Quand les proches aidants agissent ensemble
La société reconnaît l’immense travail accompli par les proches aidant·e·s en Suisse. En revanche, ils et elles ne sont pas encore reconnus comme un partenaire incontournable dans les diverses étapes socio-sanitaires de l’accompagnement.
Par Waltraut Lecocq, présidente de l’Association de proches aidants, Vullierens
Un jour ou l’autre, nous sommes tous proche aidant·e [1]. C’est-à-dire une personne qui soutient un·e proche atteint·e dans sa santé et son autonomie. On sait que cette aide a plusieurs caractéristiques : elle est effectuée à titre non-professionnel, de près ou de loin, sur un rythme régulier ou irrégulier, auprès d’un membre de la famille, conjoint·e, parent ou enfant, d’un voisin ou d’un ami.
Ce que l’on connaît moins, ce sont les aspects multiformes de ce soutien. Car être proche aidant·e, c’est se renseigner et apprendre les particularités de la maladie en question. C’est aussi être témoin au quotidien des symptômes, de la souffrance physique ou psychique. C’est aider son proche dans des gestes autrefois banals, veiller à l’alimentation, à l’hygiène, à la prise des médicaments, à la sécurité. C’est encore découvrir le milieu médical, accompagner son proche chez le médecin, à l’hôpital et avoir des relations régulières avec les équipes des soins. Etre proche aidant, c’est poser des questions, demander des éclaircissements, évaluer les alternatives et faire entendre sa voix et celle de son proche aidé lorsqu’il faut prendre des décisions importantes. C’est faire face à des questions administratives, car il s’agit parfois de gérer la totalité des affaires du proche aidé, faire ses paiements, documenter des dossiers de demande de rente, remplir les déclarations d’impôts, demander des prestations complémentaires si nécessaire. Et, par dessus tout, être proche aidant, c’est être en relation, communiquer avec l’aidé, la famille, les intervenants de santé, l’administration. Dans un équilibre fragilisé, il faut garder les pieds sur terre, son calme, écouter, expliquer, discuter, confronter, décider…
De pair à pair, d’égal à égal
Même si des programmes fédéraux et cantonaux se préoccupent de leur situation, les proches aidant·e·s se sont associés pour s’entraider. Ils ont créé l’Association des proches aidants [2] où la rencontre a lieu dans une relation d'entraide, en cela différente d’une relation d’aide. Les participant·e·s se rencontrent et échangent de pair à pair, d’égal à égal, ce qui renforce la confiance et permet de parler librement. Chaque situation est unique même si le ou la proche aidant·e se reconnaît partiellement dans l’histoire de l’autre. L’écoute et le partage des histoires avec ses joies et ses peines diminuent le poids des responsabilités de l’engagement qui pèsent sur ses épaules, permettent de partager des compétences. Cette dynamique, soit personnalisée, soit en groupe, accompagne, motive, donne de la force et soutient l’engagement auprès du proche aidé. Elle encourage aussi à entreprendre une réflexion et à oser parfois une évolution.
Que ce soit auprès d’un enfant, d’un conjoint ou d’un parent âgé, les soucis, les questionnements et les émotions se ressemblent beaucoup. Des thèmes très variés émergent, desquels naissent des échanges riches. Nous discutons de la difficulté d’être proche aidant à distance, de l’engagement que l’on peut être amené à assumer auprès de parents et beaux-parents en même temps, et de la reconnaissance du statut du proche aidant. Nous abordons les soucis financiers, la rémunération du proche aidant, les tracas administratifs et la succession. Une personne soulève les temps d’attente pour un diagnostic, une étude d’un dossier pour l’assurance invalidité, une rente d’impotent et les divers remboursements. Se posent aussi les questions de communication et de relation, de formation, de connaissance de la personne âgée et de la collaboration avec les intervenants. Le temps d’une rencontre, ces partages suscitent souvent de fortes émotions, avec des larmes et des joies.
Concrètement, c’est sur demande des membres de l’Association que les rencontres dans le lieu qu’ils choisissent sont organisées par le comité. En 2017, elles se sont tenues tous les deux mois soit à Yverdon, à Rolle, à Lausanne ou à Oron. Pour 2018, l’objectif est d’organiser une rencontre par mois, aux dates, lieux et heures choisis par les membres. Par ailleurs, en plus d’une ligne téléphonique, des parrainages sont organisés. Les rencontres avec le parrain ou la marraine ont lieu à l’endroit choisi par le ou la filleule : à domicile, au cours d’une marche au bord du lac ou en forêt, autour d’un café dans un coin feutré d’un tea-room ou encore lors d’une expo ou visite d’un musée, selon les intérêts de chacun·e.
Une situation fiancière précarisée
Le lien non économique qui lie les aidants et les aidés pose plusieurs questionnements. Dans certaines situations, l’épuisement physique et psychologique et la réduction du temps de travail rémunéré qui en résulte précarise les ressources financières. La solidarité entre proches aidants est alors fondamentale.
Le Canton de Vaud, comme d’autres cantons, s’est engagé depuis quelques années dans le soutien des proches aidants. Il y a d’abord eu la sensibilisation de la population avec la Journée des proches aidants le 30 octobre puis diverses actions dont l’édition de la brochure « Proche aidant tous les jours » et la création d’Espace proches. De plus, une Commission consultative pour le soutien direct aux proches aidants actifs à domicile est constituée par une vingtaine d’organisation et sert d’instance d’appui aux réflexions et aux travaux menés par le Département vaudois de la santé et de l’action sociale. Il soutient la relève des proches aidants organisée par les Alz-amis, Pro-Infirmis service Phare, la Fondation Pro-xy et la formation proche aidant de la Croix-Rouge vaudoise.
Il y a aussi les diverses actions des centres médico-sociaux. Citons en priorité la carte «Urgence proche aidant». Avec les CMS de la Fondation de la Côte et les CMS Nord Vaudois, l’Association de proches aidants est en effet partenaire de cette carte gratuite innovante, que l’aidé soit ou non suivi par cette structure. Lorsqu’un proche aidant détenteur du sésame est victime d’un problème de santé, le CMS met en place les instructions pour le suivi du proche aidé. La carte d’urgence répond ainsi à un besoin de sécurité pour la personne aidée et constitue une mesure concrète de soutien pour le proche aidant.
N’oublions pas non plus toutes les initiatives personnelles en institutions ou privées.
Aujourd’hui, il importe de consolider ce qui existe, mais plusieurs défis sont encore à relever. Comment considérer les proches aidants comme de véritables partenaires? Comment soutenir celles et ceux qui souffrent psychologiquement ? Comment soutenir financièrement celle ou celui qui diminue ou arrête son activité professionnelle, avec une prise en charge qui dépasse le remboursement d’une caisse maladie ? Comment reconnaître, accompagner et soutenir les jeunes proches aidants ?
Le Conseil fédéral souhaite lui aussi améliorer les conditions de travail des proches aidants. Il prévoit la mise en place d'informations de meilleure qualité et des offres de décharge, telles qu’un service de bénévoles ou des lits en maisons de retraite et en EMS pendant des périodes de vacances. Dans son plan d’action, il prévoit également des mesures pour mieux concilier travail et soins aux proches. Ce programme sera-t-il peu à peu réalisé en collaboration avec les cantons, les communes, des organisations privées et, espérons-le, des associations ?
Une place de partenaire réfléchi
Un progrès central souhaité par l’association réside dans la collaboration et la communication avec les intervenants professionnels de la santé. Il s’agit en effet de renforcer les liens, se présenter, partager et échanger avec les professionnels. Tout le monde est d’accord pour dire que le proche aidant est utile, nécessaire et même indispensable pour garantir une prise en charge optimale de la personne aidée. Mais la différence de perception, de points de vue et l’incompréhension mutuelle sont importantes. Pour trouver un terrain d’entente, un vrai partenariat, il faut d’abord faire connaissance et se parler. Il faut aussi une prise de position claire d’un établissement, d’une organisation, des médecins et des milieux politiques et économiques. Tant le proche aidant que l’intervenant professionnel doivent avoir une place spécifique de partenaire réfléchi, décidé et intégré dans un règlement, une charte et un mode formel de fonctionnement.
Une des portes qui ouvrent sur un changement de pratiques se situe dans la formation des futurs professionnels. Depuis la session 2016-2017, le module de formation à option « Proches aidants et vieillissement » est proposé aux étudiant·e·s en soins infirmiers de 3e année de la Haute école de Santé Vaud et de la Haute école de la Source. C’est un progrès important. Ce module présente le rôle et les tâches du proche aidant ainsi que la reconnaissance sociale et familiale qu’il reçoit ou ne reçoit pas. En plus de la connaissance des besoins des proches aidants, la formation développe des compétences professionnelles pour y répondre et collaborer avec eux dans le respect des spécificités et des compétences de chacun·e. Plusieurs membres de l’Association de proches aidants ont été interviewés par les étudiant-e-s et ont participé à une table ronde. Le module 2017-2018 a été complété par un cours animé par des proches aidants.
De telles collaborations et d’autres actions auprès des départements et services concernés permettent aux proches aidants d’être peu à peu pris en compte, parfois même en partie reconnus. Permettront-elles à leur association d’être reconnue comme un vrai partenaire politique? C’est en tout cas un des objectifs que l’association s’est fixés.
[1] Dans le cadre de Connaissance 3, l’université des seniors du canton de Vaud, l’auteure de cet article a donné une conférence sur ce thème le 15 décembre 2017 à Morges.
[2] Créée en juin 2014, l’Association de proches aidants, site internet, compte 70 membres, avec un comité formé de cinq anciens et actuels proches aidants, actif sur le terrain et dans divers réseaux de santé. Avec des ressources limitées, l’association se concentre sur les proches aidants et, selon les forces disponibles, répond aux sollicitations, sondages, interviews, groupes de travail et recherches.
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Waltraut Lecocq, «Quand les proches aidants agissent ensemble», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 7 décembre 2017, https://www.reiso.org/document/2452
La notion de handicap est-elle incluse dans les discussions/la formation, ou le sujet s'articule-t-il uniquement autour du vieillissement ?