Quel personnel pour l’internat socio-éducatif ?
L’« éducation sociale » a remplacé l’« éducation spécialisée ». Changement de mots qui reflète les évolutions contemporaines. Mais comment mieux définir les titres et le profil des professionnel·le·s engagé·e·s dans les internats ?
Par Bertrand Martinelli, directeur du Home Chez Nous, Le Mont
L’internat socio-éducatif suscite régulièrement des questionnements mais des interrogations se posent de manière plus actuelle de nos jours, en tout cas en Suisse romande. Cet article propose quelques réflexions sur les évolutions contemporaines des profils de formation du personnel éducatif [1] des internats.
Depuis le début des années 2000, l’« éducation sociale » a remplacé l’« éducation spécialisée ». Ce changement de terminologie a été influencé par la mise en place des formations HES dans le domaine du travail social, mais pas uniquement. En parallèle, les milieux professionnels ont voulu assurer une meilleure reconnaissance de ces professions. Ils ont aussi souhaité permettre à de nouveaux secteurs de se rattacher à l’« éducation sociale ». Dix ans plus tard, qu’en est-il sur le terrain ? La notion d’« éducation spécialisée » était souvent rattachée à l’idée de « rééducation » plus que d’« éducation ». Avec l’adjectif « social » qui redit l’importance de l’environnement et du contexte, la nouvelle terminologie a un avantage, du point de vue des représentations tout au moins. Mais cet adjectif reste simultanément une notion mouvante autour de laquelle les professionnel·le·s peinent à se constituer une identité. Ainsi, le changement de nom a permis une ouverture, mais elle a aussi fragilisé l’identité des collaborateur·trice·s relevant de l’éducation spécialisée.
Trois parcours de formation existent aujourd’hui : le diplôme HES avec l’orientation éducation sociale, le diplôme d’éducateur social niveau Ecole Supérieure et le CFC d’accompagnant socio-éducatif (ASE). Durant les dix prochaines années, la régulation de ces profils dans le personnel des institutions va influencer tant l’organisation que la pratique des internats socio-éducatifs. Les cantons vont eux aussi devoir ou vouloir opter pour des modes de régulation plus ou moins libérales.
Du côté des Hautes écoles spécialisées
La formation HES en travail social répond au besoin d’avoir des professionnel·le·s aptes à porter une vision la plus large possible dans les interventions. Ils et elles sont formés au niveau des références théoriques (droit, économie, sociologie, psychologie), des représentations d’une intervention sociale (réseau, structure du secteur social) et des modèles d’intervention. Cependant, dans cette vision, la question des besoins, des connaissances, des vécus propres à l’internat posent deux questionnements.
1. Au niveau clinique. Il concerne l’accompagnement du sujet, au sens psychanalytique du terme. Dans les formations de type HES, la psychanalyse me semble avoir perdu de la place au profit d’autres approches, comme par exemple la systémique. Rappelons que, au quotidien, les interactions entre les intervenants et les usagers demandent à être décodées. La posture réflexive soutenue par les HES peut ici prendre tout son sens. Il me semble pourtant qu’une trop grande place est faite à d’autres disciplines et que la psychanalyse n’est plus enseignée de manière qualitative et quantitative, alors qu’elle permet aux professionnel·le·s de se dégager des enjeux du lien psychique. C’est un facteur important de pénibilité dans le travail en internat [2].
2. Au niveau ambulatoire. Construites souvent comme une alternative à l’hébergement, les mesures ambulatoires ont aujourd’hui une place importante dans le travail social. Cette nouvelle pratique va orienter la représentation des jeunes en formation dans leur choix de carrière. Car les structures ambulatoires sont généralement actives du lundi au vendredi avec des horaires diurnes alors que l’internat, lui, est ouvert 365 jours – et nuits – par année. Ainsi, « faire » des soirées, des levers, des week-ends faisait partie du job. Pas sûr que cette perspective soit aujourd’hui présente à l’esprit des étudiant·e·s en HES, même pour celles et ceux qui ont choisi l’orientation éducation sociale.
Les Ecoles supérieures et les CFC
Même si les Ecoles Supérieures ont besoin d’un peu de temps supplémentaire pour permettre à leurs diplômé·e·s de trouver leur place, des enjeux majeurs se jouent actuellement pour cette filière. C’est par exemple le cas dans le canton de Vaud où la faîtière [3] des associations et fondations qui font partie du tissu institutionnel dans le secteur social est en négociation avec les associations professionnelles et syndicales pour la mise en place d’une nouvelle convention collective de travail. Une question centrale va y être tranchée : faut-il ou non introduire une différence de classification entre les titres HES ou ES, traités à égalité pour le moment ? Une telle différenciation entraînerait des différences de salaire et de cahier des charges et aurait rapidement des effets sur le travail quotidien. Cette question permet d’aborder deux aspects du travail en internat socio-éducatif : les conditions de travail et la formation continue.
Les conditions de travail en internat (en tout cas dans le canton de Vaud avec l’actuelle CCT AVOP) ne sont pour l’heure pas assez valorisées par rapport au travail dans des structures ambulatoires. Au-delà des contraintes horaires, l’accompagnement d’une personne en internat implique une grande continuité dans la responsabilité clinique du développement du sujet. Il faut donc des temps suffisants d’échange entre les professionnel·le·s, ce qui implique un taux d’encadrement probablement supérieur. Une possibilité de reconnaître la complexité de l’accueil en hébergement socio-éducatif pourrait passer par une formation continue spécifique qui aurait alors un double effet : faire reconnaître de manière visible la spécificité de l’accueil en hébergement et donner une base à une valorisation salariale pour les intervenant·e·s concerné·e·s. Sans revenir à l’étiquette d’« éducation spécialisée », on pourrait percevoir dans cette démarche un complément à une formation de base, quel que soit par ailleurs son niveau tertiaire (HES ou ES).
Des référentiels pour cerner les différences
D’une manière synthétique, on peut résumer la question du « référentiel » en éducation sociale sur la base des trois documents cités dans le tableau ci-dessous. Sans entrer dans une analyse comparative poussée, on peut relever que les deux premiers ont été conçus par les lieux de formation et le dernier par des professionnel·le·s. L’idée n’est pas ici de dire qui fait « juste » ou « faux », mais de voir en quoi certains écarts donneraient des informations sur la question du personnel éducatif en internat.
Eviter la focale sur la « pénibilité » du travail
La première lecture de ce tableau fait apparaître de nombreux points communs. Elle formule aussi clairement des différences sur le plan de l’action – experte, autonome ou encadrée [4] – et sur le champ de travail [5]. Deux particularités (conditions de travail et besoins des diverses structures) vont constituer les axes qui permettront à l’identité d’éducateur d’internat d’évoluer à l’avenir. Reste à voir comment ?
Il me semble souhaitable d’éviter qu’une part trop forte de l’identité des éducateurs d’internat repose sur le facteur de la pénibilité du travail. L’idée n’est pas d’ignorer ce point, mais de dire qu’il a une incidence sur la relation entre le personnel éducatif et son image dans le public. De plus, si ces intervenant·e·s représentent de manière exclusive la « pénibilité », notion pour le moins subjective, les processus d’interaction avec les usagers en pâtiraient. Cela tend à montrer qu’une simple reconnaissance par les conditions salariales n’est pas suffisante. Comme suggéré plus haut, des modules de formation continue seraient alors un ingrédient possible, voire nécessaire, à la reconnaissance des éducatrices et des éducateurs sociaux en internat.
[1] A noter que les données statistiques sur ce sujet sont souvent insuffisantes. Sur la thématique des internats, lire par exemple, sous la dir. de F. BATIFOULIER et N. TOUYA, Refonder les internats spécialisés, pratiques innovantes en protection de l’enfance, Paris, Dunod, 2008.
[2] La question de la place du management par rapport à la clinique pose elle aussi des questions propres à l’internat. Cf Martinelli Bertrand, « Peut-on à la fois diriger et faire de la clinique ? », VST-Vie Sociale et Traitements, 2012/4 N°116, p. 125-131
[3] AVOP, Association vaudoise des organisations privées pour personnes en difficulté.
[4] Grand, Olivier, « La question des niveaux de formation et leurs conséquences sur les profils professionnels », Revue N°14 FORS, juin 2009.
[5] Aperçu des thèmes de politique de formation et position d’AvenirSocial, avril 2012.