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Demande d’assistance au suicide et souffrance insupportable

Lundi 08.07.2019

 Qu’en pense le patient ?

Commentaire de Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien


J’apporte ici une réflexion complémentaire sur le sujet discuté fin 2018 suite à l’adoption par l’Académie suisse des sciences médicales de ses Directives médico-éthiques « Attitudes face à la fin de vie et à la mort ».

Ce texte [1] inclut de nombreux éléments sur lesquels il y a accord de longue date, comme : « Le patient est capable de discernement par rapport au suicide assisté (…) Le désir de mourir est mûrement réfléchi, il ne résulte pas d’une pression extérieure et il est persistant (…) Des options thérapeutiques indiquées ainsi que d’autres offres d’aide et de soutien ont été recherchées et ont échoué ou ont été jugées inacceptables par le patient».

Mais une formulation a été jugée litigieuse dans ces Directives : « Les symptômes de la maladie et/ou les limitations fonctionnelles du patient lui causent une souffrance qu’il juge insupportable. » Le débat a été motivé par le qualificatif «insupportable» qui serait trop vague et ouvre potentiellement la porte à des déterminations excessives ou laxistes.

Sont ici en cause : d’abord, l’autonomie garantie au patient capable de discernement dans les soins de santé. On peut rappeler que, pour être licite, tout acte médical, sauf urgence grave, doit avoir été précédé du consentement éclairé du patient.

Puis, principalement l’enjeu éthique, pratique, de savoir qui est le meilleur juge, s’agissant de souffrance et de son intensité. Le thérapeute a avec lui son expérience clinique et humaine, il reste cependant que souffrir est éminemment subjectif. Bien difficile de se mettre à la place du malade. Le grand clinicien du début du XXe siècle William Osler disait : « Ecoutez le patient, il vous donne le diagnostic. » La mesure de la douleur n’est pas un diagnostic mais le conseil d’Osler pourrait valoir ici aussi. Dans plusieurs lectures récentes, j’ai été frappé par ces réactions de patients, suite aux propos directifs ou paternalistes des ‘sachants’: « Mais qui sont-ils donc pour prétendre mieux savoir que moi/nous ? » Parmi d’autres, la Dre Véronique Fournier, directrice du Centre national français des soins palliatifs et de la fin de vie, rapporte de tels propos dans des situations éthiquement difficiles[2].

Dans un cadre de relation soignant-soigné marquée par l’échange mutuel d’une information claire, le dialogue, le partenariat et la responsabilisation du malade, il ne paraît pas possible de poser comme règle que le médecin disposerait d’une appréciation plus solide, plus intime, de la souffrance ressentie par le malade. Partant, ce qu’en dit ce dernier doit être cru. Et il ne saurait être sérieusement question de requérir de lui qu’il « démontre » combien il souffre.

A propos du caractère vague de « insupportable » : on peut toujours faire plus précis, sans doute, mais il me semble que ce qualificatif dit ce qu’il veut dire, dans la vie et en fin de vie. Sans préjudice au fait que c’est une partie intégrante du métier de médecin de s’entretenir avec le malade et d’estimer son état, la détermination de ce dernier doit prévaloir, sauf cas exceptionnel. Il peut en effet y avoir, dans des demandes d’assistance au suicide, une dimension de crise aigüe, de dépression qui doit faire surseoir à une décision dans le sens de l’assistance, mais ce n’est pas le cas général.

Deux mots sur le plan juridique : le cadre légal, ferme mais peu précis, est chez nous l’article 115 du Code pénal[3] : si elle n’est pas motivée par des mobiles égoïstes (de l’aidant), l’assistance au suicide n’est pas punissable. Aucune autre condition n’est posée. Cela étant, il est judicieux que des instances professionnelles posent ces conditions pour la corporation médicale. Hypothétiquement : que peut-il se passer si un médecin affirmait que c’est à cause de la souffrance insupportable alléguée par le patient qu’il l’a aidé ? Dans le cas éventuel d’une procédure pénale, il est bien improbable qu’on voie des décisions de sanction du praticien concerné. Les juges s’en tiendraient au critère du code, c’est-à-dire à la question de savoir si il y avait des motifs égoïstes. Et, si on devait poser la question aux juges, ils seraient fort réticents à vouloir juger, mieux que le patient demandeur, du caractère insupportable de sa souffrance, avec de plus la difficulté à le faire a posteriori…

Finalement : la modalité suisse d’un dispositif légal peu défini est particulière, mais à au moins deux reprises le Conseil fédéral a jugé qu’il n’était pas judicieux de la compléter. Pour avoir eu à me préoccuper d’assistance au suicide dès les années 1990 au sein de l’autorité sanitaire vaudoise, et pour avoir suivi les débats depuis lors, j’estime que les faits montrent que ce dispositif est adéquat dans nos circonstances (je note que je ne suis pas membre d’Exit). Il est bon qu’il laisse une large autonomie, à la personne demandeuse d’abord, au médecin interpelé ensuite, pour se déterminer sur une question, il faut le rappeler vivement, de nature particulièrement privée, personnelle, intime.

[1] Les directives disponibles en format pdf

[2] Entre autres : Fournier V. La mort est-elle un droit ? Paris : La Documentation Française (Série « Place au débat ») 2016, 164 pages. Recension dans REISO

Fournier V.: Puisqu’il faut bien mourir, itinéraire d’une réflexion. Paris : La Découverte, 2015, 248 pages. Recension dans REISO

[3] Art. 115

Incitation et assistance au suicide

Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

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