Métiers d’assistant·e social·e : une image à améliorer
A partir du constat du nombre limité d’étudiant-e-s inscrits en formation d’assistant-e social-e, nous avons tenté grâce à deux questionnaires, l’un s’adressant à des jeunes, l’autre à des employeurs, de mieux comprendre la situation.
Par Umberto Russi,responsable de l’orientation Service social à la Haute Ecole fribourgeoise de travail social
Les questionnaires ont été construits à la Haute Ecole fribourgeoise de travail social sur la base des quelques hypothèses, formulées dans un précédent article [1], concernant l’image sociale souvent tronquée et négative des métiers d’assistant-e social-e (AS), susceptible de contribuer à dévaloriser la formation.
L’enquête auprès des jeunes s’est déroulée d’abord lors d’une séance d’information pour les potentiel-le-s candidat-e-s à la formation, le 21 mars 2012 dans nos locaux. La deuxième phase a eu lieu le 29 mars 2012 à Neuchâtel, lors de la séance d’information à l’intention des élèves inscrit-e-s en Maturité spécialisée travail social du Lycée Jean-Piaget [2]. Le questionnaire a été administré pendant les séances d’information, garantissant ainsi un taux de réponse proche du 100%. Au total, 108 questionnaires ont été remplis.
Un premier volet du questionnaire portait sur les connaissances des potentiels champs spécifiques couverts par les métiers d’AS, ainsi que les canaux d’information utilisés par les jeunes. Un deuxième sondait l’image sociale des métiers d’AS. Il s’agissait en définitive de mieux comprendre comment les jeunes se renseignent et sont renseignés sur l’ensemble des métiers du Travail social et sur ceux de l’assistant-e social-e en particulier, ainsi que de saisir quelques facteurs susceptibles de déterminer un choix d’orientation moins favorable à la formation d’AS.
La richesse des possibles champs professionnels indiqués par les jeunes nous a surpris. Nous nous attendions à une image davantage cloisonnée aux champs classiques : aide sociale, protection de l’enfance et de la jeunesse, tutelles et curatelles et quelques autres. Il n’en est rien, ce qui tend à montrer que l’image du métier n’est pas d’emblée aussi stéréotypée que ce qu’on constate parfois, dans les médias notamment.
54% des jeunes affirment avoir reçu des informations sur le métier et la formation d’AS, préalablement aux séances fréquentées. La majorité se renseigne auprès des offices d’orientation scolaire et professionnelle (57% des répondant-e-s), alors qu’Internet (orientation.ch, sites des écoles de travail social surtout) vient en deuxième position.
Auprès des jeunes : une image plutôt positive
En analysant les questions spécifiques consacrées à l’image sociale des métiers d’AS, nous avons constaté que les jeunes énoncent davantage de qualificatifs positifs que de négatifs. Parmi les qualificatifs négatifs, 35% entrent dans la catégorie – construite à partir des mots utilisés par les enquêté-e-s – « Administration, paperasse, bureaucratie ». Cette proportion monte même à 50% dans la réponse à une question subsidiaire portant sur les « fondements d’un manque d’envie de travailler comme AS ». A l’évidence, cette image est très présente chez les jeunes, bien avant leur entrée en formation dans nos Hautes écoles spécialisées.
S’agit-il de représentations, ou du fruit d’une expérience réalisée ? Nous avons pu vérifier le fait qu’une minorité de jeunes cherchent d’eux-mêmes à effectuer un stage dans un métier d’AS (21 sur 108) et que parmi ceux-ci, seulement 11 ont pu en décrocher un. A la question de savoir ce qui serait le plus aidant pour préciser le choix d’orientation, 85% des répondant-e-s indiquent « un stage pratique », alors que 55% mentionnent « une rencontre avec un-e AS ». Le besoin de contact avec la pratique semble donc un levier fondamental pour permettre à davantage de jeunes de « se frotter » avec les métiers d’AS. A terme, cela pourrait avoir un effet positif sur la formation dans nos écoles de travail social et donc aussi pour ce qui est de la relève professionnelle.
Ces quelques résultats de l’enquête auprès des jeunes peuvent être réinterrogés à la lumière du dépouillement du questionnaire envoyé aux terrains préalablement à une rencontre Ecole-Terrains qui a eu lieu le 21 novembre. 47 questionnaires nous ont été renvoyés, pour un taux de réponse de 35% environ. Dans 60% des cas, la dénomination « métier d’AS » a été jugée toujours pertinente pour définir globalement une identité professionnelle. C’est la raison pour laquelle j’utilise cette appellation générique, bien qu’on puisse la trouver trop schématique voire réductrice.
Auprès des employeurs : une image plutôt négative
L’image sociale du métier est évaluée négativement (« réductrice, lacunaire, dégradée ») par deux tiers des répondant-e-s. Souvent, la difficulté à faire connaître et reconnaître la variété et la richesse des métiers a été évoquée. Questionnés sur leur interprétation d’un certain manque d’intérêt des étudiant-e-s pour la formation d’AS, 50% des employeurs indiquent « Trop de travail administratif, trop peu de relationnel ». Les constats semblent implacables et le rapprochement avec les réponses fournies par les jeunes peut être fait à ce niveau : le métier d’AS souffre d’une « mauvaise presse » et l’image de professionnel-le-s occupés à de « l’administration » et trop peu « en relation » avec leur public en est la cause principale.
Les écoles et les terrains – en collaboration – sont les acteurs les plus fréquemment mentionnés dès lors qu’il s’agit de nommer qui devrait se mobiliser pour agir dans le sens d’une amélioration de l’image sociale du métier et de la mise en œuvre de moyens pour rendre plus attractive la formation d’AS. Les « autorités » ou les « politiques », sont souvent mentionnés. Curieusement, l’orientation scolaire et professionnelle n’est que très rarement nommée. Idem pour les associations professionnelles, dont l’action semble être peu connue ou reconnue.
Deux tiers des employeurs estiment important que notre école forme davantage d’AS. On peut noter aussi qu’ils sont 57% à constater un manque d’AS formés lors des mises au concours de postes vacants dans leurs institutions/services. A partir de là, nous avons pu remarquer qu’un tiers seulement des répondant-e-s exigent explicitement, lors du recrutement, un diplôme d’AS. Plusieurs recherchent des « diplômés HES en travail social », mais surtout des compétences spécifiques dans des domaines précis : violence, troubles psychiques, travail à mandat et aide contrainte, droit, etc. Nous avons pu le confirmer : les métiers classiques semblent garder leur pertinence, bien qu’on assiste à des transformations dans le sens d’une hybridation. Dans le métier d’AS surtout, par manque de personnel spécifiquement formé mais aussi par choix de certaines institutions, qui parient sur des nouveaux profils « d’intervenant-e en… ». Si cette tendance n’est pas nouvelle, elle semble se développer.
Des pistes d’action sur tous les fronts
Ces profils de compétence particuliers questionnent aussi notre formation généraliste. Faut-il la maintenir, ou faudrait-il plutôt la transformer dans le sens d’une spécialisation ? C’est ce que nous avons pu soumettre à la discussion lors de la rencontre école-terrains de novembre. Nous avons aussi abordé la question de l’image sociale plutôt négative du métier et de possibles pistes d’action pour l’améliorer. Enfin, le thème des stages a été abordé : comment améliorer les conditions-cadre permettant d’accueillir les jeunes, dans leur période de découverte des métiers (stages d’observation notamment) et pendant la formation dans notre école, sans oublier la possibilité de faire des études « en cours d’emploi ».
Les résultats complets des discussions menées doivent encore être livrés aux terrains ayant participé à notre rencontre, ainsi que les possibles pistes d’action, qui restent à discuter entre partenaires. Il est néanmoins possible d’esquisser quelques impulsions.
Les représentant-e-s des terrains présents ont été unanimes à encourager le maintien d’une formation généraliste. Cet important positionnement pourra nourrir les réflexions sur le plan d’études propre au Domaine Travail social de la HES-SO. Les employeurs demandent des AS formés sur un socle fondamental de connaissances et compétences générales, capables donc de s’adapter à tout champ d’intervention. Ils reconnaissent pleinement leur rôle de formateurs : des connaissances spécialisées doivent s’acquérir durant l’exercice de la profession.
L’image sociale souvent négative du métier d’AS doit être contrée. Le rôle d’information de l’orientation scolaire et professionnelle reste à préciser, tout comme le travail que les employeurs peuvent faire pour l’aider à distiller des informations pertinentes, suffisamment riches et variées sur les nombreux champs professionnels dans lesquels les AS peuvent faire valoir leurs compétences spécifiques. Cela ne suffit pas. Une action ciblée est nécessaire sur le plan politique, pour que les décideurs reconnaissent la complexité de métiers qui jouent aussi un rôle d’alerte sociale. Notre école s’y attelle déjà.
Par ailleurs, les terrains attendent des écoles qu’elles puissent davantage sensibiliser les décideurs politiques à la reconnaissance de la mission de formation que les institutions et services assument. L’engagement demandé est très conséquent, dans des conditions-cadres souvent précaires.
Les jeunes affirment avoir besoin d’effectuer des stages, de pouvoir entrer en contact avec des professionnel-le-s AS. Sur 47 terrains ayant répondu à notre questionnaire, 27 affirment offrir des stages d’observation (outre des stages de plus longue durée). C’est remarquable. Mais est-ce suffisamment publicisé ?
L’Ecole doit pouvoir jouer son rôle de support aux terrains dans l’accueil et l’encadrement des stagiaires, en collaborant par exemple à l’élaboration de contenus pédagogiques adaptés aux profils des jeunes intéressé-e-s. La complexité inhérente à l’accueil possible d’un jeune public ne peut pas être évacuée : surcharge des équipes, gestion de la confidentialité, exposition à des situations très dures sur le plan émotionnel, etc. La collaboration avec les praticiens-formateurs et leurs collègues pourrait être renforcée dans ce sens.
A nous toutes et tous d’agir pour que ces métiers deviennent plus attractifs.
[1] « Assistant-e social-e : un métier d’avenir », REISO, 9 mai 2012.
[2] Je remercie Mélisane Bille Olivier, responsable des stages, d’avoir facilité ma participation à cette séance d’information.