Sortir de la psychiatrie pour une structure sociale
Une institution psychiatrique et un centre social travaillent ensemble dans l’Est vaudois. Ils favorisent les transitions entre les soins et la vie autonome. Une recherche a identifié les formes d’une collaboration efficace.
Auteurs :
Audrey Linder, sociologue, Université de Lausanne, Haute Ecole de Santé Vaud – HES-SO
Fabrice Le Flem, travailleur social, chef de centre, Graap-F, Montreux
Yannis Bussy, infirmier chef des Unités URT et RESSORT, Fondation de Nant, La Tour-de-Peilz
Dans l’Est vaudois, la Fondation de Nant, responsable de l’organisation des soins psychiatriques publics, et l’antenne montreusienne du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique - Fondation collaborent depuis plusieurs années.
Les unités intermédiaires de Nant « se situent entre deux pôles : entre des soins hospitaliers aigus et un traitement ambulatoire, entre le résidentiel et le domicile, entre la phase aiguë d’une maladie et le rétablissement » [1]. Quant au groupe d’accueil, il est l’une des structures régulièrement proposées aux patients [2] suffisamment en santé pour quitter la structure psychiatrique mais qui ont encore besoin d’un soutien social ou de retrouver une activité dans la mesure où ils ne sont pas prêts à retourner directement sur le marché de l’emploi. Cette antenne propose diverses prestations : un service d’entraide et de soutien administratif et social ; des formations ; des activités d’animation permettant de développer le lien social et d’exercer sa citoyenneté ; un soutien par l’ergothérapie facilitant l’entrée en atelier tout en consolidant la confiance en soi. Un programme d’ateliers propose d’acquérir des compétences transversales comme par exemple travailler et coopérer en équipe, apprendre à résoudre un problème, se donner une méthode de travail, exploiter l’information, ainsi que l’acquisition de compétences métiers ouvrant la possibilité de s’insérer dans des socio-entreprises ainsi que sur le marché de l’emploi. L’intégration dans cette structure permet ainsi de se projeter hors de la psychiatrie publique et d’atteindre une réinsertion sociale et professionnelle.
En 2014, les deux institutions se sont retrouvées à l’aube de grands changements organisationnels. L’institution sociale prévoit un déménagement pour 2018-2019, ses locaux n’étant plus adaptés pour les activités futures. Quant aux unités intermédiaires de l’institution psychiatrique, elles étaient sur le point d’être restructurées et d’acquérir de nouveaux locaux.
Une réflexion interdisciplinaire
Ce moment s’est donc avéré propice pour réfléchir aux possibilités de développement commun et repenser les collaborations établies. Les réflexions ont été menées au sein d’un trio interdisciplinaire rassemblant les trois auteurs de cet article (une sociologue, un infirmier et un travailleur social). Très vite, il est apparu qu’avant de réfléchir aux améliorations et aux développements possibles pour ces institutions, il s’agissait de faire le point sur la situation telle qu’elle se présentait.
Dès lors, une recherche-intervention [3] a été mise sur pied afin d’évaluer la manière dont sont vécues les transitions entre les deux institutions. Des statistiques descriptives ont été réalisées, puis sept entretiens semi-directifs ont été menés avec des usagers qui avaient été suivis dans les unités intermédiaires psychiatriques. Très vite, ces entretiens se sont retrouvés à mi-chemin entre entretiens de recherche et processus de consultation des usagers. Les résultats, présentés dans cet article, ont donné un éclairage sur les points forts et les lacunes des collaborations, ainsi que des pistes d’amélioration.
Il en est ressorti que les informations reçues par les personnes susceptibles de joindre le groupe d’accueil qui proviennent principalement des soignants de l’unité de soins sont souvent incomplètes. Seules quelques activités sont mises en avant, notamment les ateliers de mise sous plis (qui n’existent plus actuellement) et la confection de produits de bouche, au détriment des prestations d’animation citoyenne, de la formation et du service d’entraide social. Les personnes interviewées regrettent également d’être informées tardivement sur ce centre, ce qui est confirmé par les analyses quantitatives puisque, en moyenne, il se passe 6.5 ans entre le premier contact avec le service de santé et l’entrée dans l’institution sociale. Il serait donc important que les patients reçoivent une information complète et assez tôt dans leur parcours en psychiatrie, afin que ceux que cela intéresse puissent intégrer la structure plus rapidement.
L’accueil, clé de voûte de la transition
Lors du premier contact avec l’antenne sociale, les personnes disent être accueillies chaleureusement, un moment généralement bien vécu, les mettant vite à l’aise. Les transitions s’effectuent sur du moyen ou du long terme. Le temps de présence simultanée dans les deux structures s’inverse progressivement jusqu’à terminer la prise en charge dans les unités de soins.
Les personnes interrogées relèvent que ce mode de transition a un effet positif sur leur santé et est particulièrement aidant pour la construction de leur projet. En effet, le soutien par les soignants et patients de l’unité dans laquelle ils sont pris en charge est important dans la phase d’intégration dans le nouveau lieu. Cela est rendu possible notamment par l’organisation communautaire des unités psychiatriques intermédiaires, favorable au développement de relations d’entraide et de soutien entre pairs.
Deux sous-groupes de patients se fréquentent quotidiennement dans l’unité psychiatrique ; ceux qui vivent le début de leur traitement et résident sur place et ceux qui fréquentent le centre sur du plus long terme mais depuis un lieu de vie autonome. La deuxième catégorie adopte aisément une attitude de conseil à l’égard de la première. Un autre élément favorise la transition : les espaces de dialogue. Ils apportent l’effet miroir, l’appui moral et une augmentation de l’insight. De plus, le positionnement soignant envers les patients utilise la mobilisation et la responsabilisation de ceux-ci en favorisant la mise en place de projets tels que sortir du cadre psychiatrique pour investir un autre lieu, synonyme de nouvelle étape, plus sociale.
L’essentiel : créer des liens
Parvenir à s’inscrire dans des activités communes constitue un support primordial pour l’intégration sociale. Les personnes interrogées relèvent l’importance de retrouver un rythme et de se sentir utiles.. Le centre permet d’évoluer à sa cadence, sans pression, et d’augmenter son taux de travail au sein de la structure sociale au fur et à mesure que la confiance en soi et en ses capacités revient. En effet, un contrat de travail est établi pour chaque personne investie dans les ateliers coopératifs et le pourcentage est évolutif. Les personnes interrogées constatent que l’approche communautaire et l’implication participative du Graap-F les aident à sortir de la solitude et à créer des liens sociaux.
Certains usagers ont relevé que la mission de l’institution sociale n’est pas toujours intégrée par leurs proches ou leurs soignants qui ne comprennent pas pourquoi ils acceptent de travailler « pour presque rien financièrement » [4]. Mais pour les usagers, la rémunération importe peu, l’intérêt se situant davantage dans le soutien et l’accompagnement au développement du projet individuel.
Plusieurs facilitateurs ont été révélés : l’encouragement de l’entourage, le soutien de l’infirmier référent, l’aspect « protégé » de la structure sociale. Les principaux obstacles sont les réticences de certains membres de l’entourage, ainsi que les représentations négatives que la personne concernée peut avoir d’une institution sociale accueillant des personnes souffrant de troubles psychiques importants. La recherche révèle également que l’antenne sociale est considérée comme un tremplin pour ceux qui se projettent vers une réinsertion professionnelle, notamment en reprenant confiance en leurs capacités à effectuer des tâches et occuper un emploi. Les usagers soulèvent l’importance de renforcer encore la collaboration entre les deux institutions, différenciées mais avec une complémentarité essentielle et rassurante.
Des pistes d’amélioration
Le challenge auquel font face les deux institutions est de traduire ces pistes d’améliorations en propositions et actions concrètes. Il s’agira de mieux informer les équipes soignantes et d’améliorer les supports de communication. Les orientations du dispositif seront soumises à un groupe de travail réunissant des salariés, des usagers et des patients afin de construire, ensemble, la planification et la mise en œuvre des actions à entreprendre. Cette approche participative permettra de sortir des cadres habituels de travail. Sera ainsi encouragée la posture d’acteur des participants en amont du dispositif. Sortir du cadre, c’est également encourager l’autodétermination et l’empowerment des personnes concernées par la maladie en leur donnant la possibilité d’inscrire leur projet individuel dans des projets de collaboration socio-sanitaire.
Plusieurs pistes ont été retenues. Ainsi, les journées d’échange qui existent entre les soignants de la structure psychiatrique seraient également proposées aux intervenants de la structure sociale. Des ateliers découvertes avec les pairs seraient organisés et les patients découvriraient les activités proposées et échangeraient avec un pair ou un maître socio-professionnel sur les possibilités offertes par l’institution sociale. Des visites et des distributions de nouveaux flyers seraient également organisées. Il serait aussi intéressant de développer un espace régulier, groupe de paroles ou forum, dans lequel des usagers viendraient témoigner de leur parcours auprès de patients encore en soins dans les unités intermédiaires.
Conceptualiser pour assurer une assise structurelle
La recherche-intervention démontre l’importance d’une transition progressive entre les unités de soins et l’institution sociale, tout en conservant la souplesse nécessaire pour adapter la transition à chaque personne. Ainsi, l’une des prochaines étapes pourrait se traduire par un accord entre les institutions partenaires qui définirait et formaliserait le concept « idéal » de transition, afin de devenir une référence pour les soignants à venir et les personnes concernées. Dans une perspective de rétablissement psychique et social, favoriser la transition entre les deux institutions devient une évidente priorité. Cela passe par la connaissance réciproque des lieux, ainsi que des modèles et des personnes qui les portent.
[1] Lien internet, consulté le 23.05.2016.
[2] Afin de faciliter la lecture, nous nommons « patients » les personnes prises en charge à la Fondation de Nant et « usagers » celles qui sont prises en charge au Groupe d’accueil et d’action psychiatrique - Fondation (Graap-F).
[3] Merini C. & Ponté P. (2008), « La recherche-intervention comme mode d’interrogation des pratiques », Savoirs, 1, No 16, pp. 77-95 ; Moisdon J.-C. (2010), « L’évaluation du changement organisationnel par l’approche de recherche intervention. L’exemple des impacts de la T2A », Revue française des affaires sociales, 1, No 1-2, pp. 213-226.
[4] Les personnes travaillant dans les ateliers bénéficient d’un contrat de travail et reçoivent des indemnités. La Loi sur les mesures d’aide et d’intégration pour les personnes handicapées (LAIH) couvre au minimum les frais d’encadrement et d’infrastucture (art 43), la part d’indemnisation donnée aux bénéficiaires ainsi que le coût des matières premières des ateliers est en principe autofinancée.Le montant des rémunérations est conforme aux pratiques usuelles des institutions du canton.