Pour le retour à l’autorité avec les ados !
Le défi de l’éducation contemporaine n’est pas de « restaurer l’autorité ». Mais de rendre les adolescents acteurs de la règle commune.
Par Lwakale Mubengay Bafwa, éducateur au Centre Le Pont, FOJ, Genève
Avec le temps, les règlements de la vie collective dans les foyers éducatifs pour enfants et adolescents sont devenus des livres de chevet tant pour les résidents que pour les éducateurs sociaux affectés à leur accompagnement. Avec une judicieuse anticipation, on y détaille toutes les transgressions auxquelles s’expose le résident et tous les pièges où il risque de tomber. C’est à la fois de la protection et de la prévention. Il s’agit d’éviter les difficultés en réduisant leur probabilité. Mais, suffit-il de décréter les choses pour qu’il en soit ainsi ?
Lors de l’entretien d’admission d’un nouveau pensionnaire, les règles sont lues, relues, expliquées et présentées sous forme de contrat « quartette » à signer par le candidat, ses parents ou le représentant légal, le délégué du service placeur et le représentant de l’établissement hébergeur. Pourtant, les transgressions ont ensuite lieu, régulières et constantes. Le contraste est parfait avec ce qui se passe dans des bandes ou des jeux : lorsque ces adolescents se fixent eux-mêmes des codes à respecter, ils les appliquent. Pourquoi ce contraste flagrant ?
Des codes stricts et austères
On observera que dans ces lieux d’hébergement, comme ailleurs dans la vie courante, c’est rarement par ignorance qu’un adolescent transgresse le règlement. Plusieurs études relèvent une volonté d’opposition lorsqu’une contrainte empiète sur ses libertés ou lorsque le jeune en conteste la légitimité [1]. En fait, pas plus que ceux d’hier, les adolescents d’aujourd’hui ne récusent instinctivement l’autorité. Bien au contraire. Beaucoup d’entre eux s’assujettissent délibérément à des formes d’autorité nettement plus strictes que celles qu’ils contestent ailleurs. Il suffit de se reporter à ces codes austères dans les gangs des quartiers de Chicago qu’a décrits le sociologue Frederic Thrasher en 1927 ou chez les Hells Angels que le romancier contemporain Bruno Pasqualaggi dépeint largement de l’intérieur !
Si l’éducateur s’interroge sur ce qui pousse l’adolescent à préférer des formes d’autorité particulièrement aliénantes au détriment de celles à même de l’aider à se construire, il s’apercevra que celui-ci se reconnaît volontiers dans les premières qu’il considère comme émanant d’un monde dont il est partie prenante. C’est pourquoi l’éducation sociale s’applique à faire évoluer ses pratiques normatives vers des formes participatives et démocratiques. Le résident d’un foyer est alors incité à adopter une attitude active face aux savoirs, savoir-faire et savoir-être. On y arrive par des procédés qui le rendent co-auteur des règles, lui offre la possibilité de les contester et, corrélativement, le mettent en position de garant de leur respect. Cette approche s’incorpore dans l’héritage de la « transmission » éducative et porte ainsi en elle, selon la vision de Rousseau, les germes de son dépassement.
Un nouveau contrat social
Voilà pourquoi, au-delà de la provocation qui a marqué les soixante-huitards, ce n’est pas l’autorité comme telle des adultes qui est fondamentalement remise en cause, ni les méthodes de son exercice (hiérarchie ou rigidité), mais le principe censé régir sa légitimité. Cette légitimité vient de la reconnaissance réciproque et de la participation citoyenne. A l’ère de l’information instantanée, l’âge et l’expérience ne sont en effet plus reconnus comme refuges du savoir. On voit alors des enfants, de plus en plus jeunes, récuser les formes traditionnelles d’autorité que certains considèrent comme légitimes et auxquelles ils veulent les soumettre prétendument dans leur intérêt. D’où ce conflit de génération : les adolescents voient dans les adultes des prosélytes porteurs d’intérêts d’une autre tribu qu’ils cherchent à leur imposer.
L’adolescent réclame la reconnaissance, la consultation, la participation et le partage pour conclure un contrat social démocratique et offrant à chacun la possibilité d’y apporter, délibérément, sans complexes ni scrupules, ce qu’il peut. C’est en donnant à l’adolescent l’occasion d’être reconnu qu’on le pousse à se responsabiliser et qu’on le soustrait à la tyrannie de l’immédiateté avec son penchant à la contestation.
Dès lors, le défi de l’éducation contemporaine, Philippe Meirieu [2] l’affirme, n’est pas de « restaurer l’autorité » – que certains adolescents plébiscitent par ailleurs allègrement – mais de rendre ces derniers acteurs de la règle commune. Il importe donc de construire avec eux une autorité à la fois légitime et contestable. Car, les règles construites par le groupe au nom de l’intérêt collectif ont plus de chance d’être respectées que celles dictées par la hiérarchie et posées comme indiscutables. La quête juvénile de liberté y trouve ainsi son compte ; comme pour confirmer la belle formule de Rousseau : « L’obéissance à la règle qu’on s’est soi-même prescrite est liberté ».
[1] Raisonnement que défend notamment Christel Girerd dans sa thèse de doctorat, « Les figures d’autorité chez l’enfant », Université Louis Pasteur, 3 octobre 2009, à Strasbourg.
[2] Conférence aux Rencontres internationales de Genève, septembre 2005 : « Quelle autorité pour quelle éducation ? », Philippe Meirieu.