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La restauration comme vecteur d’intégration

Jeudi 22.04.2021
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Réinsertion professionnelle ou inclusion sociale ? Les modèles mis en place par les entreprises sociales de la restauration disposent de moyens différents pour atteindre leur but. Focus sur quatre d’entre elles.

Par Antoine Bongard, Josepha Chiesa, Martin Corpataux, Chris Mezzelani et Nicolas Moine, Bachelor en travail social, Haute école de travail social Fribourg (HES-SO)

Le modèle d’entreprise sociale voit le jour de part et d’autre de l’Atlantique dans les années 90. En Italie apparaissent des formes juridiques comme la coopérative sociale alors que cette forme est promue au niveau politique en Grande-Bretagne (Defourny & Nyssens 2019). Il faut cependant attendre les années 2000 pour que ce concept émerge en Suisse.

Il n’existe actuellement pas de définition unique pour parler de l’entreprise sociale. Mais toutes s’accordent sur le fait que pour être reconnue comme telle, celle-ci doit poursuivre une finalité à la fois économique et sociale. Defourny & Nyssens (2013) définissent un troisième critère qui est la mise en place d’un mode de gouvernance spécifique [1].

En raison de l’apparition de programmes publics spécifiques centrés sur le domaine de l’insertion par l’activité économique, les entreprises sociales à cette finalité se sont imposées ces vingt dernières années comme modèle dominant en Europe. Leur mission principale est d’offrir à des personnes sans profession, peu qualifiées ou écartées du monde du travail, la possibilité d’être réinsérées dans le marché de l’emploi grâce à une action productive (Defourny & Nyssens 2013).

Depuis quelques temps, la Suisse a vu ce type de modèles prendre un essor considérable. Selon certaines estimations publiées par le Conseil fédéral en 2016, il en existerait actuellement plus de 400. En Suisse, celles et ceux qui sont encadrées par ces structures sont principalement au bénéfice de l’assurance-invalidité, de l’assurance-chômage ou de l’aide sociale.

Selon Avenir social, « le travail social consiste à inventer, développer et fournir des solutions à des problèmes sociaux » (2010). C’est donc ce que font ces lieux en offrant des possibilités d’insertion à un public défavorisé.

Une recherche sur quatre entreprises sociales

Une recherche exploratoire de type qualitative a été effectuée par des étudiant·e·s de la Haute École de travail social e Fribourg auprès de quatre entreprises sociales réparties dans les cantons de Fribourg et du Jura. Comme la majorité d’entre elles en Suisse, elles sont issues du domaine de la restauration. Au total, sept professionnel·le·s ont été interviewé·e·s au travers d’entretiens semi-directifs, en s’appuyant sur l’entretien compréhensif de Kaufmann. En raison du contexte sanitaire lié au Covid-19, la majorité des échanges a été réalisée par visioconférence. Le but de la recherche est de comprendre comment le travail social y est mis en œuvre, quels en sont les acteurs et actrices et en faveur de quels publics. [2]

tableau article MoineDescription simplifiée des quatre entreprises sociales, issues du domaine de la restauration, mobilisées pour cette recherche;
* Politiques sociales : AI (assurance-invalidité), AC (assurance-chômage), AS (aide sociale). Dans les entreprises 1 et 2, les personnes sont majoritairement placées sous mandat des politiques sociales. Les établissements 3 et 4 ne répondent pas à un mandat des politiques sociales, bien qu’il soit possible qu’elles accueillent des bénéficiaires AI, AC ou AS.
# Il est exigé de ces professionnel·le·s qu’ils et elles soient capables de faire preuve d’empathie, d’écoute et de patience dans leur suivi.

Les données récoltées révèlent que le travail social proposé est étroitement lié à l’identité propre de la structure. En effet, il semble que sa nature se distingue en fonction de la mission et des valeurs que défend chaque société. De plus, il apparaît que celui qui est mis en œuvre n’est pas le même lorsque les établissements sont soumis à un mandat de politiques sociales et en fonction de la nature du personnel accompagnant qui y répond.

La recherche met en exergue une hétérogénéité des formes de travail social réalisé dans les lieux interrogés. Ainsi, deux standards sont mis en lumière. L’un est axé sur l’insertion professionnelle, l’autre sur l’inclusion sociale.

Un modèle axé sur l’insertion professionnelle

L’issue de l’étude montre que le personnel accompagnant issu des entreprises sociales dont la mission est la réinsertion professionnelle d’individus réalisent un travail social caractérisé par un suivi formel. Il se distingue par des exigences se rapprochant de l’économie libre. Ce type de programme requiert d’évaluer les capacités des bénéficiaires en fonction de leur productivité. Ceux et celles-ci doivent être en mesure de tenir un rythme d’activité et d’assumer des responsabilités. À cette fin, des objectifs proches de ceux exigés dans un emploi classique sont mis en place.

Outre la mission et les valeurs de ce type d’entreprise, les résultats soulignent que le caractère formel du travail social s’explique avant tout par le fait que ces dernières répondent à un mandat spécifique de politiques sociales. Les données récoltées témoignent ainsi d’une répartition entre les travailleur·se·s sociaux·les, en charge de l’accompagnement, et les employé·e·s de cuisine et de service, garant·e·s des compétences liées aux exigences du métier.

Cette distribution met en lumière une collaboration active entre ces deux types d’acteur·trice·s, présent·e·s tout au long du parcours des bénéficiaires. Cette coopération est non seulement mentionnée comme « utile » par les interviewé·e·s, notamment lors de la définition des objectifs à mettre en place avec la personne, mais plus encore lorsque le suivi nécessite des réajustements. Les propos d’une travailleuse sociale en témoignent : « Concrètement, je fixe d’abord des objectifs qui répondent au mandat. Ensuite, je collabore avec les responsables de cuisine et de service pour leur dire ce que j’aimerais qu’ils travaillent. Sur la base des observations, je leur demande de me faire un retour. Puis j’adapte les objectifs d’intervention. »

Il semble qu’être rattaché aux politiques sociales implique, pour ces lieux publics, de se montrer sélectifs dans leurs choix. C’est aussi ce que relate l’un des cuisiniers questionnés : « Il nous faut des profils capables d’être réinsérés, donc on emploie généralement que des personnes ayant des capacités hautes. »

Un modèle axé sur l’inclusion sociale

« Quand quelqu’un vient travailler chez nous et dit se sentir à l’aise et intégrée à l’équipe, pour nous tout est gagné. » (Directeur d’un des restaurants)

À l’instar des entreprises axées sur de l’insertion professionnelle, il apparaît que le travail social réalisé dans celles ayant une visée d’inclusion sociale a davantage un caractère informel, justifié par le détachement des politiques sociales.

Si elles offrent elles aussi la possibilité d’exercer une activité professionnelle dans l’économie libre, leur finalité demeure avant tout de valoriser les individus en les aidant à retrouver un rythme. En ce sens, les objectifs sont développés par les bénéficiaires et le suivi de ces dernier·ère·s est totalement particularisé. C’est d’ailleurs ce qu’un cuisinier explique : « chacun crée ses propres objectifs en fonction de ce qu’il veut accomplir, il n’y a pas de pression, c’est notre devise. »

Être détaché des politiques sociales implique toutefois des limitations structurelles. En effet, ces entreprises ne perçoivent aucune indemnité salariale pour celles et ceux qu’elles emploient. Dès lors, ce manque à gagner limite la mise en place de dispositifs pouvant intégrer tout type de population, comme le relève l’un des membres de l’équipe de cuisine : « On tourne que grâce aux recettes du restaurant. On n'a donc pas forcément les moyens d’investir dans du matériel. On a employé une personne en chaise roulante pour qui c’était compliqué de travailler avec notre matériel, rien n’était adapté à son handicap. » De plus, comme ces établissements ne comptent pas de travailleur·se·s sociaux·les, les professionnel·le·s de terrain doivent assumer un double rôle. Celui de poursuivre des objectifs commerciaux d’une part, celui de responsable de l’accompagnement individuel d’autre part.

Le fait que certain·e·s patron·ne·s exigent une « fibre sociale » de leurs employé·e·s, sans pour autant exiger une formation certifiante dans le domaine du travail social, montre également l’importance de cette double casquette. La non-affiliation aux politiques sociales et la non-intégration de travailleur·se·s sociaux·les dans leurs rangs résulte d’un choix.

Un élargissement du champ d’action du travail social

Le bilan de cette recherche démontre qu’il s’avère possible pour une entreprise sociale de concilier deux modèles de travail social. En plus d’offrir un suivi axé sur de la réinsertion professionnelle, l’un des restaurants interrogés se donne également pour mission d’offrir à des personnes issues d’ateliers protégés la possibilité d’expérimenter un travail valorisant dans l’économie libre.

Les deux standards émanant de nos résultats montrent que le travail social est présent dans les entreprises sociales sous des formes variées, se référant à certaines valeurs comme l’inclusion ou le lien à la productivité. Il semble aussi que la présence de travailleur·se·s sociaux·les ne soit pas un critère déterminant pour leur fonctionnement, sauf si ces dernières proposent de la réinsertion. En effet, les enjeux d’une réinsertion professionnelle comportent des exigences relatives notamment au mandat des politiques sociales. Pour y répondre, l’appui des travailleur·se·s sociaux·les se révèle indispensable.

In fine, la multiplicité des entreprises sociales présentes dans le domaine de la restauration témoigne d’un élargissement du champ d’action du travail social. Une évolution qui offre à un public défavorisé un éventail de prestations favorisant son intégration dans la société.

 Bibliographie

[1] Le mode de gouvernance est défini par ces auteur et autrice selon trois indicateurs : « Un degré élevé d’autonomie », « un pouvoir de décision non basé sur la détention de capital » et « une dynamique participative impliquant différentes parties concernées par l’activité ».

[2] Les données présentées dans cet article ne sont que le fruit d’une recherche exploratoire limitée à quatre entreprises sociales évoluant dans le domaine de la restauration. Elles ne revêtent donc pas d’une vérité absolue et sont à interpréter en regard d’un contexte plus large.

Comment citer cet article ?

Antoine Bongard, Josepha Chiesa, Martin Corpataux, Chris Mezzelani et Nicolas Moine, « La restauration comme vecteur d’intégration », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 22 avril 2021, https://www.reiso.org/document/7317

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