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De l’art d’apaiser les conflits en garderie

Lundi 18.11.2024
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Les conflits en garderie entre les parents et un·e membre de l’équipe éducative tendent à se multiplier, représentant une source de pression importante pour les professionnel·les. Peu utilisée, la médiation est une piste à explorer.

Par Doriane Baettig, médiatrice et avocate, Lausanne

En Suisse, environ 60% des enfants de moins de 13 ans sont confiés à une garde extrafamiliale [1]. Un peu plus d'un tiers (36%) des enfants fréquentent une crèche ou une structure d’accueil parascolaire et 28% sont pris en charge par leurs grands-parents [2].

Ces gardes extrafamiliales représentent un terrain propice aux conflits. « Le travail avec les familles, […] disait un jour une éducatrice, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Les forces affectives sont très puissantes (...). Nous nous retrouvons en face d’exigences contradictoires : protéger, susciter l’autonomie mais aussi maintenir le lien ; intégrer, préparer à l’avenir, mais aussi tenir compte d’un passé fondateur… » [3]. Afin d’en saisir les enjeux, les conflits en garderie ont été abordés ici sous forme d’une étude exploratoire qualitative auprès d’éducateurs et éducatrices en crèche, par entretiens semi-directifs sous forme de questions ouvertes. Une analyse thématique de ces entretiens a contribué à faire émerger convergences et divergences entre parents et professionnel·les.

Les entretiens ont été menés par le biais d’une grille de questions préalablement établie, avec possibilité de poser des questions d’approfondissement. Ces entretiens, d’une durée moyenne de 30 à 60 minutes, se sont déroulés par téléphone. Six professionnel·les de quatre structures différentes [4] ont été interviewé·es. Tous·tes ont travaillé avec diverses tranches d’âge, soit à la nurserie (3-12 mois), chez les mini trotteurs (12-24 mois), les trotteurs (24-36 mois) et les préscolaires.

Il ressort des entretiens que ce sont les conflits avec les parents qui semblent les plus impactants pour les éducateurs·trices interrogé·es, qui en ont tou·tes déjà vécus [5]. Ils constatent par ailleurs de manière unanime que ces derniers augmentent constamment. Justine, directrice d’institution depuis 25 ans, explique cette hausse par une ouverture de la parole, laquelle encouragerait les parents insatisfaits à s’exprimer, ainsi qu’à une relation parent-enfant plus fusionnelle, menant à davantage d’implication du parent sur diverses thématiques pédagogiques.

Sommeil et nourriture, sujets majeurs de discordes

Les problèmes de blessures liées à des chutes ou à des altercations avec d’autres enfants suscitent le plus de différends. Même si ces comportements sont inévitables à un certain âge [6], les parents réagissent fortement aux atteintes, même « minimes », à l’intégrité corporelle de leur enfant.

Des conflits courants concernent également le sommeil — désaccords sur le nombre d’heures, le fait de réveiller ou non l’enfant, l’endormissement autonome — et la nourriture — horaires des repas ou qualité des collations proposées, notamment la quantité de sucre et le label bio.

Finalement surviennent d’autres reproches, moins fréquents, concernant les sorties proposées, les taches sur les vêtements ou d’éventuels objets perdus. De nombreuses crèches ont augmenté leurs tarifs, notamment pour palier à l’inflation, et, de ce fait, les parents s’attendent à des sorties et activités encore plus qualitatives.

Les retours ne sont pas unanimes quant aux tranches d’âges les plus fréquemment concernées. Toutefois, la tranche 2-3 ans semble la plus problématique, en raison de l’augmentation des sources de conflits possibles. Chez les tout-petits, les repas sont composés de purées et le risque de blessures est moindre (peu de mobilité des enfants et peu d’interactions entre eux). Vers 2 ans, les enfants commencent à s’affirmer, à manifester un désir d’autonomie. Ils sont plus mobiles et peuvent facilement chuter et se blesser. L’alimentation se diversifie, avec des attentes spécifiques des parents.

S’agissant d’un profil particulier de parents, certains professionnel·les rapportent que les parents d’un premier enfant peuvent être plus stressés, moins sûrs d’eux et donc plus directifs. Les parents auraient tendance à se détendre avec leur deuxième enfant, ayant moins de craintes et plus de facilité au lâcher-prise. De plus, le lien de confiance est déjà établi avec les éducateurs·trices et la structure, facilitant le dialogue.

Émilie, responsable d’une crèche valaisanne, constate que les relations sont généralement plus simples avec les parents au niveau socio-éducatif élevé. En effet, si le personnel répond de manière circonstanciée et avec une explication pédagogique pertinente à leurs attentes souvent importantes, les parents sont satisfaits et le lien de confiance établi. Les conflits seraient également plus fréquents dans les structures urbaines que dans les campagnes, où l’ambiance serait globalement plus détendue, rapportent deux professionnel·les ayant connu les deux contextes.

Les conflits, source de stress et de pression

Lorsqu’un reproche est formulé directement au professionnel·le chargé·e de faire le retour de fin de journée sans passer par la direction, l’éducateur·trice va tenter de régler le litige en prenant le temps d’écouter le parent et d’expliquer pédagogiquement la raison d’un choix éducatif ou le comportement des enfants d’une tranche d’âge particulière.

Si ce dialogue ne désamorce pas la situation, notamment parce que les parents sont trop énervés, se ferment ou refusent la discussion, la direction est généralement informée. Il s’ensuit un entretien plus formel, agendé à l’avance et préalablement préparé [7], avec l’éducateur·trice référent·e de l’enfant et/ou l’éducateur·trice concerné·e, les parents et la direction. Cet entretien vise à rassurer le parent, le laisser s’exprimer sur son ressenti, ses peurs et ses attentes.

Quand les parents s’adressent directement à la direction, en général par le biais de courriels, la situation se révèle plus compliquée pour les professionnel·les : elles et ils préfèrent en effet que les parents s’adressent d’abord à elle et eux afin de maintenir le climat de confiance qu’elles et ils tentent d’instaurer avec les familles.

Il se révèle rare que les conflits s’enveniment au point qu’un parent mandate un avocat. Aucune des personnes interrogées ne l’a personnellement vécu, mais elles ont connaissance de situations dans lesquelles cela s’est produit avec, à la clef, des moments difficiles à vivre pour les éducateurs·trices concerné·es.

Enfin, des discussions avec l’aide et la présence d’un·e médiateur·trice professionnel·le ne semble pas être une pratique courante dans les structures romandes.

Quand le conflit se poursuit

Majoritairement, un seul de ces entretiens tripartites permet de venir à bout des désaccords. Il arrive toutefois que plusieurs rencontres soient nécessaires. Dans certaines structures, un·e responsable pédagogique neutre intervient lorsque le conflit gagne en intensité et endosse le rôle de médiateur·trice.

Cette gestion interne des conflits semble fonctionner de manière plutôt satisfaisante dans les structures investiguées. Dans la grande majorité des cas, les parents renoncent à se tourner vers les autorités judiciaires ou la presse et la situation parait à terme apaisée.

L’issue de ces différends s’avère constructive si la discussion est bien menée, non vindicative et que les parents se montrent ouverts d’esprit et soucieux de trouver un dénouement positif pour le bien de leur enfant. D’après Amélie, responsable de groupe dans une crèche vaudoise, le fait que les parents se sentent écoutés et entendus suffit en général à les rassurer et à les apaiser. Néanmoins, ces entretiens sont chronophages et énergivores tant pour les éducateurs·trices que pour les membres de la direction, avec des conséquences psychologiques non négligeables.

À l’unanimité, les personnes interrogées rapportent que les conflits avec les parents pèsent sur le personnel. Pénibles à vivre au quotidien, ces situations ont un réel impact sur la motivation au travail. Souvent, les conflits portent sur des broutilles, de sorte qu’émerge un sentiment de non-reconnaissance du travail effectué et de l’investissement quotidien auprès des enfants. En plus, le stress et l’anxiété relatifs à ces situations peuvent conduire à des burnouts et à des arrêts prolongés de travail.

Finalement, un litige peut avoir un effet boomerang sur l’équipe, qui sera touchée par le mal-être de leur collègue impliqué·e ou se verront contraint·es d’augmenter leur charge de travail pour palier à une absence.

Un outil aux avantages reconnus

Outil particulièrement adapté aux conflits à fort potentiel émotionnel, la médiation ne s’intéresse pas à déterminer quelle version des faits est la plus plausible ou la plus proche de la réalité, comme le ferait un juge au tribunal. En médiation, chaque perception de la réalité est légitime, donne un éclairage spécifique au conflit et aide chaque protagoniste à comprendre le ressenti et le vécu des autres.

Faire un usage ponctuel de cet outil, dans les conflits avec les parents les plus escaladés, permettrait de libérer de la charge mentale aux éducateurs·trices concerné·es. Cela leur libérerait également du temps, les différentes taches préparatoires (et chronophages !) incombant alors au ou à la médiatrice. Émilie rapporte qu’en sa qualité de responsable, elle est fréquemment amenée à faire office de « médiatrice ». Or, elle considère qu’elle ne dispose pas des outils nécessaires, ni des ressources temporelles pour le faire à satisfaction. Majoritairement, elle mène ces discussions après sa journée de travail ou sur sa pause de midi, empiétant sur ses temps de repos.

La neutralité d’une personne médiatrice externe à l’institution présente d’autres avantages non négligeables. Plusieurs éducateurs·trices rapportent qu’ils·elles n’osent pas s’exprimer de manière totalement libre devant leur direction. Le personnel pourrait ainsi parler à cœur ouvert lors d’entretiens préparatoires individuels, sans crainte de représailles au niveau professionnel et sous couvert du devoir de confidentialité du·de la médiateur·trice.

S’agissant du parent, cette indépendance vis-à-vis de la structure est également avantageuse, le·a médiateur·trice garantissant un temps de parole équivalent et n’ayant aucun intérêt personnel en jeu. Le·a médiateur·trice se porte garant du cadre et de la liberté des échanges, plaçant tou·tes les intervenant·es sur un pied d’égalité, minimisant ainsi les risques de représailles.

Dans l’objectif de préserver et de protéger au maximum le personnel, le temps que les éducateurs·trices devraient consacrer à la médiation sous forme d’entretiens, de préparations, d’échanges par courriel ou téléphones devrait être comptabilisé comme temps de travail.

Retrouver l’essence du métier

Tout reste à créer en matière de médiation dans les garderies romandes. Ce mode de résolution des conflits semble inusité, voire totalement méconnu des structures. Au vu du potentiel que cela représente sur le terrain, la sensibilisation des directions à cet outil représente un enjeu important. Il reste cependant à se demander si un budget consacré aux séances de médiation pourrait être débloqué par les structures publiques et privées, ou même partiellement pris en charge par l’État, comme pour certaines médiations civiles ou pénales afin notamment de désengorger les autorités judiciaires.

Les éducateurs·trices se montrent globalement très ouvert·es à cette opportunité, la décrivant comme une ressource souhaitable en cas d’adhésion des parents.

Les éducateurs·trices doivent pouvoir se concentrer sur le cœur de leur métier, soit le travail avec les enfants et les aspects pédagogiques. Ainsi, il paraît efficient de déléguer, en tout cas partiellement, la gestion de conflits afin que cette dernière n’empiète pas de manière trop conséquente sur leur cahier des charges et leur temps de travail. L’amélioration du bien-être au travail des éducateurs·trices est multifactorielle et la médiation est une piste à envisager, parmi d’autres, afin de repenser et revaloriser cette profession [8] si essentielle au bon fonctionnement de la société.

Bibliographie

Ouvrages

  • Balmer Alexandre et Hébert Jaques, Les médiations en question dans : Nouvelles pratiques sociales, n 2 : p. 20–30, 2009.
  • De Munck Jean, La crise de l’Etat : la médiation comme symptôme et comme remède. La médiation et les conflits de voisinage dans : La Revue Nouvelle, p. 58-69, 1998.
  • Hébert François, Le travail avec la famille, la reconnaissance du lien dans : Chemin de l’éducatif, p. 117 à 198, 2014.
  • Mirimanoff Jean A. et Courvoisier Francine, F.A.Q. Médiation, Genève 2014.

Sites internet

[1] Accueil extrafamilial des enfants | Office fédéral de la statistique

[2] Ibid.

[3] F. Hébert, 2014, p. 117.

[4] Parmi les six professionnel·es, quatre sont éducateurs·trices, dont l’un en qualité de responsable de groupe, et deux occupent des fonctions directoriales. Ces professionnel·les sont majoritairement au bénéfice d’une formation d’éducateur de la petite enfance, ayant une longue expérience au sein de diverses structures. Ils et elles travaillent dans des structures situées dans les cantons de Vaud, Fribourg et Valais.

[5] Les divergences entre collègues s’avèrent rares et l’ambiance est globalement bonne dans les équipes. Des désaccords avec la direction sont plus fréquents. Les éducateurs·trices ont le sentiment que leur profession n’est pas assez valorisée, que les salaires sont trop bas, leurs cahiers des charges trop étendu et le nombre de semaines de vacances insuffisant pour récupérer. Plusieurs d’entre elles et eux ne se sentent pas suffisamment écouté·es et estiment que leur direction est déconnectée des réalités du terrain.

[6] À partir de 2 ans environ, les enfants doivent apprendre à vivre en communauté, à interagir de manière adéquate et non violente avec leurs camarades et à gérer leurs colères et frustrations selon les codes sociaux en vigueur. Cet apprentissage prend du temps et peut s’avérer laborieux, il disparaît généralement progressivement avec la maîtrise du langage.

[7] Ce qui signifie que la direction entend les explications des éducateurs·trices et cherche à comprendre la situation avant l’entretien.

[8] A l'échelle du pays, le taux de rotation annuel (départs) du personnel de crèche est extrêmement élevé: il atteint 30% par an, soit trois fois plus que la norme et un tiers de plus que dans les soins infirmiers, par exemple, indique une étude de l'institut de recherche Infras, mandaté par la Fédération suisse pour l'accueil de jour de l'enfant (kibesuisse), première du genre en Suisse (https://www.rts.ch/info/suisse/14534479-la-suisse-connait-une-penurie-de-personnel-qualifie-dans-les-creches.html)


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Comment citer cet article ?

Doriane Baettig, «De l’art d’apaiser les conflits en garderie», REISO, Revue d'information sociale, publié le 18 novembre 2024, https://www.reiso.org/document/13366

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