L’encouragement précoce pour TOUS les enfants
Les familles qui profiteraient le plus d’un soutien au développement de leurs jeunes enfants sont justement celles que les offres de prévention existantes atteignent le moins. Le programme petits:pas s’adresse à elles.
Par Daniela Wagnières, chargée de projet Suisse latine, a:primo
« L’importance que revêt la petite enfance dans le parcours de formation d’une personne est largement reconnue et prouvée scientifiquement. Un encadrement éducatif de qualité dans la prime enfance stimule le développement de l’enfant, sa socialisation et améliore ainsi ses chances de formation et d’intégration sociale. » [1]
L’étude de l’UNESCO sur l’éducation de la petite enfance en Suisse souligne le rôle particulier de l’encouragement précoce, un concept pédagogique global qui recouvre l’éducation et l’accueil des tout-petits [2]. Encourager le jeune enfant, c’est lui apporter des possibilités de stimulation qui vont lui permettre de grandir et d’apprendre en interrogeant et expérimentant le monde qui l’entoure. Ces possibilités mises à disposition dans l’environnement familial dès la prime enfance ont un effet positif sur le développement des compétences cognitives et socio-émotionnelles. Elles favorisent notamment l’émergence de compétences telles que la détermination, la persévérance et la motivation nécessaires à tout processus d’apprentissage [3].
L’encouragement précoce devrait par conséquent être considéré comme un objectif important de la société et de l’Etat, mais encore davantage comme une tâche clé de la famille. Outre son importance pour la santé et la sécurité émotionnelle des enfants, la famille a une grande influence sur la construction du système de valeurs, le comportement social et les expériences fondamentales dans divers domaines [4].
Les multiples sources de précarité
En Suisse, de nombreux enfants et leurs parents sont confrontés à des conditions de vie précaires. Vivre dans l’isolement, avoir des parents peu formés, des parents se trouvant dans une situation professionnelle fragile, ayant des problèmes de santé ou des parents ayant vécu une rupture familiale suite à une séparation, un divorce, un décès ou une expérience de migration.
Ces diverses sources de stress peuvent avoir des influences négatives sur le bien-être et le développement de l’enfant. De plus, les recherches actuelles montrent que les familles expérimentant des situations de pauvreté, de précarité et d’isolement n’ont peu ou pas recours aux différentes offres de socialisation et de prévention primaire. Leurs enfants subissent par conséquent une inégalité des chances dès l’entrée à l’école enfantine. Pour contrecarrer cette inégalité, le soutien aux familles en situation de vulnérabilité sociale devrait être déployé dès les premières années de la vie de l’enfant [5].
La recherche d’informations sur des thèmes ayant trait à l’éducation et le recours à des offres de soutien appropriées représentent, sur le plan de la psychologie familiale, des ressources essentielles pour toute famille. Pour ce faire, les sources les plus diverses sont utilisées : les réseaux familiaux et guides éducatifs sous forme de livres ou brochures, les structures d’accueil collectif de jour et de prévention primaire (crèches-garderies, accueil parents-enfants, conseils en périnatalité, cafés, ateliers et consultations, cours de langues) et les organismes de thérapie spécialisés.
La logique d’« aller vers »
Les familles fragilisées n’ont souvent peu ou pas de ressources disponibles pour recourir aux informations et offres de leur ville ou de leur quartier. Ces services reposent, pour la plupart, sur l’accueil des personnes et non sur le principe de « l’aller vers ». De ce fait, les familles en situation de vulnérabilité sociale ne reçoivent souvent de l’aide que lorsque des troubles graves de l’interaction parents-enfant ou du développement de l’enfant se sont installés.
La prévention se heurte ici à un dilemme : les familles qui profiteraient le plus d’un soutien au développement de leurs enfants sont justement celles que les offres de prévention existantes atteignent le moins. Les ateliers et les cours proposés aux familles avec de jeunes enfants sont en majorité suivis par des parents qui ont déjà un intérêt pour ce genre d’offres et sont familiarisés avec ces structures. De plus et bien fréquemment, les familles dites « socialement défavorisées » ne se sentent pas interpellées dans leur image personnelle et culturelle par ce type d’offres. Elles ne s’identifient pas aux familles qui en bénéficient et mettent souvent en place des mécanismes d’autodéfense et identitaires leur permettant de ne pas se sentir stigmatisées. Lorsqu’elles le peuvent, ces familles vont plutôt se tourner vers une forme de solidarité familiale et/ou communautaire [6].
Dans ce contexte, les offres de soutien aux parents et aux familles en situation de vulnérabilité sociale sont efficaces seulement si elles sont applicables de manière interculturelle et si elles sont connues localement (commune, quartier). Il importe également qu’elles correspondent aux intérêts des familles et encouragent l’esprit de solidarité. Afin que leur accès soit compatible avec les situations de fragilité, ces offres doivent de plus s’appuyer sur les médias que les familles utilisent et parler leur langue. Pour toutes ces raisons, il est essentiel d’aller à la rencontre des familles et de les rejoindre dans leur contexte de vie pour mettre en place des mesures de prévention leur étant destinées.
C’est dans ce cadre que la Commission fédérale pour les questions de migration recommande le développement de nouvelles mesures de prévention sociale par l’encouragement précoce spécifiquement conçu pour des familles difficilement atteignables, ceci en étroite collaboration avec les services de l’administration publique et le monde associatif [7]. Le programme « petits:pas » s’inscrit précisément dans cet état d’esprit. Il privilégie le principe de « l’aller vers » par des visites à domicile et propose un programme de jeu, d’éveil et de socialisation destiné à des enfants en âge préscolaire et à leur familles se trouvant en situation de désavantage social.
Une action sociale ciblée, ludique et préventive
La démarche de petits:pas consiste à combiner, pendant 18 mois, des visites à domicile et des rencontres de groupes favorisant la solidarité et l’intégration sociale. Les visites hebdomadaires sont animées par des personnes ayant eu un parcours similaire à celui des familles ciblées. La proximité du parcours de vie favorise, d’après l’expérience acquise par les collaboratrices du programme, la création d’une relation de confiance entre l’intervenante et la famille.
Ces visites à domicile permettent de sensibiliser les parents aux besoins spécifiques de leur enfant. Les intervenantes à domicile, encadrées et supervisées par une coordinatrice (professionnelle de l’éducation, du travail social ou de la santé communautaire), se basent sur les compétences et les ressources des parents et de l’enfant. Considéré comme sujet compétent et actif, l’enfant explore et interroge le monde qui l’entoure. La démarche implique les parents avec qui l’enfant participe, partage et co-construit. Par le biais de jeux (plots, puzzles, balle, loto, etc.) et d’activités ludiques (jouer avec de l’eau, bricoler, chanter des comptines, bouger en musique, trier les objets, explorer son quartier, etc.) associés à la vie quotidienne, parents et enfants ont ainsi la possibilité de diversifier leurs échanges et d’enrichir leur interaction.
Les activités et les jeux proposés ont été choisis afin de stimuler tous les domaines de développement de l’enfant : ses capacités émotionnelles, sociales, motrices, cognitives et langagières. Ils se basent sur l’apprentissage par l’expérimentation et l’exploration.
Lorsque la confiance est établie, les intervenantes et la coordinatrice invitent les familles à participer à des rencontres avec les autres familles participantes. Ces rencontres sont conçues comme des espaces où les compétences des parents sont soutenues et valorisées. Pendant que les enfants jouent entre eux, les parents y échangent leurs impressions sur différents thèmes liés à l’éducation et au développement de leurs enfants. Ils y reçoivent des informations sur les offres de leur ville ou de leur quartier et nouent des contacts avec d’autres parents.
Tout au long des 18 mois du programme, la coordinatrice cherche avec la famille d’autres possibilités d’intégration, de stimulation et d’apprentissage offertes dans le réseau : pour l’enfant et la famille, la fréquentation d’une halte-garderie, d’un accueil parents-enfants ou d’un atelier gym et jeu ; pour les parents, des cours de langue, la participation à une rencontre de parents ou la fréquentation d’un autre lieu d’échange et de sociabilité.
Aux origines de petits:pas
Développés aux Pays-Bas, les programmes « Stap » sont mis en œuvre depuis plus de 20 ans par l’Institut néerlandais de la jeunesse. En 2001, cette démarche a été adoptée en Allemagne sous le nom d’« Opstapje ».Elle a été introduite dans 19 villes et communes de Suisse alémanique sous le nom de « schritt:weise ».
Basée à Winterthur, l’association a:primo développe ce programme depuis 2006. Elle a ouvert un bureau à Lausanne en janvier 2012 afin de proposer « petits:pas » aux autorités des cantons, villes et communes de Suisse romande. Un travail d’adaptation à la langue et aux spécificités de la Suisse romande est en train d’y être apporté en vue de sa prochaine mise en œuvre au début 2014.
En Suisse, le programme a fait l’objet de deux évaluations scientifiques, l’une par l’Institut pour l’enfant Marie Meierhofer à Zurich et l’autre mandatée par le Service de la santé publique de la ville de Berne pour son projet d’encouragement précoce Primano.
Plus d’informations sur le programme, ses évaluations et leurs résultats sur le site de l’association a:primo.
Photo-vignette : © a:primo
[1] Wustamm Seiler, C. & Simoni, H. (2012) : Cadre d’orientation pour la formation, l’accueil et l’éducation de la petite enfance en Suisse. Marie Meierhofer Institut für das Kind sur mandat de la Commission suisse pour l’UNESCO et du Réseau suisse d’accueil extrafamilial. Zurich.
[2] Stamm, M., Reinwand, V., Burger, K., Schmid, K., Viehauser, M., Muheim, V. (2009) : Frühkindliche Bildung in der Schweiz. Eine Grundlagenstudie im Auftrag der UNESCO-Kommission Schweiz. Fribourg : Universität Fribourg, Departement für Erziehungswissenschaften. Résumé en français.
[3] Heckmann, J. J. (2006). « Skill Formation and the Economics of Investing in Desadventaged children », Science 312 : pp. 1900-1902.
[4] Carle, U. (2010) : Familienbildung. S. 75-92 in M. Stamm/D. Edelmann(Hrsg.), Frühkindliche Bildung, Betreuung und Erziehung. Was kann die Schweiz lernen ? Zürich/Chur : Rüegger Verlag.
[5] Stamm, M., Edelmann, D. (2010) (Hrsg.), Frühkindliche Bildung, Betreuung und Erziehung. Was kann die Schweiz lernen ? Zürich, Chur : Rüegger Verlag.
[6] Paugam, S. (2012) : La rupture des liens sociaux : trajectoires biographiques et déterminants sociaux. Colloque Pauvreté : trajectoires individuelles, logiques sociales. Lausanne : Institut de hautes études en administration publique.
[7] Schulte-Haller, M. (2009) : Encouragement précoce. Recommandations de la Commision fédérale pour les questions de migrations.