Regard sur 50 ans d’animation socioculturelle
L’animation socioculturelle ne peut pas s’adresser seulement aux jeunes. Dans les centres ou le travail social hors mur, son action passe désormais par les réseaux familiaux, l’environnement social et les lieux de formation.
Par Abdel Bouzouzou et Marie-Christine Kluker, FASe, Genève
C’est au début des années 60 que le canton de Genève décide de soutenir financièrement des actions d’animation, prenant ainsi le relais des organisations chrétiennes de jeunesse [1].
Dans un contexte de haute conjoncture, d’urbanisation rapide, d’immigration élevée et de vieillissement de la population, les autorités cantonales donnent à l’animation la mission de « prévenir la délinquance juvénile ». Il s’agit de proposer aux mineurs des loisirs « sains et éducatifs », dans une perspective complémentaire à l’école et à la famille. L’animation s’adresse à la jeunesse considérée comme potentiellement dangereuse.
L’animation socioculturelle ne s’impose que plus tard. Elle reflète l’évolution des programmes d’action qui s’ouvrent à toute la population des quartiers et communes, décidés par les associations de centres et proposés par les animateurs dont la formation se développe.
L’âge des populations bénéficiant des programmes, l’organisation et la neutralité politique des centres font l’objet d’intenses débats parlementaires au début des années 70.
Il en résulte un compromis prévoyant l’organisation de loisirs pour les mineurs, avec la possibilité d’activités pour adultes si la commune d’implantation valide cette option. La structure des centres reste associative, l’option de leur municipalisation n’étant pas retenue. Une structure de concertation est instaurée par le Conseil d’Etat genevois fin 1976 afin que les principaux partenaires impliqués puissent régler entre eux, sans politisation, les questions cadres quant aux missions, à l’organisation des centres et à la répartition des subsides cantonaux pour la rétribution du personnel. Ainsi nait la Commission cantonale des centres de loisirs et des centres de rencontres (CCCLR) composée de représentants de l’Etat cantonal, des communes genevoises, des associations de centres (regroupées dans leur fédération FCLR), des animateurs et animatrices, via leurs syndicats. Ce partenariat, original et probablement unique, subsiste toujours.
Le tournant des années 90
Quinze ans plus tard, l’ouverture des programmes à toute la population est admise dans pratiquement toutes les communes concernées. A l’époque, une trentaine de centres sont à disposition des habitants.
En 1993, les principes d’action sont transcrits dans une Charte cantonale, avec comme objectif général la prévention, qui se concrétise au travers de deux axes prioritaires indissociables :
L’action éducative, complémentaire à celles de la famille et de l’école pour les enfants et les adolescents.
L’action associative et socioculturelle destinée à toutes les populations.
Mais d’importants changements vont conduire à remettre en cause cet équilibre, en particulier :
- La conjoncture économique se dégrade et entraine la précarisation de la population, la progression du chômage et des difficultés pour les jeunes de trouver un premier emploi.
- L’âge de la majorité, abaissé à 18 ans, met en évidence d’importants conflits intrafamiliaux autour des moyens de subsistance.
- La modification des barèmes HLM, sur fond de crise du logement, réduit la mixité sociale, ce qui provoque des difficultés de cohabitation, ainsi qu’un impact négatif sur les finances de plusieurs communes par la baisse des revenus fiscaux et l’augmentation des coûts des appuis sociaux individuels et collectifs.
Dans ce contexte, les problèmes de financement public engendrent des choix de priorité, laquelle est attribuée aux programmes destinés aux mineurs. Les activités culturelles des centres, qui offrent aux populations adultes des occasions de rencontre, sont fortement restreintes.
Sur le terrain, l’animation socioculturelle en centres est confrontée à de grandes difficultés avec la population adolescente, notamment à des actes de violence plus ou moins graves à l’encontre du personnel d’animation. L’âge d’accès aux accueils libres va être plafonné à 18 ans. Les programmes destinés aux jeunes comportent souvent des lacunes pour certains âges. Les horaires d’accueil en soirée se restreignent progressivement et, dans de nombreux lieux, l’heure de fermeture passe de 23 à 22, 21, 20, voire 19 heures.
Un double mouvement va aboutir à la mise en place d’actions expérimentales de ce qui deviendra le travail social hors murs (TSHM). D’une part, des animateurs préconisent qu’il faut aussi aller vers les jeunes et plus généralement vers les populations qui ne fréquentent pas ou plus les centres. Des pôles d’animation se développent dans des parcs publics proposant activités et rencontres à la population présente. D’autre part, des communes souhaitent l’intervention d’ « éducateurs de rue » afin de rétablir un climat de respect mutuel dans certains quartiers, entre jeunes et adultes, dont les aînés.
Le travail en réseaux interinstitutionnels se développe pour disposer de regards et de réponses complémentaires par rapport aux problématiques constatées, notamment en matière d’intégration, de comportements à risques excessifs et d’actes violents.
Afin de consolider son financement, la CCCLR évolue en une fondation de droit public, Fondation pour l’animation socioculturelle (FASe), instituée par la loi J.6.11 votée en 1998 à l’unanimité du parlement cantonal genevois. La loi intègre dès 2002 le travail social hors murs, développé dans de nombreuses communes du canton.
Volonté politique et contractualisation
Les années 2000 sont marquées par les obligations légales de négocier et signer des contrats de prestations entre la FASe, l’Etat, les communes et les centres associatifs. Fin 2007, l’Etat, par la voix du chef du Département de l’instruction publique, affirmera pour la première fois des attentes claires par la désignation de quatre domaines d’action qu’il juge prioritaires. Trois de ces domaines concernent la contribution de la FASe à la lutte contre l’échec scolaire et le quatrième la mise sur pied par la FASe de « l’assistance personnelle » prévue par le nouveau droit pénal des mineurs (art. 13), pour une période expérimentale de 3 ans. Ce dernier domaine s’est concrétisé par la mise en place d’une unité composée d’éducateurs sociaux mandatés par le Tribunal des mineurs pour une mesure s’adressant tant au jeune qu’à sa famille.
Constats, interrogations, perspectives
Les expériences menées depuis 50 ans permettent aujourd’hui de poser quelques constats et interrogations, notamment quant à la question récurrente des relations entre jeunesses, société civile et animation socioculturelle.
Premièrement, les « problèmes des jeunes » sont-ils des problèmes de jeunes ? Faut-il s’occuper toujours plus des jeunes ?
Tout professionnel du travail social en lien avec des jeunes en grandes difficultés perçoit rapidement que les adultes de leur entourage familial, les professionnels et institutions censées les soutenir agissent dans des contradictions, des doubles messages et une incohérence problématiques. Pour parvenir à l’amélioration de ces situations, il est indispensable de travailler aussi, voire d’abord, avec ces adultes qui ont le pouvoir de renforcer ou de fragiliser les perspectives d’avenir des jeunes.
Dit autrement, si on veut que les bénéficiaires de l’animation socioculturelle soient les jeunes, il faut aussi travailler avec leur entourage adulte. Ce qui est en jeu, c’est la capacité intégrative de la société, celle de fabriquer de la cohésion sociale afin d’éviter les guerres des générations, des places et des cultures.
Deuxièmement, les jeunes ne sont pas une catégorie homogène. Ceux d’entre eux vivant dans des conditions de précarité et de rupture multifactorielle représentent moins de 10% de la population des 15-25 ans. Ce relativement faible pourcentage ne saurait occulter les risques liés à la précarisation de très larges couches de la population, dont les effets vont se reporter sur de nombreux jeunes.
Troisièmement, bien des animateurs ont pu ressentir comme un échec le fait de ne pas être parvenus à accompagner ces jeunes vers un équilibre entre autonomie et responsabilité. Pourtant, de nombreux témoignages montrent l’importance de leur présence et de leur accompagnement, même si les effets positifs se manifestent seulement après plusieurs années. Les professionnels de l’animation socioculturelle ont aidé ces jeunes à grandir, ils ont été pour eux des tuteurs de résilience.
Le monde change, l’animation socioculturelle également. Elle se veut aujourd’hui un appui éclairant pour les jeunes et leurs réseaux familiaux, sociaux, de formation, pour les quartiers ou encore pour les autorités. La FASe, version 2011, poursuit ses évolutions et a remis à l’ordre du jour l’animation socioculturelle non seulement avec les jeunes, mais aussi pour le renforcement du respect de la diversité et la promotion de la démocratie participative. Elle est un acteur clé de la cohésion sociale, privilégiant une approche de développement des compétences sociales des personnes, au service d’un projet axé sur le (toujours) mieux vivre ensemble.
[1] Ce retour sur l’histoire a pour but de mettre en évidence quelques étapes clés du développement de l’animation socioculturelle dans le canton de Genève, organisée depuis 1998 dans le cadre de la FASe (Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle, site internet).