Les parcours migratoires des secondos
Les Portugaises de deuxième génération installées en Suisse romande réalisent de fréquents allers-retours entre les deux pays. Une recherche s’est intéressée à leurs parcours de vie.
Par Rose Antoinette Ngo Pem Lissoug, étudiante en Master en Travail social (HES-SO), Genève [1]
Pour les Portugaises de la deuxième génération (secondos) établies dans un canton romand, la migration représente un événement très important qui influence leurs parcours de vie. En effet, ces projets ont des conséquences sur la vie des autres membres de la famille.
Les projets migratoires entre la Suisse et le Portugal sont soit motivés par les jeunes femmes elles-mêmes, soit décidés par leurs parents. Cependant, ils sont parfois imposés aux jeunes de la deuxième génération quand elles sont mineures. Bien qu’il faille faire preuve de ressources importantes pour émigrer, il arrive que les trajectoires migratoires ralentissent les études de ces jeunes femmes et que cela retarde leur accès au monde du travail. Leurs parcours professionnels deviennent alors instables.
Ainsi, l’impact de ces allers-retours entre la Lusitanie et la Suisse romande touche plusieurs dimensions et conditionne leur futur, notamment le passage à la retraite. Cela a donc une incidence sur les futures rentes AVS.
Peu de données sur les secondos
Les Portugais·e·s figurent parmi les Européen·ne·s qui se déplacent le plus dans l’espace européen (Cordeiro). La complexité des leurs parcours migratoires en Suisse a généralement été étudiée sous l’angle des migrant·e·s de la première génération (Fibbi &al).
Quand on s’intéresse à la situation romande, on trouve peu de littérature scientifique spécifique sur la communauté des migrant·e·s portugais·e·s de la deuxième génération ;. celles et ceux qui sont retourné·e·s vivre au Portugal avant de revenir en Suisse après six mois, soit à la fin de leur visa touristique; ou plusieurs années.
Cette communauté est cependant évoquée dans des études internationales sur des étrangers·ères de la deuxième génération (Bader & Fibbi), mais en réalité elle s’intéresse peu à la spécificité des régions. Certes, des recherches scientifiques (Fibbi & al.,) ont mis en exergue quelques particularités de cette population migrante résidant dans les cantons romands. Toutefois, ces Portugaises ont rarement eu l’occasion de s’exprimer sur leurs trajectoires de vie et les conditions de leur adaptation ici après une longue absence. En outre, les parcours professionnels féminins sont généralement discontinus (Fluder & Salzgeber), parce que les femmes se consacrent souvent à la maternité et au travail domestique quand elles sont en couple. Ces interruptions professionnelles ont un impact sur leurs rentes AVS (Levy, Gauthier & Widmer).
C’est en partie dans le but de donner la parole aux Lusitanaises de la deuxième génération établies en Suisse romande que cette recherche descriptive qualitative et exploratoire a été réalisée. Elle a pour objectif de recueillir le récit de vie de ces femmes et ainsi acquérir une meilleure compréhension de leurs trajectoires. Quatre entretiens semi-directifs ont été menés auprès de secondos d’environ trente ans. Le but est de comprendre quels impacts ces allers-retours ont eu sur leur vie.
Premières émigrations
Les familles qui émigrent sont originaires de régions rurales portugaises où l’on travaille dans l’agriculture. Jusqu’en 1986, il n’y avait que trois années de scolarité obligatoire là-bas. Dans les années 1980, le statut de saisonnier·ière[2] est en vigueur en Suisse et les jeunes filles émigrent pour réaliser un projet qui puisse améliorer leur situation économique. Généralement, les familles pensent retourner un jour dans leur pays d’origine pour y vivre, après y avoir construit une villa.
Les saisonnier·ère e·s occupent des postes peu qualifiés dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Une partie d’entre eux·elles multiplient les emplois de courte durée, tandis que d’autres ont des parcours professionnels plus stables, notamment dans l’hôtellerie où elles sont employées avec leur conjoint.
Ces travailleur·euse·s ont souvent des collègues de leur nationalité, alors ils et elles parlent dans leur langue maternelle, ce qui expliquent leurs difficultés en français. Les parents valorisent généralement le bilinguisme pour communiquer facilement avec leurs enfants en prévision d’un retour au Portugal. Dans cette perspective, les secondos passent les vacances d’été au pays comme la plupart de leurs compatriotes.
Retour au pays
Dans les années 1990, dans un contexte de reprise économique du pays ou pour bénéficier des nouvelles conditions de retrait du deuxième pilier, grand nombre de Portugaises ont été contraintes de suivre leurs parents qui sont repartis vivre au pays. D’autres départs étaient initiés de manière proactive par la vision des vacances au Portugal qui incite les jeunes filles à s’y établir. À noter que les secondos nées en Suisse ne souhaitent pas quitter leur terre d’accueil car elles s’y sentent intégrées. À l’inverse, celles qui trouvent leurs racines dans leur terre natale décident de retourner y habiter. Le lieu de naissance semble avoir un impact sur le sentiment d’appartenance à un état.
Le manque de connaissances dans la langue portugaise entraîne des difficultés sur le plan scolaire pour les jeunes venues de la Suisse romande. À contrario, lorsqu’elles ont émigré à l’adolescence et qu’elles maîtrisent le portugais, elles ont de meilleures chances de réussir la transition formation-emploi dans les temps. En effet, le bilinguisme favorise la bonne adaptation.
Les Portugaises de la deuxième génération ayant grandi en Suisse romande déplorent la mentalité des villages et des petites villes portugaises. En revanche, quand des mineures partent seules sans encadrement, elles ne parviennent pas toujours à s’intégrer aux jeunes de leur âge ayant d’autres moeurs.
Les motifs du retour en Suisse romande
Lorsque les enfants sont obligés de rentrer avec leurs parents, leur désir de revenir en Suisse reste vif jusqu’à l’âge adulte. De plus, la difficulté à assimiler la culture et la mentalité portugaises des villages et des petites villes les pousse à retourner dans le canton où ils ont grandi. D’autre part, ces jeunes réalisent que leur vision de la vie au Portugal, telles qu’ils et elles l’ont imaginée pendant la période des vacances, n’a rien à voir avec le quotidien, bien plus compliqué.
Les adolescent·e·s qui retournent vivre au pays sans leurs parents vivent souvent mal cette séparation et désirent alors revenir auprès des leurs. Cependant, même lorsque ils et elles rentrent à l’âge adulte avec leurs familles et que la transition formation-emploi se passe bien ; la situation économique locale les incite à revenir en Suisse car les salaires y sont plus élevés et la prise en charge médicale y est meilleure.
Certaines trajectoires professionnelles de secondos de retour en Suisse sont ponctuées par des périodes de chômage. Elles parviennent parfois à trouver une meilleure stabilité d’emploi en devenant indépendante.
Après avoir été confrontées à la réalité de la vie quotidienne au Portugal, un grand nombre de jeunes femmes ne souhaitent plus y vivre. Elles continuent toutefois à s’y rendre régulièrement pour les vacances. Celles qui se sentent désormais intégrées ici n’hésitent pas à entamer une procédure de naturalisation qui, la plupart du temps, aboutit.
Bibliographie
- Bader, D. & Fibbi, R. (2012). Les enfants de migrants: un véritable potentiel. Neuchâtel: Institut SFM.
- Bolzman, C., Le Goff, J. - M., & Bernardi, L. (2017). Introduction: situating children of migrants across borders and origins. Dans C. Bolzman, Bernardi, L., & Le Goff, J. - M. (Éd.), Situating children of Migrants across Borders and Origins. A Methodological Overview (p. 1–21). Berlin, Germany: Cham-Heidelberg: Springer. https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_4416EFC3AF1D.P001/REF
- Elder, G. H. (1995). The life course paradigm: Social change and individual development. In P. Moen, G. H. Elder, & K. Lüscher (Eds.), Examining lives in context. Perspectives on the ecology of human development (pp. 101–139). Washington, DC: American Psychological Association.
- Cordeiro, A. (2002). Le va-et-vient des Portugais en Europe. Revue Projet 272(4), 63-68. DOI 10.3917/pro.272.0063.
- Fibbi, R., Bolzman, C., Fernandez, A., Gomensoro, A., Kaya, B., Maire, C.,… Wanner, P. (2010). Les Portugais en Suisse. Berne: Office fédéral des migrations.
- Fluder, R. & Salzgeber, R. (2016). L‘écart entre les rentes des femmes et des hommes. Sécurité sociale/CHSS/4-2016.
- Levy, R., Gauthier, J.-A., & Widmer, E. (2006). Entre contraintes institutionnelle et domestique: Les parcours de vie masculins et féminins en Suisse. The Canadian Journal of Sociology, 31(4), 461-489.
[1] Rose Antoinette Ngo Pem Lissoug : « L’impact des allers-retours entre le Portugal et la Suisse romande de portugaises de la deuxième génération sur leurs parcours de vie », mémoire de Master of Arts HES-SO en Travail social dirigé par le Professeur Claudio Bolzman, HETS, Genève, 2020, 69 pages.
[2] Le statut de saisonnier·e permet de séjourner neuf mois en Suisse et trois dans son pays d’origine.
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Rose Antoinette Ngo Pem Lissoug, «Les parcours migratoires des secondos», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 3 janvier 2022, https://www.reiso.org/document/8405
C'est un magnifique article. J' ai beaucoup appris de celui-ci. Merci beaucoup Madame Ngo Pem!
Dorothée Wenger, Montreux