Alliances contre la baisse de l’aide sociale
Afin d’éviter les réductions de l’aide sociale proposées par l’UDC, une coalition s’est constituée dans le canton de Berne. Sur le plan national, la mobilisation s’organise. Les cantons romands sont aussi concernés.
Par Ueli Tecklenburg, ancien secrétaire général de la CSIAS, Crissier
Souvenons-nous, le 5 septembre 2013, le Grand Conseil bernois acceptait une motion de l’UDC Ueli Studer intitulée sournoisement « Optimisation des coûts de l’aide sociale » (en allemand ; en français officiellement « Réduction des coûts de l’aide sociale ») qui demandait une réduction de 10% des dépenses de l’aide sociale [1]. Et ceci aussi bien en ce qui concerne le forfait de base, les suppléments d’intégration que les prestations circonstancielles. A la veille de cette votation au Grand Conseil, une coalition de différentes organisations non gouvernementales appelée « Alliance CSIAS » s’était constituée qui se donnait comme but d’empêcher l’acceptation de la motion. Ce regroupement d’organisations, dont faisaient partie entre autres l’organisation professionnelle AvenirSocial, l’OSEO Berne, le comité des chômeurs et des personnes concernées par la pauvreté (KABBA), élaborait un dépliant, distribué à tous les députés et les membres des exécutifs communaux notamment, et demandait des entretiens directs avec tous les groupes parlementaires en essayant de les convaincre du bien-fondé du maintien d’un minimum vital social et donc de rejeter la motion.
Les différents points de la motion étaient soumis au vote de manière séparée et certains parmi eux atteignaient même une majorité relativement confortable. Si la votation sur la réduction du forfait de base atteignait encore une majorité relativement courte de 77 voix contre 65, la réduction des suppléments d’intégration comptait déjà avec une majorité de 97 voix contre 46. Ce qui laisse supposer que même quelques élus de gauche, en tous cas en ce qui concerne les suppléments d’intégration, se laissaient séduire par les chants de sirène de la droite (la gauche disposait alors de 54 sièges au Grand Conseil).
Non conforme à la dignité humaine
L’acceptation de la motion oblige le Gouvernement bernois à présenter une révision de la loi sur l’aide sociale qui stipule aujourd’hui encore que les normes de la CSIAS ont force obligatoire dans le canton. Ceci signifie que le Grand Conseil sera de nouveau appelé à se prononcer sur cette modification de la loi. En vue de ce nouveau débat au parlement bernois, une nouvelle coalition d’organisations s’est constituée. Celle-ci a lancé au début mars une pétition demandant au Grand Conseil de « renoncer à la réduction de l’aide sociale de 10% et de garantir un minimum vital social ». Dans le texte de la pétition on peut lire notamment : « Cette réduction aurait comme conséquence que les bénéficiaires de l’aide sociale ne pourraient plus assurer leurs besoins fondamentaux. Les enfants et les jeunes seraient en grande partie touchés puisqu’ils représentent 1/3 des bénéficiaires de l’aide sociale. Une réduction de l’aide sociale compromet l’intégration sociale et professionnelle sur le long terme et ne permet pas de mener une vie conforme à la dignité humaine. » [2]
La pétition est soutenue par une quinzaine d’organisations dont les partis de gauche, SSP-VPOD, les membres de « l’Alliance CSIAS » mentionnée ci-dessus, Caritas Berne, Pro Senectute Berne, les Juristes démocrates, notamment. La récolte des signatures est prévue jusqu’à la fin mai et devrait être déposée au Grand Conseil pour la session de juin.
Comme il était à craindre, l’exemple bernois a déjà fait des émules dans d’autres cantons. Des postulats ou motions en la matière ont été déposés ou ont déjà été traités par les parlements cantonaux respectifs. Ceux-ci vont de l’interdiction des voitures pour les bénéficiaires de l’aide sociale, à l’abolition des normes CSIAS, jusqu’à la réduction pure et simple des barèmes de l’aide sociale. Rappelons aussi que l’UDC suisse a inscrit la réduction des normes de la CSIAS dans son programme de parti. C’est pourquoi, au niveau national, une « coalition contre les attaques à l’aide sociale » est en train de voir le jour. Différentes organisations non gouvernementales se sont regroupées pour discuter de la manière de contrer cette campagne orchestrée par la droite visant un démantèlement social qui touche en premier lieu les plus faibles de notre société. Elle démontre aussi une certaine lâcheté, car les personnes concernées n’ont ni lobby puissant, ni constituent un potentiel d’électorat pour le parti de Christoph Blocher.
En Valais et à Neuchâtel aussi
Ce serait cependant un leurre de croire que ces attaques contre l’aide sociale s’arrêtent aux frontières des partis ou aux frontières linguistiques. Ainsi, en novembre 2013, deux députés valaisans PDC ont déposé une motion presque identique à celle de Berne devant le parlement cantonal, visant donc également une réduction de 10% des normes CSIAS. Le gouvernement neuchâtelois de son côté a déjà décidé d’abaisser les barèmes d’aide aux bénéficiaires de l’aide sociale âgés de moins de 36 ans.
Notons enfin que c’est la première fois dans l’histoire moderne de l’aide sociale qu’une telle réduction globale des barèmes de l’aide sociale est exigée. Depuis 1963, date de la première publication de normes chiffrées par la CSIAS, celles-ci, lors d’une quinzaine de révisions, ont toujours été augmentées, parfois juste comme adaptation aux coûts de la vie, parfois de manière considérable.
[1] Lire aussi, sur les attaques contre l’aide sociale, l’article publié par REISO le 25 avril 2013 : « Pas de répit pour l’aide sociale en Suisse alémanique »
[2] Soziales Existenzminimum.