OSAIEGCS rend compte d’un univers de possibles
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Le bien connu sigle LGBTIQ touche à ses limites en matière de représentativité. Le sigle OSAIEGCS, plus inclusif, permet de parler de caractéristiques communes à l’ensemble des êtres humains, tout en respectant l’autodétermination.
Par Nils Kapferer, cherchereuse en sociologie et droit, et Aymeric Dallinge, spécialiste OSAIEGCS/LGBTIQ — diversités/inclusion — violences et discriminations
Si le sigle LGBTIQ (lesbienne, gay, bi, trans, intersexe, queer) s’est généralisé dans les médias et dans le langage commun, celui d’OSAIEGCS s’avère nettement moins connu. Signifiant « orientation sexuelle et affective, identité et expression de genre, caractéristiques de sexe », il est pourtant utilisé par le Conseil de l’Europe et l’ONU. Et si la région Europe de l’Association Lesbienne & Gay internationale (ILGA-Europe) recourt encore essentiellement au sigle LGBTI, son pendant mondial (ILGA-Word) utilise de plus en plus le sigle SOGIESC (version anglaise d’OSAIEGCS), notamment dans son rapport annuel, mais aussi dans ses projets.
Utilisé par plusieurs organisations internationales
Le 31 mars 2010, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe adopte une recommandation [1] qui préconise des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Quatre ans plus tard, ce même Conseil crée l’Unité orientation sexuelle et identité de genre (OSIG), qui « fournit un soutien technique et une expertise aux États membres, sur demande, par le biais d’activités de coopération visant à améliorer les cadres juridiques et institutionnels, à renforcer les capacités du personnel administratif et des forces de l’ordre, mais également à favoriser le partage de bonnes pratiques et à sensibiliser le public. » [2]
Deux ans plus tard, le 30 juin 2016, l’Assemblée générale de l’ONU adopte la Résolution 32/2. Celle-ci conduit à la nomination d’un expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre (Expert Indépendant SOGI) [3]. Son mandat porte notamment sur l’évaluation de la mise en œuvre des instruments internationaux relatifs aux droits humains en ce qui concerne les moyens de surmonter la violence et la discrimination envers des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, et de recenser les meilleures pratiques et les lacunes.
Derrière les lettres
Le sigle OSAIEGCS peut être scindé en trois blocs, recoupant chacun une réalité distincte :
OSA, le premier bloc, signifie orientation sexuelle et affective. Ces trois lettres représentent le fait que chaque personne peut (ou non) développer une attirance romantique, physique, sexuelle ou psychologique envers une autre personne et entretenir des relations intimes et/ou sexuelles avec elle. Si le « A » n’apparaît pas dans le sigle utilisé par les organisations internationales, il paraît pourtant essentiel d’inclure la dimension affective dans une représentation linguistique la plus inclusive possible (SOGIES vs. OSAIEGCS).
IEG regroupe l’identité et l’expression de genre. L’identité de genre représente l’expérience intime que chaque personne a de son propre genre : le sentiment d’être une femme, un homme, les deux ou ni l’un ni l’autre. Si l’identité de genre vécue par une personne correspond au genre assigné à la naissance (en fonction du sexe), une personne est qualifiée de cisgenre. Si tel n’est pas le cas, la personne peut se définir notamment comme personne transgenre ou/et non binaire.
L’expression de genre est la manière dont chaque personne exprime son genre par ses comportements et son apparence, comme ses choix vestimentaires, sa coiffure, son maquillage ou son langage corporel et sa voix. L’expression de genre inclut notamment le choix d’un nom et d’un pronom pour se définir [4]. Il existe une grande diversité d’expériences personnelles de l’identité et de l’expression de genre.
La présence de l’expression de genre dans le sigle a toute son importance. En effet, les discriminations et violences fondées sur l’expression de genre sont révélatrices des stéréotypes et des attentes normées dont découlent les discriminations des violences « hétérocissexistes », soit reposant sur l’idée de la supériorité des caractéristiques dites masculines, hétérosexuelles et cisgenres. Par ailleurs, certaines études [5] démontrent que de nombreuses personnes sont victimes de violences et de discriminations en raison d’une déduction erronée de leur orientation sexuelle et affective ou de leur identité de genre fondée sur des stéréotypes.
CS, finalement, signifie caractéristiques de sexe, lesquelles font référence aux caractéristiques biologiques utilisées pour (bi)catégoriser les corps comme femelles ou mâles ; ceux-ci comprennent les organes génitaux et reproducteurs, les chromosomes et les hormones.
Les avantages du sigle OSAIEGCS
Comme le relève Victor Madrigal-Borloz, expert indépendant SOGI à l’ONU, « l’acronyme LGBT, couramment utilisé pour désigner les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres, ainsi que les termes “de genre variant”, “queer”, “en questionnement” et “asexuel” sont le reflet d’identités politiques et juridiques et peuvent ne pas correspondre à la manière dont les personnes touchées par la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre s’identifient. C’est par exemple le cas des identités bispirituelle (Amérique du Nord), muxe (Mexique), hijra (Inde), kathoey (Thaïlande), bakla (Philippines), travestie (Argentine et Brésil), fa’afafine (Samoa) et leiti (Tonga), qui sont parfois incluses dans les notions d’identité de genre ou d’orientation sexuelle, mais supposent une compréhension du genre qui ne coïncide pas nécessairement ou pas parfaitement avec l’une ou l’autre notion. » [6] Autrement dit, le sigle LGBTIQ a un côté limitatif qui empêche de saisir l’ensemble des vécus, là où OSAIEGCS vient combler une lacune.
En allant bien au-delà des seuls vécus représentés par les lettres LGBTIQ, le sigle OSAIEGCS se veut donc plus inclusif. Car chaque personne a en effet une orientation sexuelle et affective, que celle-ci corresponde à une des premières lettre L, G ou B ou encore que l’on y ajoute l’asexuel·le, pansexuel·le, aromantique ou toute autre manière de relationner. Ceci est également valable pour l’identité de genre, car, en plus de la transidentité, une personne peut s’identifier comme fluide, agenre, genderqueer, non-binaire, etc. Notons que si les personnes hétérosexuelles et/ou cisgenres ont également une orientation sexuelle et une identité de genre — ce qui est souvent oublié dans un contexte cishétérocentré et normé —, elles ne sont pas directement concernée par le sigle qui, dès sa création, a fait explicitement référence aux minorités OSAIEGCS.
Queer : une insulte devenue symbole de lutte
Par ailleurs, et contrairement à ce que l’on peut lire trop souvent, queer n’est pas un synonyme de LGBTI. Queer a certes fonctionné comme « injure-parapluie » désignant toutes les personnes ne se conformant pas à la norme hétérociscentrée. Cependant, à la fin des années 1980[7] , en réaction à certaines revendications assimilationnistes portées par une majorité de la minorité OSAIEGCS, une minorité de la minorité a développé des projets de société plus disruptifs, notamment anticapitalistes, antiracistes, féministes et écosocialistes. Cette minorité a alors fait sienne l’appellation queer [8]. Ainsi, depuis plus de 40 ans, une militance et une pensée queer se sont développées contre l’hétérociscentrisme, l’hétérocisnormativité, et l’homonormativité. Utiliser aujourd’hui le terme queer comme synonyme de LGBTI, c’est invisibiliser cette lutte et ses revendications, c’est effacer l’historicité queer et exercer une forme de violence.
Un sigle plus inclusif
L’utilisation du sigle OSAIEGCS a pour avantage de recentrer la discussion sur des caractéristiques de l’identité et d’éloigner la différenciation de traitement entre les personnes LGBTIQ et le reste de la population. Il a pour objectif d’informer sur des caractéristiques communes, tout en mettant en avant les réalités vécues par les personnes minorisées. Il instaure un dialogue entre chacun·e, là où les échanges sont devenus compliqués parce que polarisés, les personnes LGBTIQ et les autres. Il limite les possibilités de décrédibilisation de l’utilisation du sigle LGBTIQ qui visent à invisibiliser les vécus spécifiques.
Utiliser OSAIEGCS présente l’avantage certain d’être inclusif tout en respectant l’hétérogénéité des identités, alors que le sigle LGBTIQ est catégoriel. De ce fait, il est limitatif et excluant.
En tous les cas, il importe de rappeler que l’identité d’une personne se compose de multiples facettes, dont toutes doivent être respectées. Et les aspects contenus dans le sigle OSAIEGCS n’en qualifient qu’une partie.
[1] Recommandation CM/Rec (2010)5 adoptée pour les États membres, dont la Suisse.
[2] Page Internet OSIG du Conseil de l’Europe
[3] https://www.ohchr.org/en/special-procedures/ie-sexual-orientation-and-gender-identity
[4] Les pronoms couramment utilisés actuellement sont : elle, il, et iel.
[5] LGBTIQ-HELPLINE.CH, Rapport sur les crimes de haine 2023, p.11
[6] Rapport A/77/235 de l’Expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre publié le 11.11.2022, paragraphe 9.
[7] Voir le glossaire proposé par VoQueer ou le glossaire inclusif d’Amnesty International Suisse
[8] Cf. le Queer Manifesto de Queer Nation, mais aussi de nombreux essais de cherchereuses queer, dont Gloria Anzaldúa, Sam Bourcier, Judith Butler, Teresa de Lauretis, Jack Halberstam, Kevin Floyd, José Esteban Muñoz, Dean Spade, Michael Warner.
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Nils Kapferer et Aymeric Dallinge, «OSAIEGCS rend compte d’un univers de possibles», REISO, Revue d'information sociale, publié le 30 janvier 2025, https://www.reiso.org/document/13650