Pour qui et pourquoi une formation bas seuil ?
Proposer des apprentissages pour les personnes en grandes difficultés : c’est ce que réalise INSOS avec son programme Formation Pratique. Comment fonctionne cette formation individualisée ? De nouvelles règles fédérales vont-elles l’entraver ?
Par Susi Aeschbach, INSOS Suisse, responsable du domaine intégration professionnelle
Depuis 2007, INSOS Suisse (Association de branche nationale des institutions pour personnes avec handicap) a développé un concept de formation à « bas seuil ». Plus de 600 apprentis commencent chaque année cette formation pratique, baptisée FPra, dans divers métiers : intendance, menuiserie, cuisine, jardin, etc. Une première évaluation publiée en 2010 a montré que cette nouvelle filière de formation professionnelle est bien adaptée à un public cible fortement hétérogène et qu’elle doit être renforcée sur plusieurs aspects.
Le contexte législatif
La Loi fédérale sur la formation professionnelle de 2004 a défini un nouveau titre professionnel : attestation fédérale de formation professionnelle (AFP), obtenue après une formation professionnelle de deux ans. Cette nouvelle voie (qui remplace la « formation élémentaire ») a rapidement gagné en « visibilité » par le fait qu’elle a standardisé des objectifs et des plans de formation.
Si cette harmonisation a clarifié le paysage de la formation professionnelle de base, elle a également posé des exigences trop élevées pour certain-e-s apprenti-e-s. Devant cette situation, INSOS Suisse a mis en place une voie particulière destinée aux jeunes en grande difficulté d’apprentissage. Ce projet de Formation Pratique a pour objectif prioritaire de donner aux jeunes qui la suivent une perspective d’avenir et d’augmenter leurs chances d’intégration dans le premier marché du travail.
Une « standardisation individualisée »
Une telle formation professionnelle « bas seuil » exige une grande adaptabilité à tous les niveaux et de la part de toutes les parties prenantes. La population à laquelle elle est destinée comprend en effet des personnes qui ne peuvent pas – ou pas encore – remplir l’ensemble des exigences d’une formation de base, pour des raisons très diverses. Afin de répondre aux besoins de cette population hétérogène, un programme particulier doit dès lors être mis en place. Par l’intermédiaire des institutions spécialisées, il doit prendre en considération les ressources individuelles de chaque jeune.
Afin de définir et d’établir les étapes de cette formation, INSOS Suisse a élaboré une série de conditions cadres au niveau national. Y figurent les lignes directrices de la FPra [1], une liste des filières et des dénominations professionnelles ainsi que des documents explicatifs sur la procédure de qualification. A ce jour, 120 institutions membres d’INSOS proposent ainsi des places de formation FPra et forment chaque année environ 1200 jeunes en situation de handicap dans 65 orientations professionnelles différentes. Un tiers de ces jeunes trouvent ensuite une solution correspondant à leur formation dans le premier marché du travail.
La première évaluation de FPra
En 2010, la Haute Ecole intercantonale de pédagogie curative de Zurich a évalué la FPra sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). L’étude [2] a conclu que les options et les orientations prises par ce projet sont adaptées aux besoins et que la FPra apporte une contribution importante à la formation professionnelle des personnes avec handicap. Elle a également suggéré des pistes d’amélioration, notamment en ce qui concerne la collaboration avec les employeurs.
Des discussions et des rencontres ont ensuite eu lieu avec l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), l’Office fédéral de la formation et de la technologie (OFFT), l’Union suisse des arts et métiers (USAM), la Conférence suisse de la formation professionnelle (CSFP) et l’Union patronale suisse. Toutes ces instances sont elles aussi intéressées à l’amélioration de l’intégration des personnes avec un handicap, intégration qu’elles considèrent comme un défi majeur de notre société.
D’importantes perspectives de développement
Si la FPra a des bases solides, il lui reste à envisager plusieurs développements pour mieux atteindre son but et offrir aux jeunes en difficulté une formation qualifiante leur permettant véritablement de trouver une place sur le marché du travail.
1. Renforcer l’employabilité au terme de la formation par le modèle supported education (formation en entreprise) est l’objectif prioritaire. Pour atteindre ce but, le suivi en entreprise de jeunes en formation doit être renforcé. Car si l’intérêt des entreprises pour de tels projets est clairement établi, il demande un effort supplémentaire dans l’encadrement. Soulignons que cet effort est régulièrement suivi d’un retour positif tant en termes d’image que d’identité et d’esprit d’équipe. Mais pour les institutions, la démarche exige de l’imagination et de la souplesse organisationnelle car la fragilité de certain-e-s apprenti-e-s nécessite une attention soutenue.
2. Développer des bilans de compétences reconnus. L’étude de 2010 a montré que la collaboration avec les partenaires concernés doit être renforcée, notamment avec les organisations du monde du travail (OrTra). Afin que la Formation Pratique soit plus largement reconnue, il a été décidé de mettre en place des bilans de compétences qui seront explicites pour tous les employeurs et pour tous les jeunes qui n’obtiennent pas de diplôme fédéral. Cette nouvelle partie du projet a été lancée en septembre 2011 en partenariat avec la Conférence suisse des offices de la formation professionnelle (CSFP) et l’Union suisse des arts et métiers (USAM). L’office fédéral de la formation professionnelle (OFFT) et l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) participent au groupe de pilotage.
3. Etablir un pont avec les formations de deux ans (AFP). Un certain nombre d’apprenti-e-s (65 en 2010) ont pu entrer dans une formation professionnelle de deux ans suite à une Formation Pratique. Afin de faciliter ce passage de l’une à l’autre, INSOS Suisse va adapter les programmes de formation et les élaborer sur une base plus étroitement liée aux plans de formation AFP. Ce travail ira de pair avec de nouvelles désignations de métiers, de manière à ne pas créer d’imbroglios à ce propos.
La formation : une exigence de société
Parler de « bas seuil » équivaut à se poser la question de l’accessibilité. INSOS Suisse est de l’avis que chacun et chacune doit avoir la possibilité de suivre une formation professionnelle qui soit à la mesure de ses capacités. Une prise de position – Formation professionnelle pour tous !- a été rendue publique en mars 2009 [3]. Elle rappelle les études statistiques fédérales de l’aide sociale selon lesquelles le manque de formation constitue l’un des principaux risques de pauvreté. Dès lors, viser l’intégration des personnes handicapées doit passer par la formation professionnelle ; c’est le seul moyen connu pour leur permettre – à terme – d’intégrer le monde du travail de façon durable.
Une récente communication de l’Office fédéral des assurances sociales vient toutefois de donner un coup de frein à ce projet national. En effet, dans une feuille d’information de juin 2011 [4], l’OFAS a annoncé une nouvelle réglementation pour les offices AI : ils devront désormais donner les autorisations de FPra pour une année seulement. Ensuite, si l’évaluation effectuée vers la fin de la première année établit que la formation a de bonnes chances de déboucher sur une amélioration de la capacité de gain et par conséquent sur une diminution du montant de la rente d’invalidité versée à l’apprenti-e, la formation pourra alors être prolongée d’une année. Cette réglementation prévoit qu’une deuxième année de formation pourrait tout de même être accordée, même en l’absence d’impact financier immédiat sur la rente, lorsque la réinsertion sur le marché primaire de l’emploi est envisageable.
Cette nouvelle réglementation met en danger la Formation Pratique développée par INSOS. Elle a pour conséquence que de nombreux jeunes (le chiffre est difficile à évaluer) ne pourront plus suivre une Formation Pratique de deux ans, durée pourtant considérée comme minimale sur le plan fédéral. Face à cette décision qui exclut les jeunes les plus faibles de la formation professionnelle, plusieurs associations du handicap ont lancé une pétition pour la formation professionnelle pour tous, sans ou avec handicap. Ce texte a rencontré un grand succès populaire : 107’675 signatures ont été déposées à Berne le 12 septembre 2011 [5].
La FPra continue son « work in progress »
Malgré ces restrictions, INSOS Suisse continue son travail pour développer cette offre particulière de formation pratique qui va justement dans le sens d’une formation professionnelle pour toutes et tous. L’évaluation conduite par la Haute Ecole intercantonale de pédagogie curative de Zurich montre que cette offre est judicieuse et appréciée. Des pistes de développement et de renforcement existent et vont être testées. Sur le terrain, de nombreux acteurs et actrices se sont investis dans ce travail. L’expérience a également suscité de l’intérêt bien au-delà du monde spécialisé et institutionnel. Face à ces nombreux encouragements et malgré les restrictions de l’OFAS, INSOS Suisse va continuer de s’engager avec ses partenaires afin que la formation professionnelle pour toutes et tous puisse être réalisée.
[1] Lignes directrices, lien internet.
[2] Télécharger le document (88 pages pdf, en allemand, avec 3 pages de résumé en français).
[3] Télécharger le document (4 pages pdf, en français).
[5] Site de la pétition. REISO avait d’ailleurs mentionné ce succès dans Le fil de l’actualité.