Bénévoles et PME : comment travailler ensemble ?
La culture de la responsabilité sociale favorise la collaboration entre les secteurs à but lucratif et non lucratif. Mais comment concilier les valeurs, définir les rôles et éviter certains pièges des journées collectives de bénévolat ? Par Latha Heiniger.
Au-delà des apports individuels que procurent les différentes formes d’activités, qu’elles soient lucratives ou non, que peut-on dire sur les formes de solidarité collective et plus précisément, celles qui s’effectuent en groupe dans le cadre de « journées collectives de bénévolat », ou Community day, au sein d’organisations à but non lucratif ? L’exportation de la culture d’entreprise anglo-saxonne, ainsi que le vent de la responsabilité sociale des entreprises qui souffle sur les milieux économiques engendre des partenariats nouveaux qui méritent une réflexion.
Le contexte socio-politico-économique
Face au phénomène de la mondialisation et de la montée en puissance de l’hyper-capitalisme libéral, le besoin de maintenir une bonne estime de soi se fait d’autant plus ressentir que le fossé des inégalités se creuse et que les emplois ne sont plus en suffisance pour tous ou ne sont plus suffisamment adaptés à tous. Comment sortir ou ne pas retomber, comme à chaque période de crise économique, dans la logique de la responsabilité individuelle mais plutôt imaginer des dynamiques de partenariats qui permettent à tout un chacun de se sentir utile socialement ? Les entreprises ont opté pour des styles de management qui donnent, au niveau personnel, plus de place à la créativité et à la prise de responsabilités mais complexifie la notion de tâche. Au niveau collectif, des espaces de reconnaissance et d’encouragement permettent aux employés d’être plus motivés au travail, donnent envie aux bons éléments de l’entreprise d’y rester, mais imposent une pression toujours plus importante en terme d’efficacité et d’efficience.
C’est ainsi que certaines entreprises ont commencé à moduler les temps de travail afin de les enrichir d’engagements autres que ceux dévolus directement à la production. Quelques multinationales utilisent la méthode du Happy family pour recruter les meilleurs employés en leur faisant miroiter, par exemple, des facilités au niveau des tâches familiales (garderie d’entreprise, livraison de courses à domicile, pressing, etc.) afin de les garder le plus longtemps possible au travail. A un niveau plus modeste, le Team building, dont les journées collectives de bénévolat font partie, s’inscrit dans cette dynamique. Au-delà de la cohésion de l’équipe, ces journées sont envisagées par les entreprises, en particulier les PME, comme une façon de s’ouvrir sur leur environnement car elles se sentent co-responsables de la qualité de vie au sein de la société. Elles sont également pensées comme une collaboration entre le secteur à but lucratif et le secteur à but non lucratif et comme une forme de redistribution et de création de richesses au sein d’un territoire donné.
La complémentarité des rôles
Notre mode actuel de vie en société est construit sur la démarcation de trois territoires de compétences et d’actions que sont l’Etat, les entreprises et les associations. L’histoire nous montre qu’au gré de l’évolution occidentale, l’autonomie et l’interdépendance de ces trois acteurs se sont modifiées. Les relations ont passé par la charité, la philanthropie et enfin les politiques sociales qui ont mis le focus, à tour de rôle, sur un acteur plus qu’un autre. Aujourd’hui, le monde est gouverné par la finance et c’est à l’Etat de justifier ses dépenses sociales et au tissu associatif de pallier aux inégalités créées par le système capitaliste. D’une main, l’Etat met ainsi en place des contrats de prestations avec le secteur à but non lucratif pour « résoudre » une multitude de problèmes sociaux et, de l’autre, il allège fiscalement les entreprises pour relancer l’économie et éviter leur délocalisation.
Le premier facteur d’intégration dans la vie en société est celui de l’emploi salarié, mais nous ne sommes plus dans le modèle du travail taylorien [1]. Les responsables d’entreprise tentent de concilier les aspects de rentabilité de leur entreprise et le bien-être au travail de leurs employés, facteur de fidélisation et de prévention des risques de maladie et d’accident. Car un employé bien dans sa tête et dans son corps est un bon « investissement » pour l’entreprise. Mais à qui incombe la responsabilité d’être confortable dans sa tête et dans son corps ? Est-ce une responsabilité individuelle ? Une responsabilité collective ? Les espaces de travail rentables économiquement et les espaces d’activité non rémunérée sont-ils démarqués par des frontières étanches ou poreuses ? Et si elles sont perméables, quelles sont les limites à poser et où les situer ? Les interdépendances des espaces de vie sont intéressantes. Elles complexifient, toutefois, les droits et devoirs des uns et des autres, d’où la nécessité de les définir, de les reconnaître, de les soutenir et de les promouvoir !
Toute organisation « saine », qu’elle soit à but lucratif, non lucratif ou de service public, fonde ses actions sur des principes et des valeurs. L’activité associative se fonde sur les principes démocratiques et participatifs incarnés par ses membres (assemblée générale) et un projet centré sur la promotion des personnes. Il s’agit également de rendre des comptes à ses interlocuteurs, à l’interne et à l’externe, et d’adopter une approche dynamique pour ajuster ses projets à la réalité d’une société en perpétuel mouvement. C’est justement sur cette dynamique que travaille Bénévolat-Vaud, centre de compétences pour la vie associative. Spécialisé dans la mise en lien des individus et des collectivités, le Centre offre un espace de réflexion et de débat sur la place et le rôle des uns et des autres dans le contexte de l’engagement bénévole.
En fait, penser la solidarité sous l’angle de la complémentarité des rôles entre l’action des services publics et les entreprises privées n’est pas évident, surtout lorsque l’on met le focus sur la place et le rôle du milieu associatif avec son impact social et économique. Pour certains, l’activité associative permet de rester charitable envers les plus démunis et, peut-être, de gagner sa place au paradis. Pour d’autres, c’est un contre-pouvoir face à l’action étatique et/ou au capitalisme néolibéral ou encore une entreprise sociale dont la finalité se démarque de la recherche de l’enrichissement financier personnel.
Une plateforme vaudoise pour penser la collaboration
Du haut de ses 700 millions d’heures d’engagement bénévole données gratuitement chaque année en Suisse, qui représentent quelque 40,5 milliards de francs suisses, le milieu bénévole peine pourtant à être visible, reconnu et soutenu. Afin de le valoriser auprès des PME, Bénévolat-Vaud a organisé une plateforme vaudoise où les deux types d’organisations ont imaginé des formes de collaborations qui dépassent la notion de soutien financier (sponsoring, don, mécénat, etc.), une notion qui a tendance à placer les associations dans une relation à sens unique sans contrepartie possible. Le grand défi de cette rencontre a été de penser l’engagement bénévole en conciliant, d’une part, les envies des entreprises de proposer à leurs collaborateurs (entre 20 et 200 employés) une journée collective de bénévolat pour une cause à laquelle l’entreprise est sensible et, d’autre part, les associations qui recherchent à faire coïncider le profil d’un bénévole avec une activité dans le cadre d’un engagement régulier.
Cette plateforme a permis à 25 associations et 20 PME vaudoises de se rencontrer. Le risque que les entreprises établissent des partenariats type Bluewashing ou Greenwashing (donner une teinte écologique à des messages publicitaires dans un but de rentabilité économique et pour s’acheter une conscience) avec le secteur à but non lucratif a été évité. Quant à l’importance que les engagements bénévoles se déroulent dans le respect des valeurs du bénévolat (non contrainte, valorisation, etc.), elle a elle aussi été clairement posée. Pour compléter cette réflexion, Bénévolat-Vaud élabore actuellement un document cadre qui pose les droits et les devoirs des uns et des autres ainsi que les objectifs d’un partenariat. De plus, le centre propose aux entreprises de les accompagner dans la construction d’un projet de bénévolat pour les inciter à penser celui-ci comme une démarche participative dans laquelle les collaborateurs sont impliqués de manière volontaire et ayant pour finalité la sensibilisation à l’engagement bénévole en vue de poursuivre leur réflexion de manière individuelle au-delà de la journée.
Les échanges entre bénévoles et PME ont démontré qu’il reste encore fort à faire pour rompre, du côté des entreprises, avec les discours paternalistes qui font la part belle aux représentations passéistes. Les associations, quant à elles, ont à renforcer leur rôle d’entrepreneuses sociales afin de dialoguer de manière décomplexée avec leurs partenaires. Jusqu’à maintenant, les différentes expériences de collaboration entre entreprises et associations dans le cadre de journées collectives de bénévolat sont essentiellement organisées par des multinationales. Cela ne veut pas dire que les PME n’organisent pas ce type de journées. Lors de notre plateforme, nous avons d’ailleurs pu imaginer des collaborations dans des domaines différents de celui de « grands travaux », comme le nettoyage de rives, et dans d’autres dynamiques que des sorties à 200 collaborateurs.
Quelques mois après la rencontre, un sondage auprès des participants vient de nous informer que les entreprises ne pensent pas avoir besoin de Bénévolat-Vaud pour poursuivre les bourgeons de collaboration établis durant la journée. Du côté des associations, certains projets présentés ne se concrétiseront pas alors que les entreprises étaient pourtant dans les starting blocks. Comment expliquer cette situation ? Est-ce que l’on peut parler d’échec ? Non, surtout pas. Ce n’est pas sur la base d’une initiative lancée par Bénévolat-Vaud que les pratiques des entreprises et des associations se modifient. Elles évoluent et se transforment au fil d’une réflexion qui suit son cours et de comportements qui changent peu à peu.
Latha Heiniger, secrétaire générale Bénévolat-Vaud [2], Lausanne
Vignette photo : Première plateforme vaudoise de rencontre entre bénévoles et PME, 2012 ©Bénévolat-Vaud
[1] Le travail pensé comme une science afin de chercher la meilleure façon de produire pour obtenir un rendement maximal.
[2] Association Bénévolat-Vaud, centre de compétences pour la vie associative, www.benevolat-vaud.ch.