Un outil pour soutenir l’anticipation des soins
Pour aider patient·e·s et soignant·e·s à aborder le sujet des directives anticipées, une équipe interdisciplinaire genevoise a développé un instrument numérique. Se prononcer à tête reposée facilite une prise en charge conforme à ses volontés.
Par Christine Clavien, éthicienne, Institut Éthique Histoire Humanités, Université de Genève
Aujourd’hui, les avancées médicales offrent une large palette de traitements et d’options de soutien à la vie. Avec ces progrès, le hasard perd du terrain, mais dans le même temps, les dilemmes décisionnels frappent à la porte.
Les équipes médico-soignantes doivent régulièrement prendre en charge des patient·e·s temporairement ou durablement incapables de discernement. Ces situations sont difficiles à gérer lorsque plusieurs options de traitement sont envisageables. Faut-il calmer un épisode de crise au moyen d’une contention ou d’un traitement médicamenteux ? Faut-il se résoudre à un retrait thérapeutique ou prolonger la vie au prix d’une intervention invasive et de séquelles graves ? Qu’aurait voulu le ou la patient·e concerné·e ?
En l’absence d’un projet de soins anticipé (ProSA) [1] ou de directives anticipées, les soignant·e·s et les proches doivent prendre ces décisions. Parfois il y a des désaccords, et, souvent, des incertitudes et des regrets.
Questions difficiles
Chaque individu peut un jour être amené à se poser des questions pertinentes sur son futur état de santé : quel traitement envisager en cas de déclin cognitif, quel·le·s proches solliciter comme porte-parole, quelles interventions envisager en fin de vie, entre autres thématiques difficiles à aborder. La pertinence de ces questions et les réponses qu’on y apporte sont très individuelles. Il est important d’y réfléchir à l’avance et à tête reposée. Une bonne démarche d’anticipation signifie discuter et s’accorder avec ses proches et soignant·e·s sur la meilleure prise en charge en fonction de la situation.
Pourtant l’esprit humain est très mal outillé pour se projeter dans l’abîme des scénarios catastrophes. Même si l’on admet volontiers que l’anticipation des soins est utile, on préfère souvent évacuer la question ou la remettre à plus tard.
Voici donc la grande difficulté à laquelle se confrontent les promoteurs du Projet de soins anticipé (ProSa) [2]. Ce processus de discussion est crucial pour une prise en charge médicale adéquate, mais les citoyen·e·s et les patient·e·s sont réticent·e·s à s’y engager. Même les soignant·e·s peinent souvent à aborder cette problématique.
Outil numérique facilitateur
Face à cette difficulté, l’équipe pluridisciplinaire, impliquant des membres de l’université de Genève et des HUG, s’est donné pour objectif de briser la glace et de promouvoir la discussion autour de l’anticipation des soins. L’idée était de favoriser l'expression de l'autonomie décisionnelle des citoyen·ne·s et des patient·s grâce à un outil numérique au contenu riche, mais facile d’utilisation.
Le projet vu le jour au terme de deux ans de développement conceptuel et informatique et de multiples tests d’utilisateurs [3]. « Accordons-nous » a ainsi été lancé en décembre 2021. Il se présente sous forme de module informatique intégré dans l’application « Concerto » des HUG. Concerto est gratuite, téléchargeable sur les plateformes habituelles ou consultable en version web [4].
Parler et jouer pour mieux exprimer ses priorités
« Accordons-nous » comporte trois sections subdivisées en différentes pages [5]. Pour commencer, « je m’informe » explicite avec des mots simples, les principaux termes techniques ainsi que les enjeux légaux liés aux directives anticipées. On y trouve également des histoires de vie pour montrer qu’il n’est jamais trop tôt pour anticiper, quel que soit son âge et sa condition de santé.
La seconde section, « j’en parle », fournit toutes sortes d’incitatifs à la discussion autour des soins anticipés. On y trouve des idées de phrases pour briser la glace, ainsi qu’une liste d’institutions qui fournissent des aides à la rédaction de directives anticipées.
Des livres, des films, de la musiques et d’autres œuvres d’arts sont également listées pour partager des émotions et de parler de soi au détour d’une critique d’œuvre.
Ce segment inclut encore le jeu de cartes Anticip’action [6], à télécharger et à découper chez soi, auquel on peut jouer seul·e, avec un·e proche ou un·e soignant·e. En classant des cartes par ordre d’importance, le jeu aide à clarifier les valeurs et objectifs de vie et à planifier des actions concrètes en accord avec ce qui compte le plus pour le·la joueur·euse.
La dernière partie contient un formulaire de directives anticipées très complet, qui a été pensé dans le plus grand détail pour accompagner la réflexion et éviter la rédaction de demandes irréalistes ou incompréhensibles pour les soignant·e·s.
Les personnes ayant déjà été hospitalisées aux HUG ont la possibilité de se connecter dans un espace sécurisé de l’application, de filtrer les quarante questions en fonction de leur profil personnel (en bonne santé, maladie grave, crise psychologique, etc.) et de répondre directement dans l’application. Pour qui n’est pas patient·e de l’établissement hospitalier genevois, il est possible de télécharger le questionnaire complet en format PDF et le remplir chez soi.
Le formulaire contient une section intitulée « Ma biographie » qui invite à écrire quelques paragraphes pour se présenter. Cette partie aide les équipes médico-soignantes à s’occuper non seulement d’un corps malade inconscient, mais également d’une personne unique avec son histoire de vie. Cela facilite les relations humaines dans les contextes de soins de moyenne ou longue durée.
Pour les patient·e·s et pour les soignant·e·s
« Accordons-nous » est avant tout un outil d’information, une aide à la discussion, et un soutien pour tout individu désireux d’entamer une réflexion personnelle sur ses priorités de vie et sur les soins acceptés ou refusés en cas de coup dur.
Cette application a aussi été pensée pour les professionnel·le·s de santé qui abordent ces questions avec leurs patient·e·s. « Accordons-nous » peut être présenté lors d’une séance d’initiation au projet de soins anticipé. Ces personnes ont ensuite tout loisir de se renseigner, d’avancer dans leur réflexion, d’échanger avec leurs proches avant de poursuivre la démarcher lors de consultations ultérieures.
Limites et futurs développements
La technologie informatique offre des opportunités inédites, mais elle génère aussi de nouveaux défis. Dans la version actuelle, cet instrument ne propose qu’un coffre-fort sécurisé pour stocker et faciliter la mise à jour des directives anticipées.
Pour des raisons de sécurité de données sensibles, cette base de données ne communique avec aucun autre programme, pas même avec les dossiers informatiques des patient·e·s au sein de l’hôpital. Il est donc de la responsabilité des utilisateur·trice·s de transmettre leurs directives à leur représentant·e thérapeutique et à leurs soignant·e·s de référence. Le défi de l’interopérabilité de ce nouvel outil avec le Dossier électronique du patient est encore ouvert.
« Accordons-nous » est un projet évolutif. La traduction des contenus en différentes langues est un objet de réflexion. Mais surtout, une version informatique du jeu Anticip’action est en cours de développement et sera incluse dans le module.
Du Hackathon à l’expérimentation
Un premier jet théorique de l’application a été développé par deux étudiantes en médecine, Laurence Buytaert et Camille de la Serna, dans le cadre de leur travail de Master supervisé par Christine Clavien. Elles ont alors créé une équipe incluant des informaticien·ne·s, des patient·e·s partenaires, le Dr Thomas Fassier, et la Dr Florence Hartheiser. Leur objectif ? Participer au Hackathon 2019 organisé par le Centre de l’Innovation des HUG. À cette occasion, un prototype a pu être présenté et récompensé par un prix.
La deuxième phase de réalisation a été menée par Céline Schöpfer, psychomotricienne et philosophe, et Christine Clavien, en consultation avec une vingtaine d’expert·e·s de l’anticipation des soins au niveau suisse. De nombreux utilisateurs et utilisatrices-test ont participé à cette étape, qui a également bénéficié de la collaboration régulière de l’infirmière Catherine Bollondi, du Dr Thomas Fassier et de patient·e·s partenaires. Le développement informatique a été effectué par l’équipe informatique des HUG dirigée par Frédéric Ehrler.
Des tests d’utilisabilité et d’efficacités sont en cours d’analyse et de publication.
[2] « Planification anticipée concernant la santé PAS »
[3] Ce projet a été rendu possible grâce au soutien de la Fondation privée des HUG.
[6] Le jeu Antcip’action a été développé par Céline Schöpfer et Christine Clavien en collaboration avec une équipe interprofessionnelle au sein des HUG, incluant notamment des patient·e·s partenaires et les infirmières Pascale Lefuel et Catherine Bollondi.
Lire également :
- Anca-Cristina Sterie, Francesca Bosisio et Daniela Ritzenthaler, «Aider la prise de décision anticipée», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 2 décembre 2021
- Viviane Bérod Pinho, «Le processus paradoxal des directives anticipées», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 16 novembre 2020
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Comment citer cet article ?
Christine Clavien, «Un outil pour soutenir l’anticipation des soins», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 14 avril 2022, https://www.reiso.org/document/8853