Sexualité féminine et handicap: désir d’autonomie
Les femmes avec déficience intellectuelle souffrent de multiples et constantes représentations négatives au sujet de leur intimité. Des évolutions sont essentielles pour que leur santé sexuelle cesse d’en pâtir.
Par Lisa Genoud, Bachelor en pédagogie curative, Université de Fribourg
La compréhension de son corps représente un élément important pour chaque être humain. Pour les femmes, en particulier, les changements physiques et hormonaux vécus dès l’adolescence contribuent à la création d’une représentation de leur corps et de leur sexualité.
Les personnes avec déficience intellectuelle ont besoin d’un accompagnement spécifique dans tous les domaines de la vie, y compris dans la compréhension de leur sexualité. Cependant, les nécessités en matière de sexualité des femmes avec déficience intellectuelle sont trop peu souvent pris en compte. Ils sont généralement associés et résumés à leur fonctionnement particulier, ce qui réduit à néant l’identité sexuelle de ces personnes (Fitzgerald & Withers, 2011).
Les femmes avec déficience intellectuelle sont ainsi confrontées à une double discrimination : premièrement, elles souffrent de stéréotypes culturels et sociétaux qui réduisent encore trop souvent la sexualité féminine à la pureté, à la protection et à la prévention. En plus, elles doivent faire face aux représentations culturelles, qui associent négativement les femmes en situation de handicap à des limitations importantes altérant leur fonctionnement (Bernert & Ogletree, 2013).
Le soutien à cette sphère intime fait partie intégrante du travail des éducateurs et des éducatrices. Toutefois, afin de mener à bien cet accompagnement, il est nécessaire de prendre en compte les besoins, les ressources et les désirs des personnes concernées. En effet, un programme d’appui est efficace à condition qu’il comble les lacunes et réponde aux interrogations de la population visée. L’analyse des attentes s’effectue principalement par l’écoute des femmes avec déficience intellectuelle, dans leurs discours sur la sexualité, ainsi que dans l’expression de leurs envies, de leurs besoins mais aussi de leurs préoccupations.
Pour dresser un portait actuel de la réalité vécue par ces femmes, le travail présenté dans cet article [1] a pour objectif de rendre compte des représentations de femmes avec déficience intellectuelle sur leur sexualité. Ce travail fait l’objet d’une revue de littérature. Pour répondre à la problématique, dix-sept études récemment menées et explorant les dires de ce public au sujet de sa sexualité ont été regroupées et comparées.
Des connaissances peu développées
L’analyse de ces études indique que les femmes avec déficience intellectuelle possèdent généralement peu de connaissances sur la sexualité. Leurs définitions comprennent principalement les notions de sécurité et de contraception. Elles mentionnent également l’importance de la relation à l’autre et du rôle des genres (Bernert & Ogletree, 2013). Leurs discours sur leur comportement sexuel reposent sur la prévention des conséquences négatives comme les IST, une grossesse ou encore des abus et sur le rôle qu’elles revêtent en tant que femme dans la relation.
Le plaisir se révèle inexistant des déclarations de ces personnes à propos de leur sexualité. Ce manque de satisfaction sexuelle dans leurs propos ne correspond pas à la définition de la santé sexuelle émise par l’OMS (2012). Celle-ci dépasse en effet la simple absence de trouble et inclut la notion de plaisir dans la sexualité.
Ces définitions lacunaires traduisent l’éducation sexuelle que ces femmes reçoivent. Cette instruction est principalement basée sur la contraception et la protection des maladies sexuellement transmissibles. Bien que le contenu de ces cours ne corresponde pas aux besoins de ces personnes, ni à leurs attentes (Frawley & Wilson, 2016), il demeure leur principale source d’information en la matière. Ce manque d’accessibilité aux informations ne corrobore pas avec l’accès universel à la santé sexuelle que définit l’OMS (2012), et qui comprend la faculté pour tout individu de recevoir des informations adaptées à ses besoins.
Des expériences principalement négatives
Pour la plupart de ces femmes, l’accès aux expériences sexuelles reste très limité. Elles expliquent d’ailleurs leur manque de connaissances par la dépendance à leurs parents pour obtenir l’autorisation de voir quelqu’un (Frawley & Wilson, 2016).
La plupart des femmes témoignant dans ces études rapportent une perception négative de la sexualité. Plusieurs facteurs peuvent en être la cause, à commencer par le fait qu’elles vivent dans des milieux basés sur l’incapacité. Cela leur renvoie une image défavorable d’elles-mêmes et impacte ainsi leur perception de leur sexualité.
Les vécus de harcèlement liés à leur handicap influencent également leur estime d’elles-mêmes. D’autre part, les attitudes hostiles envers la sexualité s’expliqueraient par la peur des conséquences négatives de l’acte sexuel (Bernert & Ogletree, 2013). Enfin, les restrictions politiques et institutionnelles en vigueur dans les lieux de vie de ces femmes orientent aussi grandement leur perception de leur sexualité.
Une autre expression de l’autodétermination
Les femmes avec déficience intellectuelle revendiquent aujourd’hui leur autonomie sexuelle en lien avec leur identité de femme adulte (Bernert & Ogletree, 2013). Ce sentiment d’autodétermination se traduit par la volonté de gérer leur sexualité en décidant de modérer, planifier ou initier des relations sexuelles, par le choix de l‘abstinence ou encore par la décision de se marier, de divorcer ou de devenir parent (Bernert, 2011). Elles réclament également leur implication et leur consentement dans le choix d’une contraception qui, actuellement, revient encore trop souvent aux parents, aux éducateurs·trices ou aux médecins.
Cette volonté d’exprimer leur autodétermination se retrouve aussi dans le choix d’un·e partenaire sexuel·le. Seule une minorité de femmes avec déficience intellectuelle semblent se sentir libres dans l’expression de leur orientation sexuelle. Celles qui s’affirment lesbiennes ou bisexuelles rencontrent de nombreuses difficultés, malgré le soutien de leur entourage ; elles ne disposent pas de modèle à suivre et font souvent face à une discrimination à deux niveaux en lien avec leur déficience intellectuelle et leur orientation sexuelle (Stoffelen, Schaafsma & Curfs, 2018).
Des implications pratiques dans le milieu éducatif
Ces résultats donnent la possibilité de dresser un tableau actuel de la réalité sexuelle de ces femmes. Ils permettent de relever certaines lacunes au niveau de l’accompagnement et de proposer des pistes d’intervention pour améliorer leur qualité de vie.
Il s’avère important de faire évoluer l’accès à la réalisation des droits sexuels pour toutes et tous. Cela passe notamment par l’information et le soutien. En matière d’éducation sexuelle, il serait ainsi primordial de favoriser l’accès à des cours adaptés et qui soient proposés au-delà de la scolarité obligatoire.
Il serait judicieux que cette éducation sexuelle favorise l’autodétermination, soutenant la prise de position de ces femmes en tant que personne qui éprouve du plaisir. En outre, il serait essentiel que l’accent soit mis sur les aspects positifs de la sexualité. Cela contribuerait à éliminer ses perpétuelles représentations négatives, qui s’élèvent comme des barrières à l’épanouissement intime de ces femmes.
Généralement, un accompagnement de qualité repose sur un support basé sur les besoins et les désirs des individus suivis. Il doit aussi tenir compte de l’unicité de chacune. Un appui doit également être proposé pour la prévention d’abus sexuels et pour l’accompagnement en cas d’épisode d’abus ou de harcèlement. Enfin, pour renforcer l’autodétermination des femmes avec déficience intellectuelle, elles doivent pouvoir s’impliquer dans les décisions qui concernent leur sexualité, que ce soit au niveau du choix de leur contraception, de celui d’un·e partenaire ou de leur activité sexuelle.
Cette thématique reste un sujet important à développer en Suisse comme à l’étranger, dans la formation et dans les institutions. Elle doit également permettre une évolution de la sexualité des femmes avec déficience intellectuelle, qu’il s’agisse de leurs représentations sociales, de l’information à laquelle elles ont accès., de leur reconnaissance et de leur accompagnement.
Bibliographie sélective
- McCarthy, M. (2014). Women with intellectual disability: Their sexual lives in the 21st century, Journal of Intellectual and Developmental Disability, 39 (2), 124-131.
- Bernert, D. J. (2011). Sexuality and disability in the lives of women with intellectual disabilities. Sexuality and Disability, 29, 129– 141.
- Bernert, D. J., & Ogletree, R. J. (2013). Women with intellectual disabilities talk about their perceptions of sex. Journal of Intellectual Disability Research, 57, 240–249.
- Frawley, P. & Wilson, N. J. (2016). Young people with intellectual disability talking about sexuality education and information. Sexuality and Disability, 34(4), 469-484.
- Fitzgerald, C., & Withers, P. (2011). ‘I don’t know what a proper woman means’: What women with intellectual disabilities think about sex, sexuality and themselves. British Journal of Learning Disabilities, 41, 5–12.
- OMS. (2012). Santé sexuelle et reproductive – compétences de base en soins primaires.
- Stoffelen, J. M. T., Schaafsma, D., Kok, G., Curfs, L. M. G., (2018). Women Who Love: An Explorative Study on Experiences of Lesbian and Bisexual Women with a Mild Intellectual Disability in The Netherlands, Sexuality and Disability, 36, 249-264.
[1] « Les représentations des femmes avec déficience intellectuelle sur leur sexualité », Lisa Genoud, travail de Bachelor sous la direction de Sophie Torrent, Département de pédagogie spécialisée, Université de Fribourg, 2020, 50 pages.
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Lisa Genoud, «Sexualité féminine et handicap: désir d’autonomie», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 4 octobre 2021, https://www.reiso.org/document/8019