Le parcours d’une interruption de grossesse
Quand et comment les jeunes filles demandent-elles une interruption de grossesse ? Une étude menée à Genève analyse leur parcours individuel et la prise en charge qui leur est proposée. Elle montre l’importance de l’entretien de suivi.
Par Martine Aeby-Renaud, conseillère en santé sexuelle, sagefemme, sexologue, Unité de santé sexuelle et planning familial, Genève
Cette recherche s’est intéressée à la trajectoire de prise en charge de 43 adolescentes âgées de 15 à 18 ans qui ont consulté pour une demande d’interruption de grossesse à l’Unité de santé sexuelle et planning familial (USSPF) en 2013 [1]. Ce collectif représente 64.5% des adolescentes qui ont demandé une IG dans le canton de Genève cette année-là. Il s’agit d’une analyse rétrospective des dossiers des jeunes filles, complétée par des repères sur le suivi de leur parcours [Graphique 1].
Ayant pour mission la promotion de la santé sexuelle et reproductive [2] pour la population du canton de Genève, l’Unité s’est questionnée sur le parcours de ces jeunes filles et sur l’adéquation de la prise en charge avec leurs besoins. Précisons que l’Unité est non médicalisée et que les consultations y sont gratuites et confidentielles.
Le contexte national et la loi
En Suisse, le taux d’interruption de grossesse chez les adolescentes est bas comparativement aux autres pays européens. En 2013, il était de 4 pour 1000 (alors qu’il est d’environ 24 pour 1000 au Royaume-Uni ou 16 pour 1000 en France en 2009 par exemple). Concernant les grossesses gardées, il y a eu 19 naissances à Genève chez les 17/18 ans et aucune chez les 15/16 ans [3].
Le Code pénal suisse prévoit que, jusqu’à 12 semaines d’aménorrhée, la décision d’interrompre la grossesse appartient à la femme. Les mineurs (moins de 18 ans) n’ont pas besoin de l’autorisation de leurs parents. Si la femme enceinte a moins de 16 ans, le médecin qui pratique l’IG doit s’assurer que la jeune femme a eu un entretien dans un centre spécialisé pour mineurs [4]. Cet entretien a pour but d’évaluer sa compréhension des enjeux liés à sa décision et, si besoin, sa capacité de discernement.
La plupart des jeunes filles ont déjà expérimenté un ou plusieurs moyens de contraception [Graphique 2]. Les partenaires sont directement impliqués : 81% des couples ont utilisé, à un moment ou un autre, le préservatif masculin. L’efficacité de cette méthode est fortement liée à l’habileté des utilisateurs et nécessite un dialogue entre les partenaires. A noter que 18.6% de jeunes hommes ont pratiqué le coït interrompu, méthode considérée comme peu fiable par les professionnels [5]. Un tiers des jeunes filles avaient déjà utilisé la pilule contraceptive. Une jeune fille utilisait la méthode Ogino (calculs des jours fertiles). Enfin, un tiers des jeunes filles (32.5%) ont eu recours à la contraception d’urgence. Cela signifie qu’elles ont eu des relations sexuelles mal ou non protégées. Parallèlement, cela montre une préoccupation d’éviter la grossesse a posteriori.
La grossesse est due dans 48.8% des cas à un échec contraceptif : oubli ou utilisation incorrecte de la contraception orale, rupture de préservatif, méthode peu fiable, etc. Pour l’autre moitié, aucun moyen de contraception n’a été utilisé.
L’arrivée à la consultation
Comment les jeunes filles sont-elles arrivées à l’USSPF? Elles sont 19% à dire que c’est sur la recommandation de professionnel·le·s qu’elles consultent (cours d’éducation sexuelle, infirmière scolaire, médecin etc.) et dans 7% des cas d’un membre de leur famille. La moitié des jeunes filles indiquent que c’est sur le conseil d’amis (42%) ou du partenaire (5%). Ces chiffres confirment l’importance du rôle des pairs dans cette tranche d’âge. Par ailleurs, 19% disent être venues « par elle-même », elles « connaissaient » l’Unité sans préciser comment. On peut se demander si ce n’est pas une manière d’exprimer leur indépendance. Ces réponses sont illustratives des modes de socialisation à l’adolescence. Il s’agit d’un double mouvement : importance de la relation horizontale aux pairs [6] mais également volonté d’autonomie [7]. Lors des entretiens, les jeunes filles ont le choix de venir seules ou accompagnées.
Avant la grossesse, 37% des jeunes filles avaient déjà consulté l’Unité pour un ou plusieurs motifs. La plupart des consultations étaient liés à une prise de risque de grossesse : pilule d’urgence (10), tests de grossesse (15). Elles avaient également consulté pour une information sur les méthodes contraceptives (10) et de l’éducation sexuelle (1).
Avant de venir à l’Unité, 63.7% des jeunes filles savaient qu’elles étaient enceintes. 66.67% des tests de grossesses ont été effectués avant 7 semaines d’aménorrhée. Ceci est relativement tôt compte tenu des irrégularités de cycles chez les adolescentes. On peut ainsi faire différentes hypothèses : les jeunes filles concernées ont une bonne connaissance du fonctionnement de leur corps et / ou elles avaient conscience d’avoir pris un risque.
Le déroulé des entretiens
L’entretien comprend différents niveaux : information, orientation, accompagnement et soutien psychologique. Lors de la rencontre, la professionnelle répond aux questions concernant les différents aspects de l’interruption (loi, méthodes d’interruption de grossesse, coûts, etc.). Elle invite la jeune fille à s’exprimer autour des circonstances de survenue de la grossesse, des implications de sa situation, d’un éventuel désir d’enfant. Une écoute active, centrée sur la personne et un accueil des émotions est pratiqué. Les entretiens durent entre une heure et une heure trente.
Pour l’ensemble des 43 jeunes filles de l’étude, il y a eu 66 entretiens. La décision d’interrompre la grossesse était évidente pour la majorité. Ce sont les jeunes filles les plus ambivalentes qui ont eu besoin du plus grand nombre d’entretiens. A noter qu’il n’y a pas de relation entre le nombre d’entretiens et l’âge.
Selon la situation, un suivi téléphonique est mis en place. Ces appels ont pour but de soutenir et d’accompagner la jeune fille dans ses démarches, soit en parlant directement avec elle (44 appels), soit en communiquant avec les professionnels du réseau (infirmières scolaires, assistantes sociales, psychologues, médecins) impliqués dans la prise en charge (19 appels). Ce sont les plus jeunes filles de la cohorte (15 ans) qui ont bénéficié de la majorité de ces appels téléphoniques (34/63). Elles avaient moins de liberté, avec un cadre familial plus présent, pour venir à des rendez-vous.
La plupart des jeunes filles (76.7%) ont été orientées vers le service de gynécologie des HUG [Graphique 3]. En plus des consultations médicales, le protocole comprend, pour les moins de 18 ans, un entretien avec une pédopsychiatre. Si les parents ne sont pas au courant de la demande d’interruption, elles vont également rencontrer une assistante sociale pour gérer les aspects administratifs et financiers.
Afin de faciliter leur parcours, et avec leur accord, une transmission écrite est faite à l’attention de l’équipe du service de gynécologie. Cette collaboration inter-service est utile pour les professionnels et rassurante pour les jeunes filles.
A mentionner aussi que 13.9% des jeunes filles ont choisi d’avoir l’interruption de grossesse dans le secteur privé. Il s’agit des jeunes filles âgées de 18 ans révolus ou en accord avec leur parents. Enfin, 3.7% des jeunes filles ont eu leur IG hors du canton de Genève, en fonction de leur lieu de résidence ou de formation. Une jeune fille est partie à l’étranger pour une interruption de grossesse tardive (20 semaines de gestation).
L’importance du suivi
Un rendez-vous de suivi est systématiquement proposé à toutes les jeunes filles. L’objectif de cet entretien est de donner un espace pour parler de ce qu’elles ont vécu. Elles expriment des émotions variées, telles soulagement, apaisement, parfois tristesse ou culpabilité, plus rarement regrets. Lors de cet entretien, il s’agit également de répondre à d’éventuelles préoccupations et de revoir le choix et l’utilisation du moyen contraceptif. Seul un tiers d’entre elles sont venues à cet entretien.
Dans les deux ans qui ont suivi, un tiers des jeunes filles ont consulté à nouveau. Les motifs étaient d’une part liés à la contraception et sa gestion : demandes de pilule d’urgence, d’informations sur les méthodes contraceptives. Elles sont également venues pour des tests de grossesse, dont 7 sur 8 ont donné un résultat négatif. Cela pourrait indiquer, chez certaines, une préoccupation et un stress d’être à nouveau enceinte. Cinq jeunes filles du collectif se sont trouvées enceintes et quatre de ces grossesses se sont terminées par une nouvelle interruption.
Le processus de prise en charge est flexible en fonction des situations et des besoins des jeunes filles que ce soit par rapport au nombre d’entretiens, leur durée et leur forme (face à face, par téléphone, contact avec le réseau).
La collaboration avec le réseau social et médical est primordiale, que ce soit à l’interne des HUG ou avec les médecins gynécologues du réseau genevois et les professionnelles des établissements scolaires. Ces dernières sont en contact direct avec les jeunes filles et servent de relais, particulièrement pour les plus jeunes lorsqu’elles rencontrent des difficultés dans la gestion de leurs rendez-vous.
Les résultats montrent également chez certaines jeunes filles des difficultés répétées autour d’une utilisation régulière et efficace des contraceptifs qui aboutissent dans 11.6% à une nouvelle grossesse imprévue dans les 2 ans.
Pour une meilleure prévention, une des pistes serait d’encourager encore davantage les jeunes filles à venir pour un rendez-vous après l’intervention. Cela permettrait de revenir sur le vécu de l’IG, de clarifier d’éventuels questionnements et de revoir le choix contraceptif et son utilisation.
Finalement, pour maintenir le taux d’IG au plus bas niveau possible, il convient que l’ensemble des professionnels impliqués continuent leur travail de prévention auprès des jeunes filles avec un accompagnement personnalisé et flexible en fonction de leurs besoins spécifiques.
[1] Rapport d’activité 2013 : Entre désirs et réalités... Quels choix ? (2013). Genève : Unité de santé sexuelle et planning familial (HUG). En ligne. Lire aussi «Le contexte d'une interruption de grossesse», paru dans REISO.
[2] Définition de la santé sexuelle. (24 juin 2011). Consulté 19 décembre 2017, en ligne
[3] Office fédéral de la statistique. Naissances vivantes selon l'âge de la mère et le canton, 1970-2016. Neuchâtel : Office fédéral de la statistique, 2017. Consulté 20 décembre 2017, en ligne
[4] Art. 120, 2. Interruption de grossesse / Contraventions commises par le médecin. Code pénal suisse (RS 311.0) [en ligne]. 21 décembre 1937. Etat le 1er septembre 2017. Consulté 19 décembre 2017, en ligne
[5] Contraception : les principales méthodes contraceptives. (12 décembre 2017). Consulté 19 décembre 2017, en ligne
[6] Bozon, M. (2012). Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes : le garçon sans frein et la fille responsable. Agora débats/jeunesses, 1(60), 121‑134. En ligne
[7] Afsary, A. (2015). Corps contraceptés, sujets (in)disiciplinés. Expériences contraceptives de femmes en Suisse romande. (Mémoire de) maîtrise (master). Lausanne, Université de Lausanne.
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Martine Aeby-Renaud, «Le parcours d’une interruption de grossesse», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 29 mars 2018, https://www.reiso.org/document/2883