Sortir de l’hôpital, se rétablir et se réinsérer
La démarche de réhabilitation après un séjour en institution psychiatrique vise trois objectifs : sortir du cadre hospitalier bien sûr, mais aussi sortir du cadre de la maladie et sortir d’un cadre de vie insatisfaisant.
Par Yannis Bussy, infirmier chef des Unités URT et RESSORT, Fondation de Nant, La Tour-de-Peilz, et Audrey Linder, sociologue, Université de Lausanne et Haute Ecole de Santé Vaud - HES-SO
Dans le canton de Vaud, deux prestataires se partagent la mission d’organiser les soins psychiatriques : le Département de psychiatrie du CHUV pour la majorité du canton et la Fondation de Nant pour la région de l’Est vaudois (environ 170’000 habitants). Ces institutions proposent des prestations hospitalières, d’hôpital de jour, des consultations ambulatoires et des interventions à domicile aux personnes pour qui les seuls soins dans les cabinets de thérapeutes privés ne suffisent pas. Cette mission s’opère avec une pluralité d’acteurs externes aux institutions psychiatriques tels que les médecins de premiers recours, les services sociaux, les CMS et les EMS psychiatriques notamment.
Dans le cas concret de la Fondation de Nant, les prestations de soin suivent une « stratégie de la relation » afin que le patient devienne maître du jeu. Autrement dit, la position du thérapeute consiste à aider le patient à augmenter son pouvoir sur lui-même, sur ses souffrances internes, sur ses parties « malades ». Dès les années 1960, « le projet institutionnel se formalise dans une approche plus psychodynamique que médicale, dont l’objectif clinique n’est pas la réduction symptomatique ou l’adaptation sociale, mais plutôt le confort de vie et l’équilibre psychique selon la volonté du patient » (Bussy & Panchaud, 2012, p. 30) [1]. Dans les années 1980, l’Unité de réhabilitation thérapeutique se spécialise dans le rétablissement des patients nécessitant une prise en charge post-hospitalière résidentielle à moyen ou long terme et s’installe au centre-ville de La Tour-de-Peilz pour favoriser la part sociale du rétablissement.
Cette unité articule son travail autour de trois « sorties de cadre ». En premier lieu, l’unité permet une sortie du cadre hospitalier, un retour en ville, la reprise des activités quotidiennes (préparer les repas, faire la vaisselle, etc.). Deuxièmement, au travers des différents traitements et prises en charge qui lui sont proposés, le patient chemine vers une sortie du cadre de la maladie. Enfin, en retrouvant un logement et une activité professionnelle ou occupationnelle, le patient sort d’un cadre de vie insatisfaisant. C’est ce processus qui est détaillé ici.
Sortir du cadre hospitalier
Le centre de réhabilitation trouve sa place comme chaînon de la trajectoire possible pour certains patients, se situant directement après un séjour en milieu aigu hospitalier pour ceux qui ne peuvent pas se contenter d’un cadre ambulatoire et ont encore besoin d’une continuité du soin jour et nuit. L’hôpital, par son action contenante et structurante, a facilement pour effet de creuser un fossé entre la personne concernée et la société, avec comme conséquence une réelle difficulté à retrouver une vie dite « normale ». Il faut alors apprendre ou réapprendre à tisser des liens sociaux et découvrir ou redécouvrir la confrontation à la réalité extérieure, par exemple dans les démarches autour de la recherche et la prise d’un appartement, la construction d’un projet d’activité occupationelle ou de réinsertion professionnelle, ainsi que celles visant à obtenir un revenu financier décent et régulier.
La première phase se déroule surtout en interne, dans le cadre d’une vie communautaire et groupale avec des aspects concrets du vivre ensemble tels que la confection et le partage des repas. Cette approche groupale comporte plusieurs fonctions : éviter la solitude, favoriser les relations et l’expression des difficultés, jouer un rôle de conseil et de suggestion, révéler par un effet de miroir des aspects internes, donner de l’espoir et du soutien. Le groupe possède un effet d’universalisation qui diminue la honte et la culpabilité : un sentiment partagé conduit à la constatation que d’autres le vivent. Fréquemment, les patients s’entraident, tissent des amitiés et s’organisent en micro-réseaux sociaux [2]. Les temps, les espaces et la progression de leur usage par les personnes concernées sont pensés de manière à accompagner le processus de migration d’un lieu fermé et d’isolement « l’hôpital / la maladie » (autant réel que fantasmé dans le monde interne de chaque individu) vers un lieu ouvert et connecté au social « la sortie des soins psychiatriques institutionnels / le rétablissement psychique et social ».
C’est pour cette raison que la journée est découpée en trois temps distincts : un temps thérapeutique (la journée en semaine), un temps intermédiaire (l’aube, le soir et les week-ends) et un temps résidentiel (la nuit), l’encadrement soignant s’allégeant à mesure que l’on s’approche de la nuit. De la même manière, les programmes de soins individualisés se co-construisent avec le patient grâce à des bilans réguliers avec une progression du résidentiel vers une prise en soin sous forme d’hôpital de jour, puis des soins ambulatoires. Ce processus peut prendre quelques mois ou plusieurs années. Ainsi, le centre est une étape intermédiaire entre l’hôpital et le domicile, entre des soins aigus et ambulatoires, entre un moment où la maladie a le dessus et un autre où le rétablissement devient possible.
Sortir du cadre de la maladie
La réhabilitation laisse à la personne le temps de mûrir une réflexion et construire un projet de vie individuel qui tienne compte de la maladie et des aspects de prévention de la rechute. Peu à peu, divers éléments sont abordés et patiemment élaborés. Il s’agit notamment d’établir un lien significatif et durable avec un ou plusieurs thérapeutes ambulatoires qui assureront un suivi une fois que la personne aura quitté les structures intermédiaires. La prise en charge dans l’unité de réhabilitation assure un ajustement médicamenteux, y compris la recherche du dosage optimal, à savoir le dosage le plus petit possible afin d’éviter les rechutes. Enfin, la prise en charge dans l’unité est un moment de récupération ou de construction d’un réseau social solide qui soutienne la personne au-delà de la période des soins délivrés dans l’institution.
Tout cela se prépare au quotidien, en interne de l’unité. Le groupe de patients se révèle un laboratoire d’expériences et d’idées pour le futur. Progressivement, la personne se confronte à l’extérieur et à la rencontre avec différents milieux non psychiatriques. Ainsi, elle reprend peu à peu confiance en elle-même, augmente son estime de soi et s’autorise à rêver un avenir qui fasse sens pour elle.
Sortir d’un cadre de vie insatisfaisant
Sortir du cadre contraignant induit par la maladie et la stigmatisation sociale autant que l’auto-stigmatisation passe par des enjeux tout à fait concrets qui aboutissent tous à la diminution et à l’arrêt des soins dans le centre de réhabilitation.
Il y a d’abord la question d’un logement autonome. La personne récupère la possibilité de vivre seule (c’est-à-dire sans le soutien quotidien de soignants) dans son appartement ou acquiert cette capacité pour la première fois. Se pose également la question de l’utilité sociale que souhaite récupérer la personne, soit la question de l’occupation, que ce soit au travers d’une activité de bénévolat, dans un atelier protégé ou dans le cadre d’un emploi rémunéré. Ces deux objectifs majeurs de la réhabilitation sont les outils principaux pour redéfinir une vie la plus satisfaisante possible. Ils se mettent en place au travers d’un travail à quatre mains (ou bien plus) avec les soignants au début, puis progressivement ceux-ci se retirent. Demeure alors un interlocuteur que la personne interpelle si nécessaire pour considérer ses choix et ses projets avec le regard d’un autre qui l’aide, ce faisant, à prendre ses décisions de manière autonome.
Pour faire ses choix de vie, la personne doit bénéficier d’un environnement lui offrant un cadre souple, évolutif, individualisé et qui s’organise en co-construction. Elle doit aussi rencontrer une personne qui ait confiance en ses capacités, qui croie en la possibilité de réaliser son rétablissement. Cela se traduit par ce que Patricia Deegan a appelé « une conspiration de l’espoir » [3] : la base du positionnement soignant dans le travail de réhabilitation psychique et sociale consiste à parier sur la potentialité de la personne malade, même si celle-ci a vécu une crise majeure et dévastatrice et qu’elle présente encore des stigmates de la maladie. On conclut ensemble le pacte qu’elle s’en remettra et se rétablira.
Définir un nouveau cadre
Pour conclure, il semble nécessaire de préciser que l’ensemble de ces étapes ne forme pas un processus linéaire. Nous nous sommes efforcés de décrire les étapes principales par lesquelles passe la majorité des patients, mais il y a autant d’itinéraires de soins que d’individus. De plus, la chronologie des étapes n’est pas universelle, il y a parfois des arrêts, voire même des retours, puis des bonds en avant.
Le processus a abouti lorsque le patient a retrouvé une vie qu’il considère comme satisfaisante, qu’il ait encore un suivi ou non, des médicaments ou non, qu’il soit dans un appartement protégé ou un appartement classique, qu’il fasse du bénévolat ou qu’il ait repris une activité professionnelle. Au terme de la démarche, la personne a fait ses propres choix et défini son environnement pour elle et pour son quotidien. Car c’est en construisant cet espace qu’elle parviendra à sortir des cadres de l’hôpital, de la maladie et d’une vie insatisfaisante.
[1] Bussy, Y. & Panchaud, R (2012) Orchestrer sa propre existence, Santé mentale, n°166, pp. 30-33.
[2] Ibid.
[3] Deegan, P. (1987). « Recovery, rehabilitation and the conspiracy of hope ». ‘There’s a person in here’ : 6th Annual Mental Health Services Conference of Australia and New Zealand, Brisbane, Australia.