Prévoir les besoins en personnel de l’aide sociale
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Un outil développé de manière collaborative aide à mieux prévoir les effectifs de personnel des services sociaux, composante essentielle à une réintégration durable des bénéficiaires et une charge de dossiers gérable pour les professionnel·les.
Par Miryam Eser Davolio, directrice de projet, ZHAW, Dominic Höglinger, responsable du secteur garantie du minimum social, BASS, Corinne Hutmacher-Perret, responsable secteur étude et secrétaire générale adjointe, CSIAS, et Rahel Strohmeier Navarro Smith, maîtresse d’enseignement, ZHAW [1]
Les services sociaux ont pour tâche de soutenir les personnes se trouvant dans des situations de besoin et, ainsi, de favoriser leur participation à la vie économique, sociale, culturelle et politique. Ce mandat — colossal — doit être délimité dans le contexte d’une discussion professionnelle et gestionnaire.
Discuter des contours à donner à ce mandat d’aide relève en effet d’un débat professionnel, car il s’agit de défendre et de préciser les standards pour un travail social de qualité. Face à la perte d’autonomie et de perspective à laquelle se trouvent souvent confrontées les personnes soutenues par l’aide sociale pendant plus d’un an, (re)mobiliser leurs forces nécessite un temps et une qualité de conseil intensifs [2]. Mais ces réflexions autour du mandat passent aussi par la question de l’organisation du service social, en regard de la gestion du temps à disposition des assistantes sociales et assistants sociaux. Il est clair qu’un appui social efficace dépend notamment du temps par bénéficiaire dont disposent les professionnel·les.
Alors que les recommandations de la Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes (COPMA) pour le calcul des ressources humaines nécessaires à la protection de ces publics constituent depuis longtemps un point de référence important, de telles fourchettes de référence ont jusqu’à présent fait défaut pour l’aide sociale. Les faits montrent pourtant que le besoin existe : le taux élevé de rotation du personnel dans les services sociaux, ainsi qu’en témoignent régulièrement les membres de la CSIAS, laisse supposer que les travailleurs et travailleuses sociales changent de domaine en raison de ressources temporelles trop limitées et de la frustration de ne pouvoir guère remplir leur mission principale de conseil social durable.
Ajuster le nombre de dossiers pour des suivis efficaces
L’étude réputée de Winterthour (Eser Davolio et al. 2017 ; Eser et al. 2019) [3] avait démontré que le nombre de dossiers à gérer avait un impact sur la qualité du travail et la satisfaction des assistantes sociales et assistants sociaux. Car plus le nombre de dossiers est élevé, plus le temps passé en appui social se trouve réduit. Or, une durée de conseil plus courte, due à une charge de dossiers élevée, entraîne une baisse du taux de sortie de l’aide sociale et, par conséquent, une augmentation des coûts. À l’inverse, dans le contexte de ladite étude, il a été démontré qu’une réduction de la charge de dossiers favorisait un suivi plus étroit des personnes, entraînant alors des revenus supplémentaires significatifs grâce à des demandes systématiques de transfert de prestations en amont de l’aide sociale, ainsi qu’à l’augmentation du taux d’activité des personnes déjà en emploi.
Les résultats de l’étude font désormais référence, notamment en matière de charge de dossiers : pour un·e employé·e à plein temps, il convient de compter 75 dossiers à gérer. Augmenter le temps disponible par bénéficiaire en investissant dans une hausse du personnel garantit donc un suivi social efficace. Corollaire ? Une réduction des coûts par dossier, une sortie plus rapide et durable des personnes soutenues par l’aide sociale et des assistantes sociales et assistants sociaux satisfaits de leur travail.
Un outil pour déterminer le nombre de dossiers
Mais comment convaincre les autorités politiques de la nécessité d’une augmentation des ressources personnelles ? Il réside là un défi particulier pour les responsables des services sociaux.
Dans ce contexte, la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) a décidé de soutenir ses membres en développant un instrument permettant de calculer le nombre de professionnel·les nécessaire en fonction de leur charge de dossiers. Nommé « Caseload Converter », ce calculateur a été développé par le département de travail social de la ZHAW en collaboration avec un institut de recherche privé [4]. Quelque vingt-et-une communes suisses alémaniques et dix cantons — alémaniques et romands — ont également participé à l’essor de cet outil de calcul [5]. Ce convertisseur de charge de travail permet aux services sociaux de déterminer leur charge de travail et donc leurs besoins en personnel de manière différenciée, dans le cadre d’une procédure standardisée.
Cet instrument repose sur un large document Excel. Restant facile à l’utilisation, il compte plusieurs onglets de calcul avec des contrôles et des formules de calcul en arrière-plan. Le « Caseload Converter » peut être utilisé dans toute la Suisse par des services sociaux polyvalents, ainsi que par des services spécialisés uniquement dans l’aide sociale, quelle que soit leur taille. Un manuel aide les utilisatrices et utilisateurs à transférer les données de leur service dans les catégories générales définies dans l’outil, explique les bases de calcul utilisées et fournit de premières indications sur la manière dont les valeurs identifiées peuvent être interprétées et utilisées.
Outre les facteurs purement quantitatifs comme le nombre de dossiers actifs, la charge de travail de conseil sans soutien financier, ou le soutien administratif ou spécialisé, le Caseload Converter permet aussi de pondérer des caractéristiques qualitatives comme le temps nécessaire pour l’inter- et la supervision, pour les entretiens, pour la fréquence des contacts et pour les tâches supplémentaires, comme des formations ou des remplacements.
Un bon équilibre entre gestion et travail social
La prise en compte et la pondération de la complexité liée à cette multitude de facteurs fait du Caseload Converter un outil à haut seuil. Les responsables des services sociaux ont noté que la charge idéale de dossiers devait être considérée de manière pragmatique : il s’agit toujours de trouver un bon équilibre entre, d’une part, une organisation efficace et un travail social de haute qualité et, d’autre part, les recettes fiscales et la volonté politique. Ainsi se pose la question de savoir dans quelle mesure un tel outil doit être différencié et détaillé pour saisir la charge de dossiers d’un service social d’une commune de manière appropriée et significative. Cette interrogation est également soulevée par la critique d’une approche trop gestionnaire de la charge de travail par le Caseload Converter, laquelle négligerait le mandat et l’organisation des services sociaux.
Cette perspective purement professionnelle est légitime, même si les travailleurs et travailleuses sociales se montrent profondément sceptiques face à toute tentative de standardisation et de pilotages (limité) du travail social au sein des services sociaux. Ainsi, il s’avère réjouissant que cet outil de calcul de la charge de travail par cas suscite un débat approfondi sur la conception du mandat, de l’organisation et de la qualité du travail à l’aide sociale. Le calculateur prend en effet déjà en compte certaines réserves en fournissant de nombreux éléments : un comptage différencié des cas, une fourchette plutôt qu’une valeur de référence rigide, une prise en compte de la qualité et des conditions-cadres et une différenciation des valeurs de référence selon le type de service social. Concernant la fourchette de référence de la charge de travail appropriée, elle se base sur les connaissances scientifiques, ainsi que sur les preuves empiriques actuelles. Ces recommandations vont de 40 à 60 cas pour un 100% dans des services sociaux ne disposant pas ou peu de soutien spécialisé, et de 60 à 80 dossiers si un soutien spécialisé est disponible dans une mesure importante.
L’essence de la réduction de la charge des cas à Winterthour est relativement centrée sur l’aspect financier. Il est clair que les économies ont représenté un facteur de motivation important. Mais grâce à ce convertisseur remplissant les conditions d’un outil scientifiquement étayé, l’argent économisé signifie aussi une meilleure intégration dans le monde du travail et une indépendance financière plus fréquente, rapide et durable pour les bénéficiaires, tout en luttant contre la surcharge des travailleurs sociaux et travailleuses sociales [6].
[1] Par Miryam Eser Davolio, directrice de projet, Dpt Travail social, Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW), Dominic Höglinger, responsable du secteur garantie du minimum social, distribution des revenus et de la fortune, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS), Corinne Hutmacher-Perret, responsable secteur étude et secrétaire générale adjointe, Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), et Rahel Strohmeier Navarro Smith, maîtresse d’enseignement, Dpt Travail social, ZHAW
[2] Steger et al. « Richtungswechsel, Eine randomisierte kontrollierte Studie zu einer Intervention für Langzeitbezüger*innen in der Sozialhilfe ». Berner Fachhochschule, 2023
[3] Eser Davolio et al. « Service d’aide sociale : Charge de dossiers et ses effets sur le taux de clôture et les coûts par dossier ». ZHAW, Zurich, 2017 (nouvelle trad. 2021)
[4] le bureau BASS
[5] Les cantons suivants ont participé au développement et au cofinancement de l’outil : AR, JU, GE (Hospice Général), GL, NW, SH, VD, VS, ZG, ZH, ainsi que les communes suivantes : Aarwangen, Bienne, Bülach, Dürnten, Herzogenbuchsee, Ingenbohl, Jegenstorf, Küssnacht a.R., Niederbipp, Olten, Pratteln, Rapperswil-Jona, Richterswil, Risch-Rotkreuz, ville de Schaffhouse, ville de Saint-Gall, ville de Wil, ville de Zoug, Thoune, Wädenswil et Zell.
[6] Pour plus amples informations concernant l’acquisition du calculateur, voir le site de la CSIAS
Lire également :
- Rémy Darghout et Éric Moachon, «La simplification administrative, un vœu pieux?», REISO, Revue d'information sociale, publié le 19 février 2024
- Maël Dif-Pradalier et Thomas Jammet, «Quelle insertion socioprofessionnelle numérisée?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 20 janvier 2022
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Miryam Eser Davolio et al., «Prévoir les besoins en personnel de l’aide sociale», REISO, Revue d'information sociale, publié le 9 janvier 2025, https://www.reiso.org/document/13556