Thérapie avec le cheval et perspectives de soins
Il n’agresse pas les humains et réagit à leurs émotions. Parfois imprévisible, il a besoin de contacts et de soins. Le cheval est un excellent « média » dans de nombreuses relations thérapeutiques. Par Elodie Lévy Gerber et Sandra Massy.
Par Elodie Lévy Gerber, Les Breuleux (JU), et Sandra Massy, Montricher (VD), thérapeutes diplômées, formatrices
Sven retrouve confiance
Sven, 45 ans, conduit au pas Paco, hongre de race franches-montagnes, en le tenant avec une corde. Tout à coup, le cheval s’arrête net et ne veut plus avancer. Le patient tire sur la corde et commence à vouloir lever sa main pour le menacer. La thérapeute intervient et demande ce qu’il se passe. « Il ne veut pas avancer, il me cherche », répond le patient. La thérapeute l’invite à observer et à savoir pourquoi l’animal s’arrête. « Il a peur », répond Sven. « Et de quoi avez-vous besoin lorsque vous avez peur ? », demande la thérapeute. « D’être rassuré. » Dès ce moment, il change son attitude vis-vis du cheval, baisse sa main, se met à côté de Paco et lui montre le chemin en l‘invitant calmement à le suivre. Il a été convaincant et le hongre le suit maintenant. Sven s’est fait confiance et a réussi à sécuriser un animal de 500 kg. Le patient est content de lui [1].
La thérapie avec le cheval est une thérapie à médiation [2]. Elle utilise le cheval comme média. Cette approche permet un accompagnement du patient à différents niveaux : affectif, social, sensoriel, cognitif et psychomoteur. Selon le type de population prise en charge et les différentes problématiques rencontrées, l’accent peut être mis sur l’un ou l’autre de ces niveaux.
Le thérapeute avec le cheval propose un espace où se rencontrent le patient, le cheval et le thérapeute lui-même. De ce triangle relationnel naissent des interactions qui invitent le patient à vivre une expérience nouvelle reflétant ses fonctionnements et ses ressources. Le patient expérimente, développe et explore de nouvelles attitudes.
Le cheval présente des spécificités propres – il est herbivore, nomade et grégaire – qui constituent tout l’intérêt de la thérapie. Premièrement, comme herbivore, le cheval a un statut de proie dans la nature, il est donc un animal de fuite et ne cherchera pas à agresser (à moins d’être acculé). Cette particularité invite toute personne en interaction avec lui à adopter une communication et des attitudes non-violentes. Comme herbivore et animal de fuite, il est également piloté par ses émotions et pulsions, il n’a donc pas de capacité de décentration et réagit aux émotions et attitudes de son vis-à-vis. Il a ainsi une fonction de miroir pour le patient et le thérapeute. Deuxièmement, parce que le cheval aime vivre en groupe, il va chercher le contact avec les autres et sera sensible aux manières de respecter et délimiter les espaces. Le patient devra développer des capacités à se positionner et à délimiter son propre espace tout en respectant celui de l’animal. Troisièmement, le cheval vit dans l’instant présent. Par conséquent, il appelle le patient à s’ancrer dans l’« ici et maintenant ».
Enfin, il faut aussi relever que cet animal a besoin de « soins » (il faut s’occuper de lui) et qu’il est capable de nous porter. Ainsi, il rappelle deux fonctions reliées au maternage que le thérapeute va utiliser de manière différente selon les objectifs poursuivis. Le patient est à la fois responsable d’un autre être vivant et il peut dans la même séance se laisser porter dans la plus totale confiance.
Charlotte et ses câlins
Charlotte, 6 ans, sort de la voiture toute contente. Elle arrive décidée vers la thérapeute qui l’attend. Sa première tâche est de choisir l’équidé avec lequel elle veut travailler aujourd’hui. La fillette ne parle pas encore et éprouve des difficultés motrices et cognitives liés à une délétion chromosomique. Elle vient depuis bientôt deux ans pour une séance hebdomadaire. Elle sait maintenant communiquer son choix en pointant une photo du poney choisi, puis elle va avec la thérapeute chercher l’animal au parc. Le poney attaché, elle fait le programme de la séance avec la thérapeute, à l’aide de cartes d’activités (de type pictogrammes), puis elle se met au pansage. Une fois le poney prêt, Charlotte montre le tapis pour que la thérapeute l’aide à monter. Elle arrive maintenant à tenir une belle position pendant 45 minutes. Au pas et au trot, son équilibre s’est amélioré, le tonus de son buste aussi. L’enfant participe volontiers aux divers exercices proposés par la thérapeute, mais elle apprécie beaucoup de faire des câlins à son poney pendant le travail. Dans ce lieu particulier, elle est capable de rester concentrée pendant une heure. Régulièrement, la thérapeute avec le cheval participe à des séances du réseau des professionnels (enseignants, ergothérapeute, psychomotricien, logopédiste) qui travaillent avec la fillette. Cela permet de définir des axes communs aux diverses prises en charge spécifiques.
La thérapie avec le cheval permet de travailler la notion de différenciation entre soi et l’autre notamment lors de troubles envahissants du développement. De plus, elle sollicite le côté ressource du patient en mettant en évidence ses compétences et non pas uniquement ses difficultés.
De par son aspect imprévisible, le cheval rappelle également au thérapeute qu’il n’est pas « tout-puissant ». Ces particularités constituent un excellent terreau pour une thérapie. Le cheval potentialise les ressources du patient et les compétences de bienveillance du thérapeute. Au travers du média, la relation thérapeutique se déroule sur un mode ternaire et, par là-même, devient moins frontale et permet de diminuer les résistances.
Diego avait « trop peur »
Diego aime bien venir pour sa thérapie. Il n’est momentanément plus scolarisé pour cause de phobie scolaire mais une fois par semaine, il vient se confronter à un gros animal et il apprend à être en lien avec lui. C’est difficile de s’affirmer face au cheval, mais dans ce contexte sécurisé et avec l’aide de la thérapeute, il va peu à peu prendre confiance en ses capacités. Mener le cheval, puis monter dessus. Accepter de ressentir toute la gamme des émotions possibles, en sécurité et accompagné. Commencer à pouvoir sentir quand « ça va faire trop peur » et s’arrêter avant. Diego a appris, grâce à cet animal lui aussi fortement émotif, à vivre sans être paralysé par l’idée de la peur. Le cheval et la thérapeute ont accompagné le jeune garçon pas à pas, en s’ancrant dans la force de l’instant présent, porté tant par la force que par la fragilité du cheval. D’autres professionnels ont eux accompagné Diego jusque dans sa classe. Avec ces deux approches complémentaires, il a pu reprendre sa scolarité et terminé sa thérapie en disant qu’il s’était fait un ami pour la vie.
Le monde thérapeutique, face à des patients qui ne parviennent pas à s’exprimer verbalement sur leurs difficultés, peut être confronté à des impasses dans certaines prises en charge. La possibilité de réaliser un suivi en thérapie avec le cheval permet de poser un autre regard sur une situation et de privilégier d’autres canaux de communication que le plan verbal, notamment les plans sensoriel, corporel et émotionnel. Le cheval invite à une relation de respect mutuel, les rapports de forces étant exclus. Média vivant, il relie le patient à un élan vital. Cette thérapie permet également de jeter des ponts entre les polarités : la sensibilité et la fermeté peuvent être alliées. De par tous ces aspects, ses perspectives de soins sont riches et multiples.
Retour avec Sven qui parle de la séance. Elle constitue un ancrage pour lui : tenir compte de ce que l’autre ressent. Le patient a pu expérimenter une attitude différente de celle qu’il connaît. Cette expérience constitue un moteur pour amorcer un changement, pour commencer à oser être autrement. De retour à l’institution, il s’agira pour lui de transférer cette expérience à d’autres contextes de vie.
La thérapie avec le cheval permet de prendre en charge différents types de population, l’éventail étant large et varié. Elle constitue une alternative de soins pertinente lors de problématiques complexes. Certaines limites doivent pourtant être prises en compte, notamment l’impossibilité de prendre en charge des patients en situation de crise aiguë et nécessitant un cadre hypostimulant ainsi que les problématiques orthopédiques et les fragilités osseuses pour lesquelles un avis médical est requis. Des troubles somatiques importants et/ou des traitements médicamenteux diminuant de manière significative la vigilance nécessitent également des adaptations au niveau de la séance. La question des allergies doit de plus être abordée.
Contrairement à ce que l’on croit souvent, il importe de relever que la peur du cheval ne constitue pas une contre-indication à cette thérapie.
[1] Les prénoms cités dans cet article ont été modifiés, mais les situations sont réelles.
[2] Pour en savoir plus :
- Formation continue : Diplôme en thérapie avec le cheval, de la Haute Ecole de travail social et de la santé · EESP · Lausanne. Informations complémentaires sur cette formation postgrade en ligne. Les deux auteures de cet article sont formatrices dans ce DAS.
- Site de l’Association suisse de thérapie avec le cheval (ASTAC).