L’alimentation émotionnelle chez les enfants
La précocité et la fréquence des troubles alimentaires chez les enfants inquiète. Des études établissent un lien avec leur sensibilité au stress. Une recherche suisse de santé psychique et physique attire aussi l’attention sur la qualité du sommeil.
Par Nadine Messerli-Bürgy et Simone Munsch, professeures, Département de psychologie, Université de Fribourg
De nos jours, les enfants développent des troubles alimentaires de plus en plus tôt. De plus, les comportements alimentaires dissociés de la sensation de faim ou du sentiment de satiété – comme les boulimies, par exemple – apparaissent plus souvent. Ils surviennent face à des sentiments négatifs ou dans des situations de stress et peuvent déboucher sur une nette augmentation, ou au contraire une baisse sensible, du volume de nourriture ingéré.
On parle aussi, dans ce contexte, de suralimentation et de sous-alimentation (overeating, undereating). Une revue de littérature [1] des études internationales actuelles montrent que pas moins de 25% des enfants de 4 à 6 ans présentent des signes de suralimentation émotionnelle (Carper et al., Wardle et al.). Elles mettent en exergue le fait que cette suralimentation émotionnelle est liée à une perte de contrôle face à la nourriture, une tendance à manger sans faim et un risque accru de surcharge pondérale (Goossens et al., Koenders et al., Moens et al, van Strien et al.).
D’autres études font état d’un nombre à peu près équivalent d’enfants en âge préscolaire (5 à 7 ans) qui se sous-alimentent (Webber et al., Micali et al.). Elles relèvent un manque d’appétit (undereating) tant chez les enfants avec un indice de masse corporelle (IMC) particulièrement bas que chez les enfants ayant un IMC très élevé.
Avec 555 enfants et leurs parents
Une étude suisse sur la santé psychique et physique d’enfants en âge préscolaire a analysé ce type de comportements alimentaires émotionnels chez des petits de 2 à 6 ans. L’objectif de cette recherche multicentrique des Universités de Fribourg, Lausanne et Zurich, soutenue par le Fonds national suisse [2] et la Fondation Jacobs, était de mieux comprendre l’influence du stress et de l’activité corporelle sur le développement de la santé psychique et physique. Pour ce faire, l’étude Splashy a suivi 555 enfants en bonne santé dans des garderies de Suisse romande et de Suisse alémanique, et interrogé leurs parents.
Seuls 2.7% de l’échantillonnage présentait des troubles boulimiques émotionnels. Inversement, près d’un tiers (32.9%) était en sous-alimentation émotionnelle, soit plus que dans les études similaires menées dans d’autres pays européens (Messerli-Bürgy et al., 2018a). Les enfants en bonne santé semblent ainsi adopter plus souvent un comportement d’undereating en situation de stress. Ce constat pourrait indiquer qu’une réduction alimentaire chez des enfants présentant un poids normal est un comportement alimentaire naturel, et donc un mécanisme de protection contre une éventuelle prise de poids.
Un lien indirect avec le stress
Des études menées sur des enfants plus âgés ont par ailleurs montré que la suralimentation émotionnelle trahissait chez eux un stress accru (Jenkins et al., Michels et al.). Les enfants présentant ces tendances sont également ceux qui parvenaient le moins bien à gérer physiquement les situations de stress (Francis et al.). Ce comportement, sur le long terme, impacte négativement leur santé physique et psychique.
En examinant ces divers cas de figure chez de jeunes enfants ayant un poids normal, l’étude Splashy n’a pu mettre en lumière aucun changement dans leur gestion du stress. L’alimentation émotionnelle n’est donc pas directement liée à la capacité d’adaptation physiologique face au stress. Ce résultat démontre que les jeunes enfants sans problème pondéral ne présentent encore aucune des transformations biologiques liées à la gestion du stress, que l’on retrouve en revanche chez les enfants plus âgés et les jeunes adultes ayant tendance à l’alimentation émotionnelle.
Les renseignements apportés par l’étude suisse démontrent que certains enfants ont une sensibilité accrue face aux situations de stress et y réagissent de manière plus sensible et émotionnelle que d’autres. Leur comportement alimentaire, dans ces situations, est effectivement perturbé. On peut donc considérer que ces enfants ont un plus grand risque de développer des problèmes de gestion pondérale et alimentaire lorsqu’ils ont un accès sans contrôle à la nourriture et dans les cas de tendances nutritionnelles non régulées.
Un lien avec la qualité du sommeil
D’autres recherches, portant sur la régulation physique du stress chez les enfants en âge préscolaire, révèlent que ceux présentant les plus faibles capacités de récupération en phase de sommeil de nuit (mesurée par les changements de rythme cardiaque) sont aussi ceux qui rencontrent le plus de problèmes de surpoids (Messerli-Bürgy et al., 2018b). L’étude Splashy a démontré que la capacité de récupération nocturne est une mesure de la santé non seulement physique mais également psychique. Les enfants disposant de capacités réduites de récupération ont plus de problèmes émotionnels et des problèmes sociaux plus fréquents avec d’autres enfants de leur âge.
La capacité de récupération en phase de sommeil nocturne semble donc bien jouer un rôle dans le bon développement des jeunes enfants. L’étude STERN [3], actuellement en cours, étudie plus précisément les capacités de gestion du stress chez les enfants d’âge préscolaire. L’objectif est d’améliorer, à l’avenir, les mesures préventives et ainsi favoriser leur santé psychique.
[1] Références
Carper, J. L., Orlet Fisher, J., & Birch, L. L. (2000). Young girls' emerging dietary restraint and disinhibition are related to parental control in child feeding. Appetite, 35(2), 121-129. doi: 10.1006/appe.2000.0343
Francis, L. A., Granger, D. A., & Susman, E. J. (2013). Adrenocortical regulation, eating in the absence of hunger and BMI in young children. Appetite, 64, 32-38. doi: 10.1016/j.appet.2012.11.008
Goossens, L., Braet, C., Van Vlierberghe, L., & Mels, S. (2009). Loss of control over eating in overweight youngsters: the role of anxiety, depression and emotional eating. Eur Eat Disord Rev, 17(1), 68-78. doi: 10.1002/erv.892
Jenkins, S. K., Rew, L., & Sternglanz, R. W. (2005). Eating behaviors among school-age children associated with perceptions of stress. Issues Compr Pediatr Nurs, 28(3), 175-191. doi: 10.1080/01460860500227580
Koenders, P. G., & van Strien, T. (2011). Emotional eating, rather than lifestyle behavior, drives weight gain in a prospective study in 1562 employees. J Occup Environ Med, 53(11), 1287-1293. doi: 10.1097/JOM.0b013e31823078a2
Messerli-Bürgy, N., Stülb, K., Kakebeeke, T.H., Arhab, A., Zysset, A.E., Leeger-Aschmann, C.S., Schmutz, E.A., Meyer, A., Ehlert, U., Garcia-Burgos, D., Kriemler, S., Jenni, O.G., Puder, J.J., Munsch, S. (2018a). Emotional eating is related with temperament but not with biological stress responses in preschool children. Appetite, 120,256-264. doi : 10.1016/j.appet.2017.08.032
Messerli-Bürgy, N., Arhab, A., Stülb, K., Kakebeeke, T.H., Zysset, A.E., Leeger-Aschmann, C.S… Kriemler, S., Jenni, O.G., Munsch, S., Puder, J.J. (2018b). Physiological stress measures in preschool children and their relationship with body composition and behavioural problems. Developmental Psychobiology, 60(8),1009-1022. doi: 10.1002/dev.21782
Micali, N., Rask, C. U., Olsen, E. M., & Skovgaard, A. M. (2016). Early Predictors of Childhood Restrictive Eating: A Population-Based Study. J Dev Behav Pediatr. doi: 10.1097/DBP.0000000000000268
Michels, N., Sioen, I., Braet, C., Eiben, G., Hebestreit, A., Huybrechts, I., De Henauw, S. (2012). Stress, emotional eating behaviour and dietary patterns in children. Appetite, 59(3), 762-769. doi: 10.1016/j.appet.2012.08.010
Moens, E., & Braet, C. (2007). Predictors of disinhibited eating in children with and without overweight. Behav Res Ther, 45(6), 1357-1368. doi: 10.1016/j.brat.2006.10.001
van Strien, T., Herman, C. P., & Verheijden, M. W. (2012). Eating style, overeating and weight gain. A prospective 2-year follow-up study in a representative Dutch sample. Appetite, 59(3), 782-789. doi: 10.1016/j.appet.2012.08.009
Wardle, J., Guthrie, C., Sanderson, S., Birch, L., & Plomin, R. (2001). Food and activity preferences in children of lean and obese parents. Int J Obes Relat Metab Disord, 25(7), 971-977. doi: 10.1038/sj.ijo.0801661
Webber, L., Hill, C., Saxton, J., Van Jaarsveld, C. H., & Wardle, J. (2009). Eating behaviour and weight in children. Int J Obes (Lond), 33(1), 21-28. doi: 10.1038/ijo.2008.219
[2] FNS, no de réf. CRSII3_147673, en ligne
[3] Etude actuellement en cours sous la direction de la professeure Nadine Messerli, n° de réf. PP00P1_170503
Cet article appartient au dossier À table!
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Nadine Messerli-Bürgy et Simone Munsch, «L’alimentation émotionnelle chez les enfants», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 15 octobre 2020, https://www.reiso.org/document/6515