Des citoyens au service de la participation sociale
Des hommes et des femmes accompagnent les personnes en situation de handicap afin qu’elles trouvent leur place et leur rôle dans la société. Trois bénéficiaires témoignent de l’aide ainsi obtenue et de leur parcours.
Par Phuong Merzouga Karpinski, responsable du service d’Accompagnement à domicile, avec la contribution d’Odile Erard, cheffe de service au Conseil social, Pro Infirmis Vaud
« Je sais comment m’occuper de mon ménage, comment me faire à manger, faire ma lessive. Maintenant j’aimerais faire du sport, sortir de chez moi, faire du fitness. », dit Georges [1], 26 ans.
« Avant mon accident vasculaire cérébral, j’assumais tout. Je travaillais, je m’occupais de mes deux garçons, je faisais mes paiements, j’écrivais et téléphonais aux administrations publiques. J’étais fière de mes responsabilités », confie Hélène, 54 ans.
« J’ai quitté le domicile de mes parents depuis plusieurs années. Grâce au soutien de l’accompagnatrice de Pro Infirmis, j’ai appris à m’occuper de mon logement. A présent, je dois tout réorganiser depuis que je vis avec mon ami et que nous avons eu nos deux enfants », témoigne Daniela, 33 ans.
Interagir avec son environnement
Georges a vécu un parcours scolaire spécialisé. Il présente des troubles du spectre autistique ainsi qu’une légère déficience intellectuelle. Jeune adulte, il vivait chez ses parents et travaillait dans un atelier protégé. Aujourd’hui, il a un emploi adapté en entreprise. Après trois ans de cours au service de Formation à la vie autonome [2], il s’est installé dans son appartement tout en bénéficiant du soutien du service d’Accompagnement à domicile de Pro Infirmis Vaud [3]. Pendant les deux premières années, l’accompagnateur l’a aidé à transférer et à adapter ses acquis du SFVA à son nouvel environnement. Méthodique et consciencieux, Georges aime la routine. Il utilise un planning et des fiches pour accomplir ses tâches hebdomadaires.
Or, se retrouver dans son logement implique des interactions : voir la concierge pour recharger la carte pour la machine à laver, aller au magasin du quartier, à la déchetterie de la commune, etc. Ce sont dans ces situations qu’intervient l’accompagnateur : comment se présenter, comment formuler sa demande, de quelle manière payer à la caisse d’un magasin ou écouter et suivre les consignes du collaborateur communal de la déchetterie. L’accompagnateur réexplique ensuite les règles, met par écrit les consignes ou les actes en séquences pour faciliter l’acquisition. Etre accompagné pour faire ses premiers pas à l’extérieur est rassurant. Acquérir une confiance en soi et comprendre le fonctionnement de son environnement favorisent les interactions avec celui-ci. Parfois les choses ne se passent pas comme il le souhaite. Les gens sont trop pressés pour écouter la fin de sa phrase. Certains vendeurs montrent une attitude d’agacement. Ils ne comprennent pas l’insistance de Georges sur la date de livraison d’un produit manquant au rayon et il s’énerve. Ce sont des imprévus que l’accompagnateur travaille par la suite avec lui pour trouver l’attitude à adopter et ne pas rester sur un sentiment d’échec. Comme il le dit avec un geste de balayage du bras : « Quand je vois qu’ils ne me comprennent pas, je passe mon chemin. J’en parle ensuite à mon accompagnateur. »
Dans certaines situations, l’accompagnateur est amené à sensibiliser les interlocuteurs aux limitations de Georges. Comme toute personne, il aimerait faire du sport et profiter ainsi des infrastructures publiques. Il a opté pour le fitness en hiver et la piscine en plein air par beau temps. Après les présentations et les explications sur l’utilisation des infrastructures (vestiaires, appareils d’entraînement, etc.), l’accompagnateur parle des besoins de Georges aux responsables des lieux : discours clair avec des phrases courtes, temps plus long pour intégrer les messages, répétition nécessaire des consignes, besoin de poser des questions. Quant au jeune homme, il apprend à solliciter les collaborateurs pendant les heures creuses, à ne pas les interrompre toutes les cinq minutes, à respecter les consignes d’utilisation. Ici aussi, il peut parfois se retrouver dans des milieux moins hospitaliers à l’accueil de sa différence. Alors, comme tout client, il change de lieu afin de « trouver chaussure à son pied ».
Reprendre une grande partie de ses responsabilités
Hélène était une femme travailleuse. Elle conciliait son travail avec les tâches liées à sa famille. Avec son mari, elle s’occupait de leurs deux garçons dont un est né avec une déficience. Les années sont passées. Les enfants ont grandi. Le cadet, devenu adulte, vit à présent dans une institution. Son mari est décédé. Hélène poursuivait son quotidien entre le travail et les visites à son fils handicapé. Sa vie a été bouleversée il y a quelques années suite à un accident vasculaire cérébral. Elle a connu une période intensive de soins et de réadaptation. Un curateur s’est occupé de ses affaires administratives et financières pendant qu’elle concentrait ses efforts pour récupérer le maximum de ses capacités.
Aujourd’hui, Hélène est retournée vivre chez elle. Elle a dû changer d’appartement pour avoir un logement accessible en fauteuil roulant. Les séquelles de son accident sont une hémiplégie et différents troubles (mémoire, vision, concentration, programmation d’activités séquentielles). Chaque semaine, Hélène reçoit la visite du personnel d’un centre médico-social pour l’aider dans ses soins de base. Elle a une femme de ménage pour entretenir son logement. Elle se fait elle-même à manger. Elle a des amis qui l’accompagnent pour faire les commissions.
La réorganisation du quotidien semblait fonctionner parfaitement. Or, un jour, elle a appris que ses finances étaient dans les chiffres rouges avec des rappels de paiements et des poursuites. Le curateur avait manqué à son devoir en laissant passer les délais de paiement et en omettant d’entreprendre les démarches de remboursement des frais de maladie. Hélène a alors demandé la levée de la curatelle et s’est tournée vers Pro Infirmis pour trouver de l’aide. Après deux ans de démarches intensives entreprises avec l’aide d’un assistant social, elle a réussi à assainir sa situation financière.
Ayant vécu une mauvaise expérience avec une mesure de protection, elle a souhaité reprendre la responsabilité de son administration et de ses finances. L’accompagnatrice à domicile l’a aidée à réapprendre les bases et, en collaboration avec l’assistant social, mis en place des outils adaptés : des casiers de couleurs différentes, un aménagement de l’espace pour faciliter l’accès aux documents, un calendrier adapté aux basses visions et un carnet d’adresses facile à manipuler. La régularité dans la stimulation et dans le soutien fournis par l’accompagnatrice, la grande motivation d’Hélène et sa participation active à la réalisation des tâches contribuent indéniablement à augmenter son degré d’autonomie et de satisfaction. Assumer ses responsabilités et garder un rôle dans la société en améliorant ses aptitudes et en aménageant son environnement ont toujours été le combat d’Hélène qui le revendique haut et fort : « Depuis que je suis devenue handicapée, j’ai perdu mon travail et je ne peux plus m’occuper de mon fils. Si je ne peux plus m’occuper de mes propres affaires, j’ai meilleur temps de mourir ».
Assumer un rôle social en s’occupant de sa famille
Daniela a une déficience intellectuelle légère. Aucun diagnostic n’a pu être posé depuis sa naissance. Son parcours scolaire a débuté à l’école de son quartier et s’est poursuivi en milieu spécialisé. Au fil des ans, elle a acquis son autonomie en apprenant avec ses parents ainsi qu’avec les éducateurs spécialisés. Elle souhaitait ne pas garder une relation de dépendance vis-à-vis de sa famille et sortir du cadre spécialisé en louant son propre appartement. Après examen avec son assistante sociale de Pro Infirmis des différentes possibilités de soutien, elle a opté pour le service d’Accompagnement à domicile afin de prendre le relais de ses proches dans la gestion de son environnement.
Les objectifs d’intervention de l’accompagnatrice s’ajustent au fur et à mesure de l’évolution des besoins de Daniela dont le parcours est ponctué par plusieurs déménagements, de la vie d’adulte célibataire à la vie de couple puis de mère de famille. Alors qu’elle a appris à organiser sa vie à domicile en fonction de sa propre situation, elle doit à présent apprendre à l’organiser aussi en fonction des besoins de sa famille. Le défi est grand, apprendre à concilier plusieurs tâches, prioriser les actions et faire face aux imprévus qui sont nombreux avec ses deux enfants en bas âge. Malgré le rôle important et l’implication du compagnon et père des enfants, un soutien régulier de professionnels de la petite enfance (pédiatre, infirmière, éducateurs de la garderie, thérapeutes, etc.) a été mis en place. Le sentiment d’être envahie dans sa sphère privée et de ne pas être à la hauteur pour s’occuper de ses enfants est très fort chez Daniela. La situation est complexe avec un risque accru de morcellement des préoccupations et des réponses des uns et des autres. En l’occurrence, il s’est avéré très vite primordial de constituer un réseau de soutien interdisciplinaire impliquant le compagnon de Daniela et sa propre mère. L’accompagnatrice, intervenante de première ligne, fait partie intégrante du réseau, apportant ses observations, son analyse et son savoir-faire.
Avancer ensemble vers la pleine participation
La prestation d’Accompagnement à domicile vise « à l’indépendance et à l’autonomie des personnes en situation de handicap et à leur participation active à la vie sociale » [4]. Elle tient compte des facteurs environnementaux pouvant entraver l’expression des rôles sociaux. Pro Infirmis est sorti du cadre en choisissant un accompagnement par des personnes de la société civile qui souhaitent une activité à temps partiel. Ces personnes sont parfois issues du domaine paramédical ou social mais aussi d’autres milieux professionnels. Elles bénéficient de formations ad hoc mises sur pied par l’association elle-même, ce qui distingue Pro Infirmis des autres institutions.
Loin de vouloir remplacer les proches aidants, les thérapeutes, les éducateurs ou les infirmiers, les accompagnateurs ont l’ambition de cheminer avec les personnes en situation de handicap afin que ces dernières se fassent une place dans leur logement, dans leur quartier et dans leur village ou ville, lieu où elles ont choisi librement de s’installer. Endossant le rôle de facilitateurs, ils les aident à semer des petites graines sur leur parcours de vie, lesquelles pourraient un jour contribuer à changer le regard de la société sur les personnes vivant avec une différence. Sur le plan personnel, les intervenants ont la satisfaction non seulement d’avoir une activité rémunérée mais aussi de jouer un rôle actif dans la participation sociale et dans l’inclusion des personnes en situation de handicap.
[1] Les prénoms ont été modifiés.
[2] Formation à la vie autonome (SFVA) de Pro Infirmis Vaud
[3] Les accompagnateur·trice·s sont des citoyens engagés, sans formation spécialisée, avec expériences de vie et motivation à soutenir les projets de vie indépendante à domicile des bénéficiaires du service Accompagnement à domicile. Ils sont formés par Pro Infirmis.