Familles d’accueil: pratiques cantonales variées
En matière de placement des enfants en famille d’accueil, les structures formelles et juridiques ou les offres de prestation cantonales posent un cadre que les acteurs et actrices impliqué∙es interprètent pour façonner leurs pratiques.
Par Frédérique Leresche, collaboratrice scientifique, Annamaria Colombo, professeure HES ordinaire, Béatrice Lambert, professeure HES associée, et Chantal Guex, maître d’enseignement HES, Haute école de travail social Fribourg (HES-SO)
Quels sont les effets des différents systèmes cantonaux de placement extrafamilial des enfants sur la réussite de ces placements ? Afin d’y voir plus clair, la recherche « Enfants placés en famille d’accueil — prochaine génération : comparaison des structures cantonales » [1] avait deux objectifs. Il s’agissait d’une part de décrire les structures des systèmes cantonaux de placement familial de Suisse. D’autre part, l’étude visait à examiner les interactions entre la structure (juridique, administrative et organisationnelle) et les caractéristiques qualitatives pour la réussite des relations nourricières. Pour comprendre les systèmes cantonaux de placement d’enfants, il est en effet nécessaire de tenir compte à la fois des systèmes tels qu’ils ont été pensés et organisés au niveau légal et réglementaire, mais aussi de la manière dont ils sont mis en œuvre concrètement et sont vécus par les acteurs et actrices qui y œuvrent au quotidien ou qui en font l’expérience.
Dans la première partie de l’étude, les systèmes cantonaux de placement familial ont été décrits à l’aide de critères, relatifs par exemple au cadre légal ou à la formation proposée aux familles d’accueil et à leur accompagnement. Cette étape s’est effectuée à partir d’une recherche documentaire, complétée par des entretiens avec des personnes clés pour chaque canton. Sur cette base, une typologie des systèmes de placement en famille d’accueil en Suisse a été élaborée.
Dans une phase suivante, il s’agissait de comprendre les perspectives des différents acteurs et actrices du système de placement familial dans le but de reconstruire ce que peuvent être, de leur point de vue, des orientations pertinentes pour améliorer ces systèmes. Des études de cas approfondies ont été menées dans les cantons suivants : Appenzell Rhodes-Extérieures (AR), Fribourg (FR), les Grisons (GR) et Vaud (VD). Ils représentent trois des quatre types-idéaux de système de placement familial identifiés par la recherche[2] . Ces études de cas ont donc porté sur les expériences subjectives, le vécu et les points de vue des acteurs et actrices (professionnel·les, enfants accueillis, familles d’accueil, parents d’enfants placés).
Plus précisément, il s’agissait de comprendre comment les réglementations, les procédures (par exemple, dans les processus de décision), les structures d’offres et les pratiques des prestataires qui caractérisent le placement familial sont vécues et interprétées par les acteurs et actrices, quelles conséquences elles engendrent pour eux et elles, et comment elles influencent la réussite des placements. Des focus groups (ou, lorsque ce n’était pas possible, des entretiens individuels ou à deux) ont été réalisés dans quatre cantons avec, au total, 52 personnes.
La méthode du focus group (Kitzinger, 1995; Kitzinger et al., 2004 ; Misoch, 2015 ; Morgan et al., 1998) a été privilégiée lorsque c’était possible, car elle permet d’aller au-delà de l’addition de témoignages individuels et de faire ressortir les points communs et les différences entre les situations vécues grâce aux interactions pendant les entretiens. Ceux-ci ont abordé les expériences vécues des acteurs et actrices par rapport au fonctionnement du système de placement en famille d’accueil en suivant le déroulement chronologique avant, pendant et après le placement d’enfants dans ce contexte. Les questions ont été adaptées aux diverses expériences des participant∙es présent∙es.
Concilier protection de l’enfant et accueil familial
Les résultats montrent que les différentes configurations des systèmes de placement d’enfants s’appuient sur des représentations différentes que les professionnel∙les et les parents d’accueil interrogé∙es ont du rôle de la famille d’accueil. En effet, dans tous les cantons étudiés, le système professionnel de placement d’enfants se révèle complexe et implique des acteurs du système d’aide à l’enfance et à la jeunesse, des services cantonaux spécialisés, des autorités de protection de l’adulte et de l’enfant (APEA), des services de curatelle, des services sociaux au niveau communal et des prestataires de services privés. Cette complexité crée un contexte favorable à l’émergence d’enjeux liés à la collaboration entre les différents acteurs et actrices œuvrant au sein d’institutions ayant des missions, des fonctionnements et des statuts divers, voire à une confusion des rôles et des compétences de ces différents acteurs. D’ailleurs, les résultats montrent que ces rôles et compétences ne sont pas toujours clairs pour les familles d’accueil, ni pour les enfants placés et leurs parents.
Au-delà de cette complexité liée à la multitude d’acteurs et actrices impliqué∙es, les professionnel∙les œuvrant dans ces systèmes se retrouvent à devoir concilier, dans leur action, des missions qui peuvent paraître contradictoires. S’ils et elles reçoivent la responsabilité de garantir la protection des droits des enfants placés, ils et elles doivent parallèlement veiller à ce que ceux de leurs parents soient aussi respectés, tout comme ceux des parents d’accueil. Dans le cas de placements volontaires, la collaboration des professionnel·les avec les parents d’enfant(s) placé(s) peut s’avérer plus facile, mais c’est souvent moins le cas lorsque le placement est ordonné, en lien avec la dimension contraignante de la mesure. Par ailleurs, les traditions historiques et les représentations normatives de ce que devrait être une « bonne famille d’accueil » et du « bon accompagnement des enfants placés » jouent également un rôle dans la manière dont les systèmes de placement sont mis en œuvre et vécus par les acteurs et les actrices.
Enfin, les professionnel·les ont, d’une part, la responsabilité de sélectionner, de préparer, de former et d’accompagner les familles d’accueil pour qu’elles parviennent à offrir un environnement d’accueil des plus propices au développement des enfants, mais ils et elles sont également responsables de leur surveillance pour assurer la sécurité de la jeune personne. Ainsi, l’organisation des systèmes cantonaux de placement d’enfants doit permettre de concilier les besoins et le respect des droits de différents publics (les enfants placés, les parents d’origine et les familles d’accueil) avec les différents mandats liés au placement (protection de l’enfant ou surveillance des familles d’accueil par exemple).
En d’autres termes, en matière de protection de l’enfance, les systèmes de placement familial visent à concilier deux objectifs qui peuvent sembler contradictoires ou difficilement compatibles. Premièrement, l’objectif du placement est d’offrir à un enfant sorti (temporairement ou non) de son environnement familial d’origine, un cadre protecteur dans un nouvel environnement familial. Il se trouve alors sous la responsabilité de l’État, garant d’assurer son développement dans les meilleures conditions possibles. Ensuite, à la différence d’un placement en foyer, un placement dans une famille d’accueil (composée de parents et parfois d’une fratrie) permet à l’enfant de grandir dans un contexte relationnel basé sur des valeurs et des normes familiales.
Les quatre systèmes cantonaux de placement en famille d’accueil analysés visent tous à concilier ces deux objectifs. Or, l’analyse des discours des professionnel∙les et des familles d’accueil rencontré∙es montre que certains systèmes tendent à favoriser plutôt l’objectif d’assurer l’encadrement dans un environnement familial, alors que d’autres privilégient davantage la protection étatique de l’enfance. Ainsi, ces deux buts constituent les pôles d’un continuum le long duquel se situent les différents systèmes cantonaux de placement familial.
Selon l’objectif privilégié, la place accordée à la famille d’accueil en tant qu’actrice du dispositif n’est pas la même. Les systèmes qui privilégient l’encadrement dans un environnement familial la considèrent, logiquement, comme le pilier central du système. Dans ce cas, la priorité est de soutenir ces familles d’accueil, afin qu’elles bénéficient des meilleures conditions possibles pour assurer un placement réussi. Les systèmes qui mettent davantage l’accent sur la responsabilité de l’État pour assurer un cadre protecteur à l’enfant placé conçoivent par contre la famille d’accueil comme l’un des maillons d’une chaîne d’acteurs et d’actrices composant le système de protection de l’enfant, celui-ci étant piloté de manière centralisée par les autorités étatiques cantonales.
Malgré ces différences, soulignons que dans les quatre cantons investigués, les parents d’accueil témoignent se sentir parfois pris en tension : ils se trouvent entre des attentes d’offrir un milieu familial le plus « naturel » et « authentique » possible aux enfants placés, et des procédures administratives étatiques qui leur semblent entrer en contradiction avec cet objectif. Ces tensions sont vécues d’autant plus difficilement par ces familles d’accueil qu’elles sont conscientes d’une grande disparité des conditions et des ressources dont elles bénéficient selon les différents systèmes cantonaux, mais également au sein d’un même canton (par exemple, les conditions varient si la famille est suivie par un service public ou par un prestataire privé). Ces résultats corroborent ce que montrent les études menées en France, notamment sur les familles d’accueil et les injonctions contradictoires de la bonne distance (Courée, 2002 ; Sellenet, 2021).
Se focaliser sur les conditions de réussite
L’analyse réalisée montre qu’il n’existe pas un seul système idéal de placement familial, mais que l’attention doit être portée sur les conditions qui favorisent la réussite du placement d’enfant(s). En matière de protection de l’enfance, les systèmes de placement qui considèrent les familles d’accueil comme actrices centrales semblent offrir un accompagnement davantage personnalisé et proche des attentes formulées par les familles. Les inconvénients de cette approche sont la quantité de responsabilités reposant sur les familles d’accueil et la difficulté accrue d’intégrer de manière participative le point de vue des enfants et de leurs parents. A contrario, les systèmes de placement fonctionnant davantage en réseau permettent une meilleure participation de l’ensemble des acteurs et actrices en amont du placement, avec un processus centralisé de coordination et une répartition des rôles claire et transparente, mais avec un accompagnement perçu comme plus administratif et distant.
Dans tous les cas, on constate que peu de place est accordée aux parents d’enfants placés. De même, la mise en œuvre de conditions-cadre permettant la participation des enfants au processus de placement reste un défi important, quels que soient les systèmes investigués dans le cadre de cette recherche.
Références
- Colombo, Annamaria ; Lambert, Béatrice ; Rein, Angela ; Schnurr, Stefan (2023), Rapport final du projet « Enfants placés en famille d’accueil — prochaine génération : Comparaison des structures cantonales », sur mandat de la Fondation Palatin. Fribourg et Muttenz.
- Courée, B. (2002). De quelle liberté professionnelle disposent les familles d’accueil pour autoriser l’enfant à vivre sa vie ? In Le placement familial, une vieille histoire à réinventer (p. 117‑124). Érès.
- Kitzinger, J. (1995). Qualitative research. Introducing focus groups. BMJ (Clinical Research Ed.), 311(7000), 299‑302.
- Kitzinger, J., Marková, I., Kalampalikis, N., & Orfali, B. (2004). Qu’est-ce que les focus groups ? Bulletin de psychologie, 57(471), 237‑243.
- Misoch, S. (2015). Qualitative Interviews. De Gruyter Oldenbourg.
- Morgan, D. L., Krueger, R. A., & King, J. A. (1998). The focus group kit, Vols. 1–6. (p. cxi, 697). Sage Publications, Inc.
- Sellenet, C. (2021). L’accueil familial au prisme des attachements pluriels. Empan, 122(2), 19‑26.
[1] La recherche « Enfants placés en famille d’accueil — prochaine génération : comparaison des structures cantonales » est l’une des trois recherches financées par la Fondation Palatin dans le cadre de son programme « Enfants placés en famille d’accueil : prochaine génération ». Voir le rapport de recherche complet.
[2] L’analyse a permis d’identifier quatre types de systèmes qui permettent de distinguer, d’une part si ce sont les services cantonaux spécialisés qui sont compétents pour les tâches obligatoires ou si ce sont plutôt les APEA et les communes qui sont en charge de ces tâches obligatoires, et d’autre part, si l’accès est tendanciellement illimité aux prestations de soutien pour les parents d’accueil ou au contraire plutôt limité.
Lire également :
- Marie-Thérèse Hofer, Beatrice Knecht Krüger et Natascha Marty, «Un cadre approprié sur la voie de l'autonomie», REISO, Revue d'information sociale, publié le 22 avril 2024
- Liliane Galley et al., «Focus sur les politiques enfance et jeunesse», REISO, Revue d'information sociale, publié le 12 février 2024
- Diana Wider et Gaby Szöllösy, « Renforcer les droits des enfants placés », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 6 mai 2021
- Manon Juillerat et Philip D. Jaffé, «Les fratries comptent dans les familles d’accueil», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 12 octobre 2020
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Frédérique Leresche et al., «Familles d’accueil: pratiques cantonales variées», REISO, Revue d'information sociale, publié le 23 mai 2024, https://www.reiso.org/document/12529