Pour une image corporelle positive chez les ados
Parler de l’image corporelle avec les jeunes pour renforcer leurs compétences de vie et améliorer leur santé? C’est ce que propose un nouveau programme développé dans un premier temps pour les écoles du Jura et du Valais.
Par Tania Schindelholz avec les équipes du programme #MOICMOI de la Fondation O2 et Promotion Santé Valais
Réseaux sociaux, publicité, télévision : à l’heure actuelle, le culte de la beauté est présent partout. Le modèle de beauté unique, vantant minceur pour les femmes et hypermusculature pour les hommes, envahit l’espace public depuis longtemps et renforce ainsi les normes sociales de minceur imposées dans les médias. Comment développer une image corporelle positive lorsque l’on est confronté sans cesse à ces normes et influencé-e quotidiennement par les médias, la publicité, mais également les pairs et la famille ? C’est dans ce contexte que s’est développé le programme #MOICMOI [1], dont le but est de renforcer l’image corporelle positive en travaillant sur les compétences de vie. Développé pour les écoles dans les cantons du Valais et du Jura, ce projet propose une formation et des moyens d’enseignement compatibles avec le Plan d’études romand (PER) visant à reconnaître l’influence des modèles de beauté sur l’image corporelle, à renforcer l’estime de soi et à encourager l’adoption de saines habitudes de vie.
Préoccupation excessive à l’égard du poids
Depuis plusieurs années, les programmes de promotion de la santé visent à développer des conditions-cadres permettant d’acquérir des comportements positifs en matière de santé. De nombreux cantons ont ainsi mis sur pied des programmes d’action cantonaux, avec le soutien de Promotion Santé Suisse. Ces programmes ont pour objectifs de favoriser des habitudes de vie positives, en prévention du surpoids et de l’obésité. Les dernières données éditées par Promotion Santé Suisse [2] montrent que ces deux problématiques sont en léger recul, ce qui semble prouver l’efficacité des interventions réalisées dans les cantons. Cependant, une nouvelle problématique gagne du terrain : celle de la préoccupation excessive à l’égard du poids.
On constate en effet que de nombreux jeunes sont insatisfaits de leurs corps. En Suisse romande, seules 39% des adolescentes estiment avoir la silhouette idéale, de même que 37% des garçons [3]. Alors qu’environ un-e jeune sur six est en surpoids en Suisse, près d’un-e jeune sur deux se préoccupe de manière excessive de son poids.
L’image corporelle, un facteur de santé
Cette préoccupation excessive devrait donc être davantage prise en considération dans les interventions et programmes de promotion de la santé. Notamment parce qu’elle a un impact majeur sur l’image corporelle, qui peut être définie comme «la perception qu’a une personne de son propre corps. Cette perception inclut les pensées, les jugements, les émotions et les sensations à l’égard de son corps » (EquiLibre, 2012). L’image corporelle est également liée au regard des autres et à l’image que l’on croit que les autres perçoivent. Plusieurs facteurs agissent sur le développement de l’image corporelle :
- Les caractéristiques physiques (âge, poids, apparence, croissance, sexe, etc.)
- Les traits de personnalité, ou facteurs cognitifs/émotionnels (estime de soi, gestion des émotions, autonomie, etc.)
- Le comportement en lien avec la santé (habitudes de vie positives ou non)
- L’environnement socioculturel (socialisation culturelle, influence des normes sociales de minceur et de beauté par exemple, également influence des pairs et de la famille)
- Les expériences vécues (commentaires sur le corps, l’apparence ou le poids, moqueries, intimidation, isolement, etc.)
De fait, chacun développe une image corporelle en fonction de l’interaction entre ces facteurs. L’image corporelle peut ainsi devenir un facteur de protection ou de risque en matière de santé, selon qu’elle est positive ou négative. Un-e jeune avec une image corporelle positive développe par exemple une conception positive de son corps, peu importe son apparence. Il-elle est à même de respecter son corps et ses besoins, et de l’accepter tel quel. Et finalement, un-e jeune ayant une image corporelle positive sera plus à même de rejeter les idéaux corporels et normes sociales imposées dans les médias [4]. A l’inverse, un-e adolescent-e ayant une image corporelle négative perçoit son corps différemment de ce qu’il est réellement. Il-elle peut être amené-e à développer des habitudes de vie négatives (mise en place de régimes, absorption de produits anabolisants, etc.) pour modifier son corps. Son insatisfaction corporelle est élevée et il-elle peut ressentir de la haine à l’égard de son propre corps.
L’image corporelle négative est ainsi un facteur de risque en matière de santé, car ses conséquences sont nombreuses [5] :
- Régimes et mauvaises habitudes alimentaires
- Troubles alimentaires
- Diminution de l’estime de soi
- Dépression, idées suicidaires
- Etc.
Toute personne, quel que soit son âge, peut développer une image corporelle négative. Cependant, les adolescent-e-s sont plus souvent concerné-e-s par ce phénomène, pour plusieurs raisons. Le corps est soumis à de fortes influences, avec des modifications physiologiques importantes. Ces modifications ont un impact également sur la santé mentale des jeunes, qui subissent en parallèle une pression extérieure poussant à se conformer aux normes sociétales et aux idéaux de beautés imposés.
Un programme unique en Suisse
Afin de lutter contre cette insatisfaction corporelle croissante chez les jeunes, les cantons du Jura et du Valais ont développé le programme #MOICMOI écoles. Inspiré du programme québécois « Bien dans sa tête, bien dans sa peau » d’EquiLibre, il vise à fournir aux jeunes et aux adultes qui les entourent des ressources pour renforcer l’image corporelle positive et l’estime de soi. Ses deux objectifs principaux:
- Favoriser l’acquisition d’attitudes et de comportements positifs à l’égard du corps, de l’alimentation et de l’activité physique
- Promouvoir l’estime de soi et le respect des autres, quel que soit son format corporel
Le but est notamment d’amener l’élève à percevoir son corps de manière positive, à prendre conscience de l’influence des modèles de beauté véhiculés dans les médias ou encore à cultiver la tolérance et le respect à l’égard d’autrui et de soi-même. Le programme agit donc directement sur le renforcement des compétences de vie des élèves. En parallèle, il permet aux professionnel-le-s de prendre conscience de leur influence sur les jeunes, de parler des questions d’apparence avec finesse et perspicacité ou encore d’élargir la vision des jeunes.
En 2016, dix écoles secondaires (quatre jurassiennes et six valaisannes) ont pris part à la phase pilote, d’une durée de deux ans. Différents professionnel-le-s (enseignant-e-s, infirmières scolaires, etc.) ont ainsi suivi une formation pour acquérir les compétences sur la thématique et intégrer les spécificités du programme. L’objectif était de leur fournir suffisamment de connaissances pour travailler la thématique et, notamment, s’assurer que les messages soient amenés correctement auprès des jeunes.
En plus d’une formation spécifique, le programme fournit des fiches pédagogiques pour traiter la thématique selon plusieurs axes : environnement et mode de vie ; le corps et ses besoins ; les normes sociales de minceur ; discrimination, croyances et préjugés. Chaque fiche, rendue compatible avec le PER, est détaillée selon ses objectifs, sa durée, les domaines concernés, etc. Les écoles peuvent ainsi travailler avec ces fiches dans différentes branches (français, biologie, histoire, EPS, etc.).
L’évaluation et les projets
Une évaluation de la phase pilote a été réalisée par la HEP Valais dans le but de mesurer la pertinence des outils du programme, l’intérêt des élèves ainsi que les forces et faiblesses du processus d’implantation dans les écoles. Cette évaluation a également permis d’élaborer des recommandations pour les établissements intéressés à mettre en place le programme. 17 enseignant-e-s et 431 élèves des deux cantons ont participé à l’évaluation. Cette dernière a mis en évidence la très bonne évaluation du programme par les différents acteurs questionnés. Le programme a été implanté dans toutes les écoles et les activités pédagogiques ont créé des situations propices à l’apprentissage, tout en suscitant l’intérêt des élèves [6].
En 2018, une nouvelle formation sera proposée pour les établissements intéressés. En parallèle, au vu de l’intérêt des cantons romands pour ce programme, une réflexion est menée sur le développement à d’autres publics-cibles en Suisse romande, notamment extrascolaires. Plus les activités permettant de renforcer les compétences de vie des jeunes sont nombreuses, plus ces derniers trouveront des armes pour lutter contre les influences extérieures et pour développer un esprit critique.
[1] Site internet #MOICMOI avec la présentation du programme et des actualités en lien avec l’image corporelle positive. Parmi les vidéos à disposition sur Youtube, voir notamment le reportage au Cycle d’orientation des Liddes à Sierre dans le cadre d'une journée #MOICMOI : la parole aux élèves et aux enseignant·e·s.
[2] Promotion Santé Suisse (2018), Monitoring des données pondérales effectué par les services médicaux scolaires des villes de Bâle, Berne et Zurich, 2005/06 à 2016/17, Feuille d’information 33
[3] Promotion Santé Suisse (2017), Image corporelle positive chez les jeunes en Suisse, Feuille d’information 25
[4]Alvalo et al. (2015), in Forrester-Knauss, C. (2014). L’image corporelle positive chez les adolescents. Promotion Santé Suisse Document de travail 29, Berne et Lausanne
[5] Neumark-Sztainer, D., Paxton, S. J., Hannan, P. J., Haines, J. & Story, M. (2006), Does body satisfaction matter? Five-year longitudinal associations between body satisfaction and health behaviors in adolescent females and males. Journal of Adolescent Health 39
[6] Zoe Moody & Lirija Namani (HEP-VS), Évaluation externe de la phase pilote du programme « Bien dans sa tête, bien dans sa peau (BTBP) » dans les cantons du Jura et du Valais, Rapport final, St-Maurice, octobre 2017/ Rapport interne
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Tania Schindelholz, «Pour une image corporelle positive chez les ados», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 25 juin 2018, https://www.reiso.org/document/3197