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Vulnérabilité en santé sexuelle et migration

Lundi 31.10.2022
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Les personnes migrantes dont l’identité de genre et/ou l’orientation sexuelle est minorisée cumulent les risques en matière de santé sexuelle. Pour favoriser leur accès à la prévention et aux soins, une approche intersectionnelle s’avère essentielle.

Par Laura Mellini, maître assistante, Sara Atanasova, Aaricia Chèvre, Sophia Wyssbrod, étudiantes en Master, et Francesca Poglia Mileti, professeure, Université de Fribourg

Toute personne sexuellement active peut être exposée à des risques sexuels, comme une infection sexuellement transmissible (IST), une grossesse non désirée ou un rapport sexuel sous la contrainte. L’enquête Mi.STI et les interventions menées lors d’un colloque participatif [1] ont montré, néanmoins, que les personnes migrantes qui vivent en Suisse dans des conditions juridiques et socio-économiques précaires, qui s’identifient dans des identités de genre et/ou des orientations sexuelles minorisées et/ou qui exercent le travail du sexe y sont davantage exposées.

Les vulnérabilités vécues découlent des rapports de pouvoir qui traversent la société (sexisme, hétérosexisme, cisgenderisme, classisme, racisme, etc.) et qui exposent les personnes concernées à des risques sociaux tels que stigmatisation, discrimination, déclassement, précarisation, marginalisation et exploitation. Les personnes considérées comme des minorités de genre et sexuelles (n’appartenant donc pas aux catégories cisgenres et hétérosexuelles) y sont particulièrement exposées. Outre le fait d’être la cible de discrimination par les membres de la société d’accueil, elles peuvent être marginalisées en raison de leur identité de genre et/ou orientation sexuelle dans leurs communautés ethniques et/ou subir des formes de discrimination au sein de la communauté LGBTQI+.

Ces constats montrent l’importance d’adopter une approche intersectionnelle pour comprendre ces processus [2]. Par exemple, les discriminations vécues par une femme transgenre dite « sans-papiers » sont spécifiques à sa situation, et sont plus que la somme des discriminations vécues par les femmes, les personnes transgenres et les personnes sans-papiers.

Risques sexuels et négations des droits

Plus les personnes migrantes cumulent les vulnérabilités, moins la santé sexuelle est une priorité pour elles. Se nourrir, obtenir un logement et un permis de séjour prime sur celle-ci. Leurs conditions de vie en Suisse deviennent alors des obstacles à l’exercice de leurs droits sexuels, fondements de la santé sexuelle [3].

Ainsi en est-il de l’accès à la prévention, accès limité par le statut juridique et les conditions économiques précaires des personnes migrantes. Par exemple, le coût de la prophylaxie préexposition au VIH (PrEP), dont la couverture n’est pas garantie par les caisses maladie, n’est pas accessible lorsque les situations sont précaires. Les personnes sans-papiers renoncent à la prévention et aux soins par manque d’assurance médicale ou par peur de se faire dénoncer, et celles issues de l’asile, qui vivent dans des foyers d’hébergement collectif, ne disposent pas d’espaces intimes.

Les résultats de l’enquête Mi.STI et les interventions lors du colloque ont montré que la précarité juridique et socio-économique des personnes migrantes favorise des relations de couple asymétriques, abusives, caractérisées par des violences physiques, psychologiques et sexuelles, rendant difficile l’exercice de l’autodétermination. Par exemple, la négociation de l’usage du préservatif se révèle compliquée quand on dépend du ou de la partenaire sur le plan juridique et/ou économique.

Dans certains cas, ces précarités poussent ces personnes vers des transactions sexuelles, des rapports sexuels pratiqués en échange d’un logement, du paiement de factures, y compris des primes mensuelles de la caisse maladie. Les personnes appartenant aux minorités de genre et/ou sexuelles sont particulièrement concernées par ces échanges économico-sexuels, d’autant plus que la stigmatisation dont elles sont victimes réduit leur accès au travail.

Pour les personnes se trouvant en situation précaire, ces échanges économico-sexuels prennent encore de l’ampleur en contexte de crise. L’interdiction du travail du sexe pendant le confinement lié à la pandémie de Covid-19 a, par exemple, exposé davantage les personnes travailleuses du sexe aux risques d’IST malgré leurs connaissances des risques encourus. Dans cette conjoncture, les rapports sexuels non protégés étaient en effet acceptés par nécessité économique ou sous la pression des client∙e∙x∙s.

De nombreux défis pour les intervenant·e·x·s

Les défis rencontrés par les acteur·rice·x·s intervenant dans le domaine de la santé sexuelle en contexte de migration sont nombreux. Le système de santé suisse reste complexe et cher, donc difficilement accessible pour celles et ceux qui ne maîtrisent par les langues locales et qui se trouvent en situation de précarité socio-économique. Les politiques migratoires, de plus en plus restrictives, marginalisent et privent de droits les personnes déboutées de l’asile ou celles en situation irrégulière.

Les conditions de vie et les expériences vécues par les personnes migrantes, ainsi que la stigmatisation due aux identités de genre, aux orientations sexuelles minoritaires ou au travail du sexe, figurent dans la liste des défis auxquels les intervenant·e·x·s doivent faire face. À cette complexité s’ajoute encore le caractère intime des sujets abordés, parfois considérés par les personnes migrantes comme des tabous. Cela nécessite la construction d’une relation de confiance, essentielle à toute intervention en santé sexuelle, notamment dans un contexte de non-dits et de barrières linguistiques.

Du point de vue institutionnel, il manque des ressources humaines et financières pour proposer un suivi adapté à chaque personne, alors que celui-ci demande des compétences et beaucoup d’investissement, surtout quand les vulnérabilités s’accumulent.

Interventions diversifiées et approches articulées

Les échanges advenus lors du colloque confirment la nécessité d’asseoir l’intervention en santé sexuelle sur les besoins en santé globale des personnes migrantes et de tenir compte de tous les déterminants de la santé, dont le statut juridique, le degré de formation, l’identité de genre, l’orientation sexuelle et les conditions de vie en Suisse.

La compréhension et la reconnaissance des besoins de ces personnes commencent par la création d’espaces pour les exprimer. Ceux-ci devraient être à la fois sécurisés sur le plan culturel, tel que le permet l’approche de la sécurité (ou sécurisation) culturelle [4], mais également par rapport à d’autres éléments d’identification comme l’identité de genre ou l’orientation sexuelle, notamment si ceux-ci sont susceptibles d’être stigmatisants ou discriminants.

Cette expression des besoins devrait aussi s’accompagner d’un suivi adapté qui tienne compte de la diversité et de la complexité des situations des personnes migrantes, de l’hétérogénéité de leurs caractéristiques et parcours migratoires. Cela justifie la poursuite et le renforcement d’actions préventives diversifiées. Dans le domaine du VIH, par exemple, en plus de la prévention basée sur l’utilisation du préservatif et le recours aux tests de dépistage, il s’agit de renforcer la promotion de la prévention dite biomédicale, que ce soit avant l’exposition au risque ou après, ainsi que des autotests de dépistage.

Une prévention diversifiée articule différentes approches. Outre celles déjà citées (intersectionnelle, santé globale, sécurité culturelle), les approches inclusives et communautaires favorisent une participation active, comme cela se fait déjà dans le domaine du VIH et des mutilations génitales féminines. Ces démarches reconnaissent les pair·e·x·s communautaires comme des expert·e·x·s de leur situation, en mobilisant leurs savoirs, connaissances et expériences sur le plan opérationnel et stratégique. Reste à les rétribuer en conséquence.

Les canaux de transmission des informations relatives à la santé sexuelle devraient également être multipliés : supports audios et vidéos, pictogrammes, langage simplifié, réseaux sociaux et applications de sites de rencontre. Si l’interprétariat s’inscrit comme pierre angulaire des interventions en santé sexuelle auprès des personnes migrantes, le langage simplifié contribue à mettre à distance le tabou ressenti face au fait de parler de sujets intimes dans la ou les langue(s) apprise(s) dans le pays d’origine [5].

L’amélioration de l’égalité des chances en santé et le processus d’empowerment en santé sexuelle des personnes migrantes ne peuvent se passer d’actions politiques. Ainsi, sur le plan économique, il s’agirait de réduire les primes de l’assurance maladie et d’abolir les franchises et quotes-parts, voire d’offrir la gratuité des prestations liées à la contraception et à la prévention biomédicale contre le VIH, entre autres. Ces mesures devraient s’accompagner au niveau juridique d’une régularisation des personnes sans-papiers et d’une suppression des permis F, afin de les sécuriser et faciliter leur recours à la prévention et aux soins.

La complexité des interventions dans le domaine « santé sexuelle et migration » et l’imbrication des problématiques appellent à un décloisonnement des institutions qui y œuvrent et à plus d’échanges entre les personnes directement concernées.

[1] Organisé et animé par des scientifiques, des acteur·rice·x·s de terrain et des personnes migrantes, ce colloque participatif s'est tenu à l’Université de Fribourg le 24 juin 2022. Il avait pour objectif d’offrir des espaces de discussion sur les enjeux, les approches et les stratégies d’intervention dans le domaine « santé sexuelle et migration ». Les résultats de la recherche Mi.STI (Migration et vulnérabilités au VIH/IST en Suisse), menée par l’Université de Fribourg et financée par l’Office fédéral de la santé publique, ont servi de cadre pour lancer le débat. Le rapport et la synthèse de la recherche sont disponibles ici

[2] Bilge, S., & Roy, O. (2010). La discrimination intersectionnelle : la naissance et le développement d'un concept et les paradoxes de sa mise en application en droit antidiscriminatoire. Canadian journal of law and society, 25(1), 51-74.

[3] Les droits sexuels renvoient à l’application, dans le domaine de la sexualité, des principes fondamentaux des droits humains. En font partie, par exemple, les droits d’accéder au bien-être sexuel, d’exercer un libre arbitre en matière de pratiques sexuelles, de consentir de manière pleinement informée et de vivre une vie exempte de violences perpétrées sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre (Charmillot, M., Jacot-Descombes, C., & Földhazi, À. (2021). Droits humains et éducation sexuelle. Contexte, perceptions et pratiques. Genève : IES/HETS).

[4] Blanchet Garneau, A., & Pepin, J. (2012). La sécurité culturelle : une analyse du concept. Recherche en soins infirmiers, 111(4), 22-35. La définition de la sécurité culturelle, selon sa version la plus récente et telle que rapportée par Blanchet Garneau et Pepin, est : « La pratique infirmière ou sage-femme efficace, auprès d’une personne ou d’une famille d’une autre culture, est déterminée par cette personne ou cette famille. La culture comprend, mais ne se limite pas, à l’âge ou la génération, le genre, l’orientation sexuelle, le métier ou le statut socioéconomique, l’origine ethnique ou l’expérience migratoire, les croyances religieuses et spirituelles ainsi que les handicaps. L’infirmière qui dispense les soins a entrepris un processus de réflexion sur sa propre identité culturelle et reconnaît l’impact de sa culture sur sa pratique professionnelle ».

[5] Villani, M., Poglia Mileti, F., Mellini, L. & Sulstarova, B. (2019). Socialisation sexuelle des jeunes issus des migrations subsahariennes en Suisse. Anthropologie et Développement, 50, 11-29, [en ligne]


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Cet article appartient au dossier Intimité(S)

Comment citer cet article ?

Laura Mellini et al., «Vulnérabilité en santé sexuelle et migration», REISO, Revue d'information sociale, publié le 31 octobre 2022, https://www.reiso.org/document/9802