Environnement et santé : des liens trop souvent négligés
En Suisse, 15% des décès et 14% des années de vie en bonne santé perdues sont attribuables à des facteurs environnementaux pourtant modifiables. Comment promouvoir, même en ville, un cadre de vie favorable à la santé ?
Par Pascal Haefliger, chef du secteur prévention et promotion de la santé à la Direction générale de la santé du canton de Genève
Alors que notre société semble aujourd’hui avoir pris conscience de l’impact de l’homme sur son environnement, il n’en est vraisemblablement pas de même en ce qui concerne l’influence que ce même environnement peut avoir sur sa santé et son bien-être. La perception des questions environnementales semble en effet être trop souvent limitée à des considérations purement écologiques.
Et pourtant, un rapport publié en 2007 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) indique que 24% de la charge mondiale de morbidité (mesurée en années de vie en bonne santé perdues) et 23% de tous les décès peuvent être attribués à des facteurs environnementaux modifiables, c’est-à-dire susceptibles d’être modulés à l’aide de techniques, politiques et mesures préventives et de santé publique [1]. Cette étude considère les dangers chimiques, physiques et biologiques qui nuisent directement à la santé, mais également les facteurs environnementaux pouvant favoriser des comportements et des modes de vie malsains.
Si les pays en voie de développement sont particulièrement touchés, les pays industrialisés tels que la Suisse ne sont pas en reste avec 14% de la charge de morbidité et 15% des décès - près d’un décès sur six - attribuables à des facteurs environnementaux.
Des risques d’origines chimique, physique et biologique
Les substances chimiques toxiques présentes dans l’air que nous respirons, dans la nourriture que nous consommons et dans les objets que nous manipulons peuvent affecter notre santé en augmentant notamment les risques de cancers, de maladies cardiovasculaires et respiratoires, ou encore en interférant avec notre système nerveux ou hormonal. La pollution de l’air extérieur est par exemple classifiée comme cancérogène pour l’homme par l’OMS [2]. Et l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) relève que le niveau actuel de la pollution atmosphérique en Suisse entraîne chaque année 3’000 à 4’000 décès prématurés, environ 39’000 cas de bronchite aiguë chez les enfants et près de 1’000 nouveaux cas de bronchite chronique chez les adultes [3]. Au niveau mondial, il est estimé qu’au moins 5.7% de la charge de morbidité et 8.3% des décès sont dus à l’exposition à des substances chimiques toxiques [4].
Mais notre santé peut également être affectée par des risques physiques liés à notre environnement naturel et construit. L’OMS relève par exemple qu’une part importante (40% au niveau mondial) des traumatismes causés par les accidents de la circulation dépend de risques physiques liés à des infrastructures insuffisantes pour assurer la sécurité de la circulation piétonne et cycliste, et leur séparation du trafic automobile [1]. A cela s’ajoutent les risques physiques sur les lieux de travail, ou encore l’exposition aux radiations, au rayonnement ultraviolet, et au bruit. Ce dernier peut, lorsqu’il est excessif, porter atteinte au bien-être psychique et physique et, dans les cas extrêmes, entraîner des lésions auditives irréversibles. L’OFEV estime qu’en Suisse 1.3 million de personnes sont exposées à un bruit excessif, principalement dû au trafic routier. Il cause ainsi des problèmes de santé chiffrés à 140 millions de francs par an [5].
L’environnement joue également un rôle important dans la propagation de nombreuses maladies transmissibles. En tête de liste figurent les maladies diarrhéiques, les infections des voies respiratoires inférieures et le paludisme, en particulier dans les pays en voie de développement où les conditions d’hygiène et de salubrité sont déficientes (par exemple : absence d’eau potable et d’égouts).
L’impact sur nos comportements et nos modes de vie
Au delà des risques physiques, chimiques et biologiques, notre environnement - en particulier l’environnement construit - peut avoir un impact sur notre santé en influençant nos comportements et modes de vie.
Par exemple, alors qu’une activité physique régulière contribue notamment à réduire les risques d’obésité, de maladies cardiovasculaires et de dépression, l’aménagement de notre territoire tend à favoriser un mode de vie sédentaire. Les distances importantes entre lieux de vie et lieux de travail, mais aussi un urbanisme pensé en premier lieu pour les déplacements motorisés, ne favorisent pas la mobilité douce. En Suisse, 59% des adultes pratiquent moins d’une demi-heure d’exercice physique quotidien et 16% sont totalement inactifs. La sédentarité entraîne ainsi chaque année au moins 2900 décès prématurés, 2,1 millions de cas de maladies et des frais de traitement directs d’un montant de 2,4 milliards de francs [6]. Même si notre environnement bâti n’est pas à lui seul responsable de ce problème, il ne fait aucun doute qu’il y contribue en influençant nos comportements.
Dans le même ordre d’idée, le remplacement d’espaces verts et de lieux de rencontre et de loisirs par des infrastructures urbaines tels que des parkings, peut réduire les opportunités de détente et de socialisation, affecter le bien-être de la population et contribuer à l’isolement social et au développement de certains troubles tels que la dépression.
Un environnement naturel et bâti favorable à la santé
Les bases légales, les priorités politiques et les mesures concrètes en matière de protection de l’environnement et d’aménagement du territoire peuvent contribuer de manière significative à diminuer les risques pour la santé et à promouvoir un environnement favorable à l’adoption d’un mode de vie sain.
Ces mesures permettent par exemple de réduire les émissions polluantes et le bruit lié au trafic motorisé, mais aussi les risques d’accidents de la route. Un aménagement urbain intégrant la présence d’espaces verts, de lieux de rencontre et de loisirs, et des aménagements favorisant la cohésion sociale contribuent à prévenir l’isolement et à promouvoir la santé mentale et le bien-être de la population. Les projets d’aménagements peuvent aussi intégrer des possibilités de loisirs actifs et d’activités physiques faciles d’accès et de proximité. La prise en compte des besoins spécifiques des aînés et des personnes handicapées contribue également à réduire les chutes et traumatismes dans cette population, et à promouvoir leur insertion sociale et leur bien-être.
Dans une approche plus globale, l’urbanisme peut également favoriser la « mixité fonctionnelle », qui vise à ce que plusieurs fonctions de vie (par exemple habitat, commerce, loisirs, travail, artisanat) soient représentées dans un même quartier ou secteur. Cette approche permet de favoriser la mobilité douce, de réduire les besoins en déplacements motorisés et donc la pollution de l’air, et de promouvoir la cohésion sociale au sein de la population résidente.
Les mesures mises en place en Suisse
De manière générale et à quelques exceptions près, des mesures visant à réduire les risques physiques, chimiques et biologiques pour la santé ont été mises en place, notamment par voie législative au niveau fédéral, au fur et à mesure que ces risques ont été identifiés. Il est important de noter que ces mesures, même si elles prennent en compte les aspects sanitaires, dépendent fréquemment de politiques sectorielles autres que celles de la santé. C’est le cas des normes et valeurs cibles relatives à la pollution de l’air extérieur qui relèvent de la loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE) et de l’ordonnance fédérale sur la protection de l’air (OPair) [7]. L’application de ces normes et leur contrôle se heurtent cependant fréquemment aux réalités et difficultés du terrain. Les valeurs limites précitées sont ainsi régulièrement dépassées dans plusieurs villes suisses.
En matière de promotion d’un environnement favorable à l’adoption d’un mode de vie sain, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a lancé en 1997 un plan d’action Environnement et santé (PAES) visant à créer des conditions permettant à la population d’adopter un comportement respectueux tant de la santé que de l’environnement et de contribuer ainsi à un développement durable. Plusieurs projets pilotes ont été mis en œuvre avec succès en Suisse, avant que ce programme ne soit arrêté en 2007, notamment par manque de bases légales [8]. Cette lacune aurait pu être comblée par le projet de loi fédérale sur la prévention et la promotion de la santé, qui faisait spécifiquement référence aux déterminants environnementaux de la santé, mais son rejet en 2012 a réduit cet espoir à néant. Il semblerait cependant que cette thématique soit en train de revenir sur le devant de la scène politique fédérale, comme l’a témoigné récemment Alain Berset, conseiller fédéral en charge de la santé, en déclarant : « Nous devons créer un environnement propice aux bons comportements » [9].
Il est cependant important de relever que, même en l’absence de base légale fédérale spécifique, de nombreux cantons sont très actifs dans ce domaine. C’est le cas de l’Etat de Genève, qui s’est engagé dans sa loi sur la santé à soutenir l’aménagement de conditions de vie favorables à la santé, à encourager les mesures destinées à prévenir les atteintes à la santé dues à l’environnement naturel et bâti, et à soutenir les actions visant à maintenir ou rétablir un environnement propice à la santé. Le canton s’est également doté d’un plan directeur de la mobilité douce, a développé un plan de mesures d’assainissement de la qualité de l’air intégrant des considérations sanitaires, et s’engage concrètement dans la mise en œuvre de nombreuses mesures [10].
Et l’avenir ?
A l’heure où l’on observe une densification constante de notre environnement construit, notamment en raison de l’augmentation de la population et de son besoin en infrastructures et en mobilité, il paraît primordial de garantir que cette densification ne soit pas faite au détriment de notre santé. Il s’agit entre autres de s’assurer que les considérations sanitaires soient prises en compte de manière systématique et transparente dans les différentes politiques publiques de développement. La collaboration entre les secteurs de l’environnement, de l’urbanisme et de la santé doit également être cultivée, afin de renforcer les synergies et les matérialiser en actions concrètes. Il en va de notre santé et de celle de nos enfants.
[1] Bibliographie :
- [1] Prévenir la maladie grâce à un environnement sain : une estimation de la charge de morbidité imputable à l’environnement : résumé, Organisation mondiale de la Santé, 2007, ISBN 978 92 4 259420 1, en ligne (accédé le 12 mars 2014)
- [2] The carcinogenicity of outdoor air pollution, Dana Loomis et al. on behalf of the International Agency for Research on Cancer Monograph Working Group IARC, Lyon, France, The Lancet Oncology - 1 December 2013 (Vol. 14, Issue 13, Pages 1262-1263)
- [3] Rapport d’état Air, Office fédéral de l’environnement, en ligne (accédé le 2 mars 2014)
- [4] Prüss-Ustün A et al., Knowns and unknowns on burden of disease due to chemicals : a systematic review, Environ Health, 2011, 10:9.
- [5] Les effets du bruit, Office fédéral de l’environnement (OFEV), en ligne (accédé le 12 mars 2014)
- [6] Comportement de la population en matière d’activité physique, Office fédéral de la santé publique (OFSP).
- [7] Loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE) du 7 octobre 1983, en ligne. Ordonnance sur la protection de l’air (OPair), du 16 décembre 1985, en ligne
- [8] Plan d’action Environnement et Santé, Office fédéral de la santé publique.
- [9] Projet de loi fédérale sur la prévention et la promotion de la santé. Alain Berset, Ministre de la santé : « Nous devons créer un environnement propice aux bons comportements. » in Spectra : prévention et promotion de la santé, N°98 (2013/05)
- [10] Loi genevoise sur la santé du 7 avril 2006 (LS K 1 03), en ligne. Plan directeur de la mobilité douce, Direction générale de la mobilité, 2013, en ligne (accédé le 12 mars 2014). Plan de mesures OPair 2013-2016, Direction générale de l’environnement, Département de l’intérieur, de la mobilité et de l’environnement, 2013, en ligne (accédé le 12 mars 2014)