L’équilibre, un sixième sens à choyer
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Les chutes représentent un risque considérable pour la santé des plus de 65 ans, qui sont plus de 90'000 à se blesser chaque année en Suisse après être tombé·es. Travailler l’équilibre est un enjeu majeur pour prévenir les risques.
Par Laura Beauverd, chargée de projets en activité physique, Unisanté, Lausanne
N’en déplaise à Aristote et sa théorie, l’être humain est doté de plus de cinq sens : la capacité du corps à se maintenir en équilibre en prévenant et anticipant toute chute constitue en effet, d’une certaine manière, un sens à part entière. Ce sens de l’équilibre, ou équilibrioception, fonctionne à l’aide de trois systèmes du corps qui perçoivent et envoient différentes informations au cerveau :
- Les récepteurs sensoriels du système vestibulaire, situés dans l’oreille interne, qui détectent les mouvements du corps.
- Le système proprioceptif, constitué de capteurs situés entre autres sur les muscles et articulations, permet de déterminer, les yeux fermés, la position des membres dans l’espace.
- Finalement, le système visuel informe sur la direction et la vitesse des mouvements de la tête par rapport à son environnement. Une fois les informations traitées par le système nerveux central, ce dernier envoie les commandes motrices nécessaires au système musculosquelettique pour qu’il s’adapte aux déséquilibres perçus et ajuste la position du corps.
Avec le vieillissement physiologique, ces différents systèmes sont altérés ; la vue baisse, les récepteurs sensoriels diminuent en efficacité et en nombre, les réflexes sont moins bons et les muscles perdent de leur masse et s’atrophient (phénomène nommé sarcopénie). Ces changements naturels liés à l’âge mettent l’équilibre à rude épreuve et augmentent considérablement le risque de chutes.
Incidence et conséquences des chutes
En Suisse, plus d’une personne sur quatre de plus de 65 ans chute au moins une fois par an. Dans le canton de Vaud, où le taux est relativement élevé par rapport à la moyenne nationale, 29% des 65+ (Obsan) chutent annuellement. Au total, ce sont près de 90'000 seniors qui se blessent chaque année à la suite d’une chute et 1’600 perdent la vie (Niemann, 2022). Tomber peut entraîner des conséquences fâcheuses sur la santé à long terme, telles que des limitations fonctionnelles permanentes, une perte d’autonomie ou encore des déficiences psychosociales.
Le risque psychologique le plus courant demeure toutefois le syndrome de désadaptation psychomotrice, également appelé « syndrome post-chute ». Ce dernier affecte près d’une personne qui chute sur cinq (Morisod, 2007) et entraîne un cercle vicieux : en effet, à la suite d’une chute, on constate régulièrement chez la victime une perte de confiance en ses capacités, accompagnée d’une peur de chuter à nouveau, laquelle la conduit généralement à renoncer à certaines de ses activités physiques et sociales. Cet abandon pourra engendrer un déconditionnement physique, de l’isolement, voire de la dépression et augmentera le risque de récidive (Bruderer-Hofstetter, 2023). Que la personne ait déjà chuté ou non, la peur de tomber est l’un des prédicteurs majeurs d’une chute, ce facteur doublant en effet le risque chez les personnes souffrant de cette crainte (Sheffer, 2008).
Prévention : les bénéfices de l’activité physique
Le meilleur moyen de prévenir la peur et le risque de chute est un mode de vie actif, aussi bien physique que mental, qui renforce le sentiment d’auto-efficacité et la confiance en soi (Bruderer-Hofstetter, 2023). Augmenter la confiance en soi des participant·es est d’ailleurs l’objectif principal du cours intitulé « Equilibr’Age » proposé chaque semaine par Pro Senectute à Morges [1]. Les participant·es à cette offre d’activité physique en groupe effectuent des exercices améliorant l’équilibre, apprennent à mieux connaitre leurs capacités et reconnaitre leurs limites.
En plus des bienfaits bien connus sur le corps et l’esprit de la pratique régulière d’une activité physique, les études démontrent que l’exercice physique est bénéfique pour les personnes âgées en termes d’équilibre, de performance physique, de peur de chuter, de confiance et de qualité de vie (Papalia, 2020). Cette constatation est d’ailleurs énoncée par les seniors prenant part à ce cours, qui témoignent que l’amélioration de leurs capacités constitue une source de motivation considérable à participer régulièrement aux cours.
Définitions de l’activité physique et recommandations
L’OMS définit l’activité physique comme tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques qui requiert une dépense d’énergie. Elle se réalise dans le cadre des loisirs ou d’un entrainement, mais également dans le contexte de la vie quotidienne. Cela peut consister en la montée d’escaliers, un déplacement à pied pour faire ses courses ou encore le rangement du lave-vaisselle.
Les recommandations pour les 65+ indiquent que les seniors devraient pratiquer au moins 2h30 d’activité physique hebdomadaire d’intensité moyenne, ce qui correspond à une marche rapide engendrant un léger essoufflement. Il est conseillé également de pratiquer deux fois par semaine des mouvements travaillant la force des principaux muscles du corps, ainsi que des enchaînements améliorant l’équilibre (HEPA 2023). Selon une méta-analyse, effectuer des exercices réduirait de près d’un quart le risque de chute (Sherington, 2017). En outre, pratiquer une activité physique régulière représente une solution efficace pour limiter non seulement les chutes, mais également les risques de blessures consécutives à une chute (Dipietro, 2019).
L’entrainement spécifique à la prévention des chutes
Plusieurs formes d’exercices existent dans l’entrainement spécifique à la prévention des chutes. Les varier et les combiner à diverses composantes semble se révéler très efficace (Sherington, 2019). Le cours « Equilibr’Age » débute par exemple par des exercices proprioceptifs debout, voire assis pour les personnes à l’équilibre précaire. Cette mise en train est vouée à la prise de conscience du corps dans l’espace et à ce que les participant·es retrouvent progressivement leurs appuis. Les exercices d’équilibre peuvent être réalisés de manière statique (p. ex : se tenir sur un pied) ou dynamique (enfiler ses chaussettes debout).
L’entrainement de force est tout aussi recommandé : renforcer les membres inférieurs (p. ex : flexions des genoux) et le tronc (gainage) améliore la stabilité du corps, ainsi que la posture. Les exercices de type « double tâche », comme marcher à l’envers en réalisant un calcul mathématique, sollicitent conjointement les capacités motrices et les capacités cognitives, et s’avèrent aussi efficaces (HEPA, 2023). Enfin, l’entrainement fonctionnel, où les formes d’exercices se basent sur les mouvements de la vie quotidienne est important. Celui-ci est régulièrement proposé dans les cours « Equilibr’Age ». Les participant·es s’entrainent à la marche, mais également à se mettre au sol et à se relever.
Seul, c’est bien. En groupe, c’est mieux
Les programmes d’exercices à effectuer à domicile ont prouvé leur efficacité (Gillespie, 2012). Cependant l’activité en groupe, du fait notamment de sa composante sociale, apporte d’autres avantages, parmi lesquels des bénéfices psychosociaux et la régularité de l’activité. La monitrice d’« Equilibr’Age » le relève également : l’aspect communautaire influence positivement l’engagement des participant·es, qui se montrent bienveillant·es et soucieux·ses les un·es par rapport aux autres.
Campagne « L’équilibre en marche »
Développée en partenariat entre Pro Senectute, le BPA et Promotion santé suisse, la campagne « L’équilibre en marche » aborde sciemment le sujet de la prévention des chutes de manière ludique et accessible. Elle incite les hommes et les femmes de plus de 45 ans à bouger davantage. Son site internet contient des propositions de neuf exercices d’entraînement de force et d’équilibre à effectuer à la maison, chacun étant décliné en trois niveaux de difficulté.
Le site répertorie aussi plus de 1’500 cours de différents niveaux, aux quatre coins de la Suisse et dans de nombreux domaines, tels qu’entraînement de la force et de l’équilibre, danse, taï-chi, marche nordique ou FitGym.
Les cours labellisés «equilibre-en-marche.ch» mettent l’accent sur un entraînement destiné à prévenir les chutes. Dans les autres offres également, des moniteurs «Sport des adultes Suisse (esa)» ou des physiothérapeutes chevronnés mettent en œuvre les connaissances actuelles de la recherche médico-gériatrique dans des exercices spécifiques.
Retrouvez les offres d’activité physique en groupe sur le site «Equilibre en marche»
(Source : https://www.equilibre-en-marche.ch)
Bibliographie
- Bruderer-Hofstetter M.,Knuchel-Schnyder S, « Peur de chuter : définition et emploi de la notion de de peur de chuter dans le contexte de la promotion de la santé et de la prévention ». Feuille d’information 82, Promotion Santé Suisse, mars 2023
- Dipietro, Loretta, Wayne W. Campbell, David M. Buchner, Kirk I. Erickson, Kenneth E. Powell, Bonny Bloodgood, Timothy Hughes, et al. « Physical Activity, Injurious Falls, and Physical Function in Aging: An Umbrella Review ». Medicine and Science in Sports and Exercise 51, no 6 (juin 2019): 1303‑13.
- Gillespie, Lesley D., M. Clare Robertson, William J. Gillespie, Catherine Sherrington, Simon Gates, Lindy M. Clemson, et Sarah E. Lamb. « Interventions for Preventing Falls in Older People Living in the Community ». The Cochrane Database of Systematic Reviews 2012, no 9 (12 septembre 2012): CD007146.
- Morisod, Jérôme, et Martial Coutaz. « Le syndrome post-chute : comment le reconnaître et le traiter ». Rev Med Suisse 132 (7 novembre 2007): 2531‑36.
- Niemann S, Achermann Stürmer Y, Derrer P, Ellenberger L. Status 2022: statistique des accidents non professionnels et du niveau de sécurité en Suisse. Berne: BPA, Bureau de prévention des accidents; 2022. DOI:10.13100/bpa.2.465.02.2022.
- Office fédéral du sport OFSPO, Office fédéral de la santé publique OFSP, Promotion Santé Suisse, Bureau de prévention des accidents bpa, Réseau suisse Santé et activité physique hepa. Recommandations suisses en matière d’activité physique. Bases. Macolin: OFSPO 2022.
- Papalia, Giuseppe Francesco, Rocco Papalia, Lorenzo Alirio Diaz Balzani, Guglielmo Torre, Biagio Zampogna, Sebastiano Vasta, Chiara Fossati, Anna Maria Alifano, et Vincenzo Denaro. « The Effects of Physical Exercise on Balance and Prevention of Falls in Older People: A Systematic Review and Meta-Analysis ». Journal of Clinical Medicine 9, no 8 (août 2020): 2595.
- Scheffer, Alice C., Marieke J. Schuurmans, Nynke van Dijk, Truus van der Hooft, et Sophia E. de Rooij. « Fear of Falling: Measurement Strategy, Prevalence, Risk Factors and Consequences among Older Persons ». Age and Ageing 37, no 1 (janvier 2008): 19‑24.
- Sherrington, Catherine, Nicola J. Fairhall, Geraldine K. Wallbank, Anne Tiedemann, Zoe A. Michaleff, Kirsten Howard, Lindy Clemson, Sally Hopewell, et Sarah E. Lamb. « Exercise for Preventing Falls in Older People Living in the Community ». Cochrane Database of Systematic Reviews, no 1 (2019).
- Sherrington, Catherine, Zoe A. Michaleff, Nicola Fairhall, Serene S. Paul, Anne Tiedemann, Julie Whitney, Robert G. Cumming, Robert D. Herbert, Jacqueline C. T. Close, et Stephen R. Lord. « Exercise to Prevent Falls in Older Adults: An Updated Systematic Review and Meta-Analysis ». British Journal of Sports Medicine 51, no 24 (1 décembre 2017): 1750‑58.
[1] Le cours est animé par Kristine Ramseier, psychomotricienne.
Lire également :
- Fred Paccaud, «Vieillissement et santé: plusieurs pistes d’action», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 16 décembre 2019.
Cet article appartient au dossier Sport et mouvement
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Laura Beauverd, «L’équilibre, un sixième sens à choyer», REISO, Revue d'information sociale, publié le 1er juillet 2024, https://www.reiso.org/document/12744