Peut-on exiger ou imposer une césarienne ?
Les femmes ont-elles le droit d’exiger une césarienne à leur médecin ? A l’inverse, un tribunal peut-il exiger qu’une césarienne soit imposée à une femme contre sa volonté ? Dans sa réflexion, Jean Martin met ces deux interrogations éthiques côte à côte.
Par Jean Martin, médecin de santé publique, membre de la Commission nationale d’éthique
En Suisse, une grossesse sur trois se termine aujourd’hui par une césarienne. Au moment de mes études, on était au-dessous de 10% [1]. Les temps changent, la médecine progresse et veut mettre toutes les chances du côté des patient(e)s, en vue de la meilleure qualité de vie possible et d’un inconfort minimal. Mais j’en viens tout de même à me demander jusqu’où iront les « variantes technicisées de la manière de faire des enfants dont nous avions l’habitude » [2].
« Sauver le canal de l’amour » !
Les organisations de sages-femmes s’émeuvent de cette désaffection de l’accouchement par voie basse. Je me souviens même avoir vu en Angleterre des affiches de cliniques promouvant la césarienne sous le slogan « Saving the Love Channel ». Récemment, j’ai aussi été frappé d’apprendre qu’un service universitaire suisse alémanique accepte de routine de faire une césarienne sur le souhait de la femme quand, après avoir reçu les explications adéquates sur la non-nécessité de l’opération, la femme persiste dans sa demande. Extrait d’un témoignage : « Avant de tomber enceinte, je me suis assurée qu’il m’était permis d’accoucher par césarienne. Il était exclu que je mette un enfant au monde par voie basse. » D’autres personnes considéreraient l’accouchement vaginal comme un « bizutage », ce genre d’épreuves initiatiques parfois violentes entre étudiants ou membres d’une corporation ! [3]
Je me suis beaucoup engagé pour la reconnaissance légale des droits des patients, mais face à ces positions, j’avoue me sentir d’une ancienne génération. La question semble pourtant de plus en plus actuelle de savoir si les patients sont en droit d’exiger des prestations de leur médecin. [4]
La césarienne pour protéger l’enfant
La même interrogation, césarienne ou pas, se pose parfois en sens inverse. Ainsi, le dernier numéro de la revue de bioéthique Hastings Center Report [5] se demande s’il est admissible, et quand, qu’un tribunal ordonne un accouchement par césarienne à une femme contre sa volonté. Je me suis intéressé à cette question comme médecin cantonal quand certains Etats des USA ont décrété d’autorité une césarienne chez des femmes toxicomanes proches du terme. Leur argument ? Elles mettaient gravement en danger le bien-être de leur enfant [6].
De notre côté de l’Atlantique, aucun pays n’admet une aussi sérieuse atteinte à l’intégrité physique. Si la personne concernée la refuse, la césarienne ne pourra être ni juridiquement ni médicalement justifiée, même au nom du bien de l’enfant qu’elle porte.
Les disparités sociales face à la santé
Une remarque sur ce point. L’étude citée de Kolder et al. (qui date pourtant de 1987 !) a montré que les femmes contraintes à une césarienne contre leur gré tendaient à être pauvres, issues d’une minorité et ne parlant souvent pas anglais ! Un exemple supplémentaire de cette constante en santé publique : les soins prodigués aux gens dépendent de leur statut et les disparités socio-économiques se traduisent en injustices.
Dans les cas inverses, l’injustice existe aussi puisqu’il est fort vraisemblable que la césarienne « de convenance » est plus aisément accordée à une femme de classe moyenne ou aisée.
La récente revue de bioéthique décrit des mouvements de balancier aux Etats-Unis en ce qui concerne les césariennes « forcées ». Minkoff et Drapkin citent plusieurs recours acceptés par les tribunaux supérieurs qui ont contesté la pratique forcée de la césarienne. Leur préoccupation : « Bien que les obstétriciens acceptent le droit des femmes de refuser des gestes médicaux, les vingt dernières années ont vu une érosion de ces droits. Cet affaiblissement est partiellement lié aux guerres sans fin à propos de l’avortement et à la vision que la relation entre femme et fœtus a fondamentalement un caractère de conflit. » Ils ajoutent ce commentaire : « Aujourd’hui les contraintes sur les droits des femmes enceintes sont souvent plus fortes que les limites posées aux droits des parents sur leurs enfants déjà nés. »
Le droit déterminant de refuser
Ce constat rappelle les débats sur le régime du délai pour l’avortement. On se demandait alors si ceux qui refusaient absolument l’interruption de grossesse étaient prêts à consacrer autant d’efforts et d’argent à prendre soin de manière adéquate des enfants nés dans des circonstances très défavorables…
Un autre auteur américain [7] donne un conseil pertinent aux femmes : « Posez cette question de base à votre gynécologue : peut-il y avoir une circonstance dans laquelle vous refuserez de me laisser décider moi-même de mon traitement ? » Avec tous ceux qui se préoccupent d’éthique, j’estime en effet que dans le cas où une instance quelconque s’avisait de lui imposer une césarienne, le droit de la femme de la refuser est entier et déterminant [8]. En revanche, je ne suis pas à l’aise s’agissant de son droit, par convenance, de requérir une césarienne. Convient-il que je sois plus attentif à mes propres tendances paternalistes ou machistes ?
[1] Texte paru dans le Bulletin des médecins suisses N°06/2011
[2] Martin J., Biomédecine et procréation. Revue médicale suisse 2005 ; 1 : 453-458.
[3] Les césariennes de la discorde. 24 Heures (Lausanne), 21 décembre 2010, p. 33.
[4] Lire notamment Le patient peut-il exiger des prestations du médecin ? sur REISO.
[5] Minkoff H., Drapkin Lyerly A., Samantha Burton and the rights of pregnant women. Hastings Center Report, Nov-Dec. 2010, 40, No. 6, 13-15.
[6] Kolder V.E., Gallagher J., Parsons M.T., Court-ordered obstetrical interventions. New England Journal of Medicine 1987, 316, 1192-1196.
[7] Appel J.M., Medical kidnapping : rogue obstetricians vs. pregnant women. Huffington Post, January 24, 2010.
[8] La question m’est parfois posée par des étudiants ou des confrères et je profite donc de préciser ici que, pour l’interruption de grossesse, il n’y a aucune situation où, dans nos systèmes juridiques en tout cas, on pourrait obliger une femme à avoir une interruption.