Violence à l’encontre du personnel soignant
Une vaste enquête menée dans les EMS et les CMS du canton de Vaud montre que les collaborateur·trice·s sont couramment victimes d’insultes et de violences physiques. A quelle fréquence ? Et existe-t-il des pistes de prévention ?
Par Stéphanie Pin, Docteure en sciences sociales, Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP), CHUV
Si la maltraitance des personnes âgées est désormais reconnue et appréhendée par les différents acteurs concernés, celle à l’égard des soignant-e-s et des personnels travaillant en établissements médico-sociaux (EMS) et dans les centres médico-sociaux (CMS) est plus rarement évoquée publiquement, à l’exception de faits divers qui, ponctuellement, font les unes de nos quotidiens.
Pourtant, la violence est courante dans ces professions comme dans d’autres, à l’instar des métiers de la police, de l’enseignement et de la santé. Le travail isolé et le contact avec des clients ou des patients, en particulier lorsqu’ils se trouvent dans des situations de tension personnelle, qu’ils sont sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool ou qu’ils souffrent de maladies pouvant être associées à des comportements agressifs augmentent les risques, pour les professionnels concernés, d’être confronté à des actes de violence à leur encontre.
Les professionnels travaillant dans les EMS ou les CMS auprès de personnes âgées fragiles sont également concernés par la violence émanant de résident-e-s ou de client-e-s. Pourtant, on dispose de peu de données sur l’ampleur de ce phénomène qui peut avoir des conséquences importantes sur la santé, le bien-être et la satisfaction au travail de celles et ceux qui exercent dans ces institutions.
Première enquête représentative en Suisse romande
Pour pallier cette lacune, et à la demande du Service de la santé publique, l’Institut de médecine sociale et préventive a réalisé, en février et mars 2017, une enquête auprès des collaborateurs et collaboratrices des EMS et des CMS du canton de Vaud. Il s’agissait d’une part d’estimer la fréquence de professionnel-le-s qui, au cours de leur parcours professionnel, dans les douze mois et les sept jours précédant l’enquête, ont été victimes de violence de la part de résident-e-s, de client-e-s ou de leurs proches, en distinguant différentes formes de violence (insultes verbales, menaces, agressions physiques). D’autre part, l’enquête devait permettre d’évaluer si les mesures de formation, d’accompagnement et de prévention disponibles au niveau des établissements et des services étaient connues et utilisées par les professionnels.
Avec le soutien des faîtières d’EMS (Heviva, Federems) et de l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile (AVASAD), 34 EMS et 14 CMS ont été sélectionnés aléatoirement de manière à obtenir un échantillon représentatif. Les modalités de collecte ont été adaptées en fonction du contexte des structures : par questionnaires papier pour les EMS et par enquête électronique pour les CMS. Tous les collaborateurs et collaboratrices des établissements sélectionnées ont été invités à répondre à un questionnaire qui reprenait, en le traduisant et en l’adaptant, un instrument développé par Zeller et collègues (2012) pour une enquête dans des EMS de Suisse allemande. Le questionnaire précisait qu’« on est en présence d’un comportement agressif lorsqu’une personne se sent menacée, attaquée ou blessée (verbalement ou physiquement) »5.
Au final, 1'040 collaborateurs et collaboratrices d'EMS (représentant 47% des personnes contactées) et 495 professionnel-le-s des CMS (soit 66% des personnes contactées) ont répondu au questionnaire. De manière similaire à la répartition des catégories socio-professionnelles au sein de ces structures, les soignant-e-s constituent la part la plus importante des professionnel-le-s interrogés, mais l’enquête permet également d’obtenir les expériences et opinions des professionnels du travail social, des auxiliaires de ménage, du personnel d’animation et du personnel administratif, technique ou hôtelier.
Des professionnels fréquemment exposés
De manière concordante avec les résultats d’enquêtes menées au niveau international et en Suisse allemande, les professionnel-le-s des EMS et des CMS ont été fréquemment exposés à la violence durant leur parcours professionnel et dans le cadre de leur emploi actuel. Ainsi, 57.6% des collaborateurs et collaboratrices interrogés dans les EMS et 28.6% dans les CMS déclarent avoir été victimes d’au moins un acte violent de la part de personnes soignées ou de leurs proches au cours des douze derniers mois.
Les insultes sont les actes les plus fréquemment rapportés (53.3% dans les EMS ; 17.0% dans les CMS), devant les agressions physiques (36.7% dans les EMS ; 4.3% dans les CMS) et les menaces (23.9% dans les EMS ; 7.2% dans les CMS). Ces actes de violence, quelle que soit la forme, sont le plus souvent commis par des résident-e-s ou des client-e-s ; les proches sont principalement à l’origine d’insultes, pour environ un dixième des personnes interrogées, dans les EMS comme dans les CMS.
Au cours des sept derniers jours, ce sont 23.8% des personnes interrogées dans les EMS et 3.1% des collaborateurs et collaboratrices des CMS qui rapportent avoir subi des actes agressifs, qu’il s’agisse d’insultes (22.7% dans les EMS ; 2.9% dans les CMS), d’agressions physiques (11.9% dans les EMS ; 0.4% dans les CMS) ou de menaces (9.5% dans les EMS ; 0.6% dans les CMS).
On constate que les actes violents sont plus fréquemment rapportés par les professionnel-le-s des EMS que des CMS ; la proportion de personnes présentant des signes d’agressivité verbale et/ou physique, couplés ou non à des problèmes de communication, est également plus élevée parmi les résident-e-s des EMS que parmi la clientèle des services d’aide et de soins à domicile. Au sein des structures, si potentiellement toutes les catégories de professionnel-le-s sont concernées par la violence, ce sont les personnels en contact direct avec les résident-e-s ou les client-e-s qui sont les premières victimes : les infirmier-ère-s, les aide-soignant-es ou auxiliaires de santé, les professionnel-le-s du travail social ou de l’animation socio-culturelle. Une large partie de ces répondant-e-s s’estiment par ailleurs insuffisamment formé-e-s pour faire face à des comportements agressifs qu’ils ou elles rencontrent ou pourraient rencontrer dans leur activité professionnelle.
Des conséquences potentiellement délétères
Même si l’enquête ne portait pas spécifiquement sur les répercussions des actes de violence sur la santé ou la qualité de vie des professionnel-le-s, quelques questions exploraient les suites données aux actes agressifs subis durant les douze derniers mois. Les deux tiers des professionnel-le-s ayant été victimes d’au moins un acte agressif durant cette période, dans les EMS comme dans les CMS, déclarent avoir eu besoin de soutien suite à la violence subie. Les formes de soutien les plus souvent rapportées sont la discussion ou l’entretien sur l’incident avec un collègue de travail, puis la discussion ou l’entretien avec le supérieur direct, le service RH ou la direction. Environ 5.0% des victimes ont été en arrêt de travail suite à la violence subie durant les 12 derniers mois.
Par ailleurs, environ un tiers des victimes évaluent la dernière agression physique subie (37.3% dans les EMS ; 28.2% dans les CMS) ou la dernière menace subie (29.3% dans les EMS ; 28.0% dans les CMS) comme très ou extrêmement gênante. 24.0% des victimes travaillant dans les CMS et 20.4% des victimes au sein des EMS évaluent leur dernière insulte subie comme très ou extrêmement gênante.
Des modalités de prévention hétérogènes
L’enquête pointe enfin le rôle essentiel joué par les directions et l’encadrement dans la gestion des situations de violence et l’accompagnement des victimes. Une majorité de professionnel-le-s interrogés, ayant subi ou non des actes de violence dans le cadre de leur activité professionnelle, estiment que les victimes peuvent recevoir un soutien (75.6% des répondants des EMS et 85.8% des répondants des CMS) et reconnaissent que des mesures existent pour signaler (39.8% dans les EMS gériatriques, 43.9% dans les EMS de psychiatrie de l’âge avancé et 56.8% dans les CMS), gérer les situations d’agressions (respectivement 31.1%, 39.6% et 56.7%) ou accompagner les personnes les ayant subies (respectivement 35.6%, 44.8% et 62.2%). La situation est toutefois plus homogène dans les CMS que dans les EMS où une démarche de sensibilisation à la thématique et de formalisation de sa gestion mériterait d’être entreprise.
Cette enquête de grande envergure offre ainsi un premier bilan des situations de violence à l’encontre des personnels des CMS et des EMS. Fréquemment exposés à la violence durant leur parcours professionnel et à leur poste actuel, les professionnel-le-s interrogé-e-s relèvent toutefois l’existence de mesures de signalement, de gestion et de soutien au sein de leur structure. Même si elles n’aboutissent que rarement à des arrêts de travail, ces violences subies ne doivent pas être banalisées, car elles peuvent, surtout quand elles sont répétées, avoir des conséquences à court ou à long terme sur la santé physique et psychique des collaborateurs et collaboratrices. Elles peuvent également, au sein d’une équipe ou d’un établissement, avoir des répercussions au-delà des victimes elles-mêmes et impacter durablement la satisfaction et la motivation au travail.
Pistes pour un plan de prévention
Les origines des actes de violence commis par les résident-e-s, les client-e-s ou des membres de leur entourage étant multifactorielles 5, les mesures à mettre en œuvre pour prévenir les situations de violence ou accompagner les collaborateurs et collaboratrices atteintes de violence combinent des actions visant l’environnement de travail, les collaborateurs et collaboratrices et les résident-e-s ou client-e-s. La prise en compte des actes agressifs par l’employeur constitue la première étape, indispensable, d’un plan de prévention et de gestion des violences au sein d’un établissement.
Suite à une revue documentaire portant sur la violence dans les lieux de soins de longue durée, Richter (2013) 4 formule plusieurs recommandations qui nous semblent s’appliquer au contexte vaudois :
- Développer un concept ou des recommandations spécifiques adaptées à l’établissement, où tous les types d’agression survenant dans l’institution sont décrits en détail et abordés de manière préventive.
- Elaborer des normes de soin pour la gestion des comportements agressifs chez les résidents.
- Identifier les compétences actuelles des collaborateurs et collaboratrices en matière de gestion des actes agressifs, de désescalade, d’attitudes face aux résidents agressifs.
- Former les collaborateurs et collaboratrices à la gestion de comportements agressifs.
- Mettre en place de la supervision et de l’intervision pour gérer les situations où les collaborateurs et collaboratrices sont victimes d’actes agressifs.
Références
- Pin S, Simonson T, Henry V et Amiguet M. Violence à l’encontre du personnel des EMS et des CMS du Canton de Vaud. Lausanne, Institut universitaire de médecine sociale et préventive, 2017 (Raisons de santé 282). En ligne
- Debout M. Travail, violences et environnement. Paris: Conseil économique et social, 1999. En format pdf
- Zeller A, Dassen T, Kok G, Needham I, Halfens RJG. Factors associated with resident aggression toward caregivers in nursing homes. Journal of nursing scholarship. 2012;44(3):249-57.
- Richter D. Agressions dans les établissements de soins de longue durée. Tableau nuancé du problème. Berne: CURAVIVA Suisse, 2013. En format pdf
- Zeller A, Hahn S, Needham I, Kok G, Dassen T, Halfens RJ. Aggressive behavior of nursing home residents toward caregivers: a systematic literature review. Geriatric Nursing. 2009;30(3):174-87.
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Stéphanie Pin, «Violence à l’encontre du personnel soignant», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 11 octobre 2018, https://www.reiso.org/document/3564
Bonjour,
Notre petite structure de 20 lits à été confrontée à ce problème. Je pense qu’en formant et informant le personnel (être ancré-centré, voir la bulle du résidant avant de lui faire sa toilette par exemple), en apprenant à ne pas entrer dans l’escalade en utilisant des outils adaptés, les choses sont beaucoup plus simples. Nous sommes tous formés à la méthode Montessori.
Merci et cordialement
Josiane Landry,