessionnelles pour améliorer les transitions interinstitutionnelles et la collaboration ».
Au cours d’une première phase, le groupe de travail a défini des objectifs d’enseignement spécifiques au module « interprofessionnalité ». Ainsi, il est attendu, premièrement, que les participant·e·s soient capables de questionner les enjeux de chaque professionnel·le en situation de transition du ou de la patient·e, puis d’intégrer le-la résident·e / patient·e / bénéficiaire, son-sa curateur·rice et / ou proche aidant·e comme partenaire dans une dynamique interprofessionnelle. Enfin, le troisième objectif consiste à reconnaitre ou à questionner les besoins et les limites de chaque professionnel·le dans son contexte (institutionnel et relatif à son rôle).
Sur la base de cette triade, le groupe de travail a imaginé la situation d’un adolescent qui transite par les différentes institutions de soins et d’accompagnement social. La séquence pédagogique se découpe en quatre étapes : Introduction à la collaboration interprofessionnelle, première et deuxième simulations, et travail en groupes autour des outils de transition interinstitutionnelle.
La simulation, utile pour dénouer des conflits
Le premier scénario de simulation fait intervenir un·e médecin, un·e infirmier·ère et un·e éducateur·trice. Ces professionnel·le·s reçoivent et accompagnent l’adolescent et son père lors de son admission en unité hospitalière à la suite d’une crise importante en foyer. Cette simulation est précédée du visionnement d’un film qui présente le déroulement de la crise. Cette mise en contexte favorise l’immersion des participant·e·s dans l’environnement de vie du jeune et la découverte de la gestion de crise en foyer par les professionnel·le·s travaillant en milieu hospitalier.
La seconde simulation traite de la gestion du linge du jeune homme au cours de son hospitalisation. Cette problématique a en effet été identifiée comme source de conflit entre les équipes intra et extrahospitalières, notamment par mécompréhension des contextes professionnels respectifs.
Le debriefing, étape essentielle
Ce sont les outils et stratégies du modèle de travail en équipe TeamSTEPPS® [3] qui ont été mobilisés durant les débriefings des simulations. Ce temps d’échange, qui suit la simulation et regroupe les apprenant·e·s et les formateur·trices, est considéré comme le moment le plus important de l’activité : il permet en effet de revenir sur les comportements déployés et d’explorer les pensées et sentiments qui les ont guidés. C’est aussi au cours de cette étape que d’éventuelles nouvelles stratégies de collaboration sont envisagées par le groupe.
La formation a été appréciée par un questionnaire transmis à l’ensemble des participant·e·s, ainsi qu’avec un focus group composé de six d’entre elles et eux, représentant les différentes institutions et professions. Les résultats de l’évaluation indiquent une meilleure compréhension réciproque des contextes de soins et de vie, une augmentation des hospitalisations programmées et, consécutivement, une diminution des hospitalisations en urgence ainsi que des appels au 144. Enfin, les participant·e·s rapportent une plus grande utilisation d’outils partagés pour l’accompagnement des patient·e·s / résident·e·s / bénéficiaires au sein des différentes structures et institutions.
Quelques éléments d’amélioration ont aussi été relevés, parmi lesquels le besoin d’aborder explicitement des situations jugées violentes, qui sont communes à toutes les professions et à toutes les institutions. Face à l’intérêt de découvrir les structures de vie et de soins évoqué par des participant·e·s, des visites formelles ont été organisées à la suite de la formation.
Le shadowing a été proposé comme modalité d’apprentissage visant précisément une meilleure connaissance des différents lieux d’activité des professionnel·le·s. Cette méthode permet en effet de formaliser l’observation d’un·e professionnel·le par un·e autre qui le ou la suivra tout au long d’un temps défini dans son activité quotidienne [4].
La coordination, élément clé de la réussite
Les directions des institutions concernées et le comité de pilotage tirent un bilan positif de cette démarche. Les membres ont souligné que la mise en œuvre de la formation a créé des opportunités d’échanges interinstitutionnels et facilité la communication, y compris à l’échelon des équipes. Et de relever que lorsqu’elle s’inscrit dans une volonté des directions par lesquelles elle est facilitée, la formation à l’interprofessionnalité contribue aux améliorations interinstitutionnelles, tant dans les interactions entre professionnel·le·s qu’avec les patient·es / résident·es / bénéficiaires.
Toutefois, l’expérience enseigne que le déploiement de cette formation requiert une coordination fine et attentive de l’ensemble des acteurs et actrices impliquées, qu’il s’agisse du comité de pilotage, des intervenant·e·s, des groupes de travail et des participant·e·s. Cette organisation représente l’un des élément clé de la réussite de ce type d’échanges, où les enjeux sont parfois implicites, les conflits latents et les professionnel·le·s très sollicité·e·s.
Une journée consacrée à la collaboration interdisciplinaire
« Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite. » (Henri Ford)
Quels sont les enjeux pour les pratiques professionnelles d’une bonne collaboration entre professionnel·le·s du travail social et des soins infirmiers ? Qu’est-ce qui fait l’essence d’une telle collaboration ? Le 13 avril 2022 à Fribourg, la Haute école de travail social (HETS-FR) et la Haute école de santé (HEdS-FR) ont co-organisé la journée d'étude Entr’Actes, lors de laquelle plusieurs intervenant·e·s ont présenté des projets menés de manière interdisciplinaire. Responsables de l’organisation du colloque, Rita Bauwens et Danièle Buillard Verville ont souligné, dans leur introduction, la nécessité de dialogue entre les deux domaines « pour offrir des réponses plus adéquates aux personnes accompagnées au quotidien ». Les présentations données durant la matinée font l’objet d’une série d’articles publiée dans REISO. Cet article est le troisième de ce dossier.
[1] Joanne Wiesner Conti, Centre interprofessionnel de simulation, Genève, Adeline Paignon, Centre interprofessionnel de simulation et Haute école de santé, Genève, Vincent Boutière, Office médico-pédagogique, Département de l’instruction publique, Genève, et Isabelle Hochuli, Hôpitaux universitaire de Genève
[2] C’est également ce thème qui a été présenté en détails lors de la journée Entr’Actes organisées conjointement par la Haute école de travail social de Fribourg et la Haute école de la santé de Fribourg, le 13 avril 2022.
[3] TeamSTEPPS® (Team Strategies and Tools to Enhance Performance and Patient Safety, en français Stratégies et outils pour améliorer la performance d’équipe et la sécurité des patient·e·s), est un ensemble d'outils de travail en équipe fondés sur des données probantes, visant à optimiser les résultats pour les patient·e·s en améliorant les compétences de communication et de travail en équipe des professionnel·e·s de la santé.
[4] Ces aménagements pédagogiques sont prévus pour la prochaine volée qui débutera la formation à la fin de 2022.
Lire également :
- Noémie Pasquier et Sandrine Pihet, «Proches aidant·e·s: faciliter l’accès au soutien», REISO, Revue d'information sociale, publié le 28 octobre 2022
- Alida Gulfi, «Travailler ensemble pour le bien des bénéficiaires», REISO, Revue d'information sociale, publié le 10 octobre 2022
- Olga Sidiropoulou, «Le réseau, clé de l’accompagnement de l’enfant», REISO, Revue d'information sociale, publié le 25 juillet 2022
- Amélie Rossier, «L’interdisciplinarité au service de la fin de vie», REISO, Revue d'information sociale, publié le 18 juillet 2022
- Magali Gani et Richard Best, «Un certificat d’aptitude pour favoriser l’insertion», REISO, Revue d'information sociale, publié le 24 juin 2022
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Joanne Wiesner Conti et al., «Se former ensemble pour mieux se comprendre», REISO, Revue d'information sociale, publié le 10 novembre 2022, https://www.reiso.org/document/9854