A quand un congé parental en Suisse ?
Contrairement aux pays voisins, la Suisse réserve à la mère les prestations à la suite de la naissance d’un enfant. Le Tribunal fédéral justifie cette inégalité de traitement par le critère biologique. Etat des lieux.
Par Fanny Matthey, collaboratrice scientifique, docteure en droit, Université de Neuchâtel, et Sabrina Burgat, avocate, maître-assistante, docteure en droit, Université de Neuchâtel
Alors que la Suisse ne s’était déjà pas montrée très empressée d’introduire un congé-maternité au niveau fédéral (les allocations maternité sont entrées en vigueur le 1er juillet 2005), elle est aussi très à la traîne pour ce qui est du congé paternité et/ou parental. Les décisions et prises de position récentes du Tribunal fédéral et du Conseil fédéral en la matière reflètent un esprit passif et conservateur prévalant à l’égard de la politique familiale, qui a une influence non négligeable sur les questions d’égalité de traitement entre hommes et femmes en Suisse.
L’inégalité des droits envers les enfants
Dans une décision du 14 septembre 2014, le Tribunal fédéral a rejeté le recours d’un père qui sollicitait un droit à une allocation parentale durant 6 semaines.
Dans cette affaire [1], le père – recourant – estime que le congé maternité remplit une double fonction, à la fois biologique et sociale. S’appuyant notamment sur l’art. 35a de la loi sur le travail (LTr) ainsi que sur les normes de l’Organisation internationale du travail (OIT), le recourant est d’avis que les prestations maternité versées à partir de la 9e semaine ne se fondent pas sur des motifs biologiques. Ce sont des raisons sociales qui sont aussi valables pour les pères. Toujours selon le recourant, l’art. 16b de la loi sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (LAPG) qui octroie un droit à un congé aux femmes se fonde sur une idée reçue de la société et viole les articles de la Constitution fédérale et de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs à la famille et à l’égalité de traitement (art. 8 al. 3, 13 al. 1 et 14 Cst., ainsi que 8 et 14 CEDH), de même que la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes [2] et celle relative aux droits de l’enfant [3] qui préconisent une égalité des droits entre la femme et l’homme dans les relations avec les enfants.
Dans son analyse, le Tribunal fédéral met notamment en évidence le principe d’égalité de traitement qui interdit toute différence de traitement entre l’homme et la femme, sauf lorsque le critère de distinction relève d’un motif biologique ou fonctionnel. Selon le Tribunal fédéral, la différenciation liée au sexe est donc admissible, puisqu’elle résulte de considérations biologiques, ce que le recourant ne conteste pas pour les 8 semaines qui suivent l’accouchement. La question se pose uniquement pour un droit allant de la 9e à la 14e semaine après l’accouchement de la mère. Or, le Tribunal fédéral est d’avis que le législateur suisse a clairement opté pour un congé maternité de 14 semaines et non pour un congé parental.
Les trois types de congés et les pratiques des pays voisins
En fonction des diverses réglementations, il convient de distinguer trois types de congé : le congé maternité, reconnu en Suisse pour une durée de 14 semaines et qui vise à indemniser la mère du fait de la naissance de l’enfant ; le congé paternité, accordé au père, pour lui permettre de rester au foyer après la naissance d’un enfant, et le congé parental, proposé aux deux parents, et qui permet durant une certaine période de mettre entre parenthèse la vie professionnelle pour se consacrer aux soins et à l’éducation des enfants.
Le Tribunal fédéral s’est notamment fondé sur la distinction entre le congé maternité et le congé parental pour justifier le refus d’allouer des prestations au père qui souhaitait rester à la maison durant six semaines après la naissance de son deuxième enfant. Contrairement à la majorité des autres pays européens, la Suisse ne connaît en effet pas de législation sur le congé parental. Dans l’Union européenne, l’Allemagne accorde 36 mois par parent, l’Autriche, 24 mois au total, 12 mois en France, en Finlande, en Italie et au Luxembourg, enfin les Pays-Bas accordent 6 mois. En Suisse, une telle réglementation exigerait une modification législative qui devrait traiter les questions liées à la protection de la mère et de l’enfant, en tenant compte de l’art. 4 de la Convention no 183 de l’OIT sur la protection de la maternité qui garantit un congé maternité d’au minimum 14 semaines.
A cet égard, le 30 octobre 2013, le Conseil fédéral se prononçait sur la question du congé de paternité et du congé parental [4] en étudiant huit modèles possibles pour répondre au postulat Fetz [5]. Ces modèles vont du plus modeste au plus ambitieux avec, pour chacun d’eux, une évaluation des impacts sur le plan financier notamment.
« Pas la principale priorité » pour le Conseil fédéral
Après avoir analysé les différents modèles, le Conseil fédéral n’a pas jugé nécessaire d’introduire un congé paternité ou parental. Il affirme que même si « le congé de paternité et le congé parental comptent parmi les mesures qui peuvent faciliter la conciliation vie familiale et vie professionnelle », l’introduction de tels congés « ne constitue pas la principale priorité » pour y arriver : « Il n’est pas possible de tirer des conclusions de portée générale concernant l’ampleur et surtout la pérennité des effets du congé de paternité ou du congé parental sur l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Tant le Conseil fédéral que le Tribunal fédéral reconnaissent que la société a évolué, que la répartition des rôles entre les sexes n’est plus la même et qu’un congé paternité et/ou parental est un pas nécessaire vers une meilleure consécration du principe d’égalité, mais ces arguments ne les conduisent pas à admettre que des mesures doivent être prises. De même, les deux autorités constatent que tous les pays européens ont introduit de tels congés, mais les avancées de nos voisins ne leur suffisent pas non plus.
Si la décision du Tribunal fédéral n’est pas surprenante, dans la mesure où il se limite à appliquer la loi suisse, ses arguments dérangent : le critère biologique est utilisé pour justifier une inégalité de traitement. Or, cette distinction en matière d’assurances socicales conduit à favoriser une certaine répartition des tâches au sein d’un couple après la naissance, qui n’est pas souhaitable pour l’égalité entre hommes et femmes.
Selon les statistiques de l’OFS, le modèle familial le plus courant en Suisse en 2013 est celui de l’homme travaillant à plein temps et de la femme travaillant à temps partiel [6]. La discrimination se poursuit ensuite inévitablement sur le marché du travail, avec les inégalités salariales que l’on connaît [7] et la sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilités. Les statistiques mettent également en évidence les inégalités au moment du divorce, mais cette fois-ci en défaveur des hommes : ils ne sont qu’une minorité à obtenir la garde des enfants, puisqu’en cas de désaccord entre les parents, le juge accorde en principe la garde des enfants au parent qui présente une plus grande disponibilité à s’occuper personnellement de l’enfant. Cette comparaison statistique peut également se poursuivre en matière d’aide sociale par exemple : en 2009, 16,9% des ménages monoparentaux ont bénéficié d’une aide sociale, alors que ces ménages sont composés dans 95,4% des cas de femmes avec enfants [8].
Nul doute qu’avec un système social qui limite délibérément les prestations étatiques pour les suites d’une naissance à la mère, le principe de l’égalité entre hommes et femmes restera mis à mal, aussi bien au sein du foyer que sur le marché du travail.
Une réglementation analogue à celle des pays européens en matière de congé parental afin de favoriser l’égalité entre hommes et femmes est incontestablement souhaitable pour la Suisse. A cet égard, la directive 2010/18/UE [9] prévoit un droit individuel à un congé parental d’au moins quatre mois, accordé aux travailleurs, hommes et femmes, en raison de la naissance ou de l’adoption d’un enfant. C’est donc vers une réglementation analogue que la Suisse doit se tourner.
Combien coûterait un congé parental ?
Il est dès lors suprenant que dans son rapport, le Conseil fédéral arrive à la conclusion que l’introduction d’un congé paternité ou parental ne constitue pas une priorité pour parvenir à une égalité entre hommes et femmes. Le rapport fait ainsi fi de plusieurs études mettant en évidence les effets bénéfique de l’implication du père dans les soins et l’éducation accordés aux enfants dès la naissance. A ce sujet, le rapport de l’OIT « Maternité et paternité au travail, loi et pratique à travers le monde » du 13 mai 2014 [10] met en évidence qu’il est probable que les pères qui prennent un congé paternité soient plus impliqués auprès de leurs jeunes enfants, ce qui peut avoir des effets positifs sur l’égalité entre hommes et femmes à la maison et au travail, et peut initier un changement dans les relations et les préjugés et stéréotypes (p. 7).
Il va de soi que l’instauration d’un congé paternité présente un coût. il ne saurait être question de réduire en conséquence le congé maternité, conformément à la convention de l’OIT qui prévoit une durée minimale du congé maternité de 14 semaines. En revanche, l’instauration d’un congé paternité de durée équivalente au congé maternité, ou l’introduction plus générale d’un congé parental de 28 semaines à partager entre les parents apparaît aujourd’hui être une obligation pour respecter l’égalité entre hommes et femmes, au vu du nombre de pays ayant introduit un tel congé (selon le rapport précité de l’OIT, p. 7, 78 pays sur 167 analysés ont réglementé le congé paternité).
Selon l’estimation du Conseil fédéral, l’introduction d’un congé paternité de 4 semaines financé par les allocations perte de gain coûterait 385 millions de francs, ce qui représente une augmentation de 0,1% des cotisations APG. Si l’on pouvait tenir compte de l’impact d’un tel congé en matière d’égalité dans la répartition des tâches au sein du couple, et par ricochet sur le marché du travail, il est fort probable que les bénéfices reçus compenseraient ces 385 millions.
[4] Rapport du Conseil fédéral, Congé de paternité et congé parental Etat des lieux et présentation de divers modèles, Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Fetz (11.3492) du 6 juin 2011. Télécharger le rapport, 119 pages en format pdf, sur cette page internet
[6] OFS, Newsletter N° 2, informations démographiques, octobre 2014
[7] Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, Vers l’égalité des salaires ! Faits et tendances, Berne, 2013
[8] OFS, Rapport social statistique suisse, 2011, n. 5.2.4 p. 82