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Seniors et soignant·es, sources d’innovation

Jeudi 12.12.2024
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Dans le domaine des gérontechnologies, le «secutel» représente un moyen de soutien du maintien à domicile. Un projet participatif incluant seniors, proches et professionnel·les ambitionne de moderniser ce service.

Par Sophie Boucard-Magand, spécialiste mobilité et biotélévigilance, et Géraldine Chevé, responsable de l’Unité Expertise Sociale, Association vaudoise d’aide et de soins à domicile, Rafael Fink, collaborateur scientifique, senior-lab et Institut et Haute École de la Santé La Source, et Francesca Bosisio, professeure ordinaire, senior-lab et Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud.

En plein essor, les technologies de la santé démontrent un potentiel élevé pour favoriser le maintien à domicile dans un contexte de vieillissement démographique. À l’heure actuelle, ces technologies proposent des solutions multiples et différentes avec un potentiel de développement certain qui doit cependant répondre aux besoins réels des bénéficiaires.

Comme l’ensemble des pays occidentaux, la Suisse connaît un vieillissement démographique important qui va encore s’accentuer durant les prochaines années. Avec l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom et l’augmentation de l’espérance de vie, une forte croissance du nombre de personnes de plus de 65 ans est observée. Certains scénarios indiquent qu’elles vont passer de 1,6 million en 2020 (18 % de la population) à 2,6 millions en 2050 (25 %) [1]. D’autre part, le fait de vieillir sans famille, soit sans partenaire ni enfant, est un phénomène qui va nettement augmenter au cours des prochaines décennies. En Suisse, 8% des 70-80 ans (soit environ 100'000 seniors) vieillissent aujourd’hui sans pouvoir compter sur les ressources de la famille nucléaire — partenaire et/ou enfant(s) — et dépendent ainsi de l’aide des organisations de seniors, de leur cercle d’ami·es ou du voisinage [2]. Bien que l’on ne dispose pas de données permettant de l’attester, cette proportion est probablement nettement supérieure parmi les plus de 80 ans, car le risque de perdre le/la partenaire s’accroît avec l’âge. Il concerne également davantage les femmes, qui sont plus nombreuses que les hommes dans le grand âge.

Dans ce contexte, le maintien à domicile représente un enjeu socio-sanitaire majeur, de même qu’un défi pour les services d’aide et soins à domicile. En effet, ceux-ci doivent faire face à une augmentation de la demande, tout en assurant une relève suffisante de personnel soignant au sens large qualifié. Les statistiques confirment cette forte augmentation de la clientèle des services d’aide et soins à domicile au cours de la dernière décennie (+61 %) [3].

Des technologies pour favoriser l’autonomie

Plusieurs types de mesures facilitent le maintien à domicile des seniors. L’un d’eux consiste à introduire de nouvelles technologies dans leur logement en vue de favoriser leur sécurité et de soutenir leur autonomie.

Depuis quelques années, ce qu’on nomme les « gérontechnologies » connaissent un essor important auprès des prestataires et bénéficiaires d’aide et de soins à domicile. Elles comprennent les objets connectés ou les solutions domotiques telles que les montres alarmes (type Sécutel [4]), additionnés de capteurs et détecteurs intelligents, utilisés notamment pour prévenir les chutes ou pour contrôler les paramètres vitaux.

Si ces solutions présentent un potentiel intéressant, elles génèrent aussi des freins à leur acceptation et à leur déploiement. Pour exemple, au sein des CMS vaudois, il est intéressant de noter que 31% seulement des personnes interrogées sont favorables aux offres d’appareils connectés [5]. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette réserve : une approche trop « techno-centrée », une faible considération de la complexité du système sanitaire, une crainte des client·es au sujet de l’utilisation des données récoltées, une méfiance de la part des professionnel·les quant à la fiabilité des développements non standardisés, et une méconnaissance des capacités, des besoins et des préoccupations des bénéficiaires [6]. À cet égard, la question se pose de savoir comment développer et implémenter des services et des technologies présentant un réel bénéfice, correspondant aux besoins et aux profils des personnes concerné·es par leur utilisation (la personne âgée, ses proches et les professionnel·les qui interviennent auprès d’elle).

Une approche centrée sur les client·es

Ces constats figurent au centre d’un projet [7] de l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile (AVASAD). Tout en exploitant les potentialités offertes par les technologies, l’organisation souhaite continuer à développer son dispositif de téléassistance, en adéquation avec les besoins des client·es d’aujourd’hui et de demain.

Afin de garantir l’engagement des actrices et acteurs concerné·es dans la conception, la définition et la validation des services développés, l’association a entamé une collaboration avec le senior-lab [8], une plateforme de recherche appliquée et d’innovation dédiée à la qualité de vie des seniors, également experte en méthodes participatives.

Ce développement avait pour objectif de favoriser l’acceptation et l’adoption d’une solution de téléassistance et ainsi d’améliorer son impact en matière de prévention et promotion de la santé. Pour y parvenir, une approche centrée sur la personne utilisatrice a été adoptée. Dans ce cadre, deux démarches qualitatives ont été mises en œuvre.

La première visait à explorer les besoins d’un panel diversifié d’utilisateurs et d’utilisatrices, seniors et proches aidant·es. Dix-neuf client·es (actuel·les et potentiel·les) et leurs proches aidant·es ont été questionné·es lors d’entretiens à domicile. L’objectif était double. D’une part, il s’agissait de comprendre leurs perceptions et leurs besoins en matière de téléassistance. D’autre part, des nouveaux produits et de nouvelles fonctionnalités ont été présentées aux participant·es.

Au niveau méthodologique, la réalisation de démarches participatives avec des seniors demande une grande flexibilité pour établir les conditions favorables à l’expression des besoins [9]. Il est fondamental, dans ce contexte, de créer un lien de confiance, de donner le temps nécessaire à l’émergence d’idées et de valoriser les contributions et les savoirs expérientiels des participant·es. Le fait de présenter physiquement les fonctionnalités de téléassistance contribue à obtenir des retours plus concrets sur les caractéristiques des services à développer.

La deuxième démarche ambitionnait d’investiguer les perceptions des professionnel·les du domaine de l’aide et des soins à domicile. Il s’agissait dans ce contexte d’évaluer les impacts organisationnels [10] de ces technologies et de définir les caractéristiques d’une solution de téléassistance améliorée et mieux intégrée à leurs pratiques professionnelles. Des focus groups ont été organisés, lieux propices à l’intelligence collective garantissant créativité, compassion, collaboration, communication et réflexion. Ainsi vingt-sept infirmières et infirmiers, médecins, ergothérapeutes, auxiliaires de santé, assistant·es sociales, référent·es sociales et technicien·nes ont pu définir et prioriser les caractéristiques souhaitées pour la solution.

Des solutions adaptées et adaptables

La plupart des seniors interrogé·es se déclarent ouverts à utiliser la téléassistance en cas de besoin. Selon les observations réalisées, en l’état, cette technologie peine toutefois à convaincre une partie des utilisateurs et utilisatrices qui la considèrent comme stigmatisante et destinée uniquement à des personnes très fragiles.

A la lumière de l’étude Bien Vieillir [11] réalisée par l’AVASAD en 2022, donnant la parole à 1’440 client·es des CMS vaudois, 40% fréquentent plusieurs fois par semaine les commerces de proximité, et 55% d’entre elles et eux pratiquent parfois voire souvent la marche, la promenade ou la randonnée.

Une solution de téléassistance améliorée doit donc être en mesure de s’adapter au souhait de modes de vie plus actifs, correspondant à la nouvelle génération de seniors. Avec l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé, de plus en plus de personnes pratiquent des activités à l’extérieur, même à un âge avancé. De ce fait, il semble nécessaire que la téléassistance apporte de l’aide aux client·es aux endroits où iels en ont besoin.

À l’autre extrême, les contraintes spécifiques des personnes en forte perte d’autonomie doivent également être prises en considération. Ainsi, la téléassistance doit notamment rester facile d’utilisation pour des personnes vivant avec des troubles cognitifs [12]. L’enjeu consiste à pouvoir rester à domicile malgré leurs facteurs de vulnérabilité grâce à des options supplémentaires (détecteurs et capteurs avec enclenchement automatique d’alarme).

Du côté des professionnel·les, il est observé que certaines de ces technologies peuvent augmenter l’efficience de tâches particulières (par exemple les contrôles de paramètre vitaux ou la gestion de médicaments). Elles peuvent également favoriser la relation entre soignant·es et client·es, par exemple dans l’échange et le partage d’expérience sur l’utilisation de ces outils.

Les participant·es insistent sur le fait que ces solutions de biotélévigilance améliorée ne doivent en aucun cas se substituer à une visite à domicile car celles-ci répondent aussi à des besoins de lien social et humain. Les innovations technologiques doivent en outre s’intégrer aux pratiques professionnelles. Enfin, il importe de veiller à ce qu’elles ne rajoutent pas inutilement de la complexité au travail des équipes de terrain.

Il convient encore de souligner l’importance de considérer les aspects éthiques dans le développement de ces technologies. La protection des données, le droit à la vie privée et le droit à l’autodétermination des client·es doivent toujours être considérés.

L’encadré ci-dessous présente les caractéristiques des technologies pouvant être intégrées dans le futur, selon le contexte logistique et organisationnel du dispositif des CMS vaudois.

Caractéristiques d’un système de téléassistance amélioré

  • Design attractif et discret pour favoriser l’acceptation et l’adoption du dispositif.
  • Système GPS intégré pour pouvoir apporter de l’aide aux personnes actives qui se déplacent régulièrement à l’extérieur.
  • Privilégier un système de téléassistance passif, avec activation automatique de l’alarme, pour les personnes ayant des troubles cognitifs.
  • Plusieurs possibilités de réponse et d’intervention complémentaires (par exemple proches aidant·es, équipe mobile du CMS, services d’urgence) pour pouvoir s’adapter à différents profils de client·es, y compris les personnes isolées.

Garantir la qualité à des tarifs abordables

La démarche participative adoptée dans le cadre de ce projet a permis de mettre en avant l’importance de consulter les personnes concernées sur leurs besoins réels, qu’il s’agisse des professionnel·les et des utilisateur·rices. Dans un contexte où les nouvelles technologies peuvent à la fois constituer un atout considérable pour l'autonomie tout en présentant un frein potentiel, l'AVASAD et le senior-lab ont fait le choix d’une approche centrée sur les client∙es, qui valorise leurs ressources et savoir expérientiel. Avec cette approche centrée sur l'humain, l’objectif est que la technologie soit au service de l’individu et non plus l’inverse. Les perspectives d’utilisation de ce type de processus participatif peuvent se projeter sur l’ensemble des réflexions menées dans le cadre de la stratégie Vieillir 2030 du Canton.

En effet, une approche participative comporte plusieurs avantages. Premièrement, elle promet d’augmenter la satisfaction et l’implication des professionnel·les et des utilisateur·rices témoignant. Deuxièmement, elle favorise l’élaboration de solutions adaptées aux besoins des seniors et des professionnel·les et, par conséquent, la mise en place de prestations de qualité. Troisièmement, elle instaure une culture collaborative qui renforce le pouvoir d’agir (empowerment) de toutes les parties concernées.

La prévention et la promotion de la santé sont étroitement liées à la capacité d'anticiper le déclin fonctionnel, et ce projet contribue à cette anticipation au travers de la téléassistance.

Selon l’étude menée par l’AVASAD en 2022, un quart des client·es des CMS interrogé·es ne dispose pas toujours de moyens financiers pour maintenir les activités physiques, sociales ou de loisirs [13]. Prenant en compte ces freins financiers préexistants, le défi sera de proposer des solutions et options dont les tarifs restent abordables, tout en garantissant la qualité de la prestation reconnue au sein des CMS vaudois.

Références

[1] OFS, 2020

[2] DSAS, 2021

[3] OFS, 2021.

[4] Prestation d’aide à domicile soutenue par l’État de Vaud.

[5] Étude AVASAD en collaboration avec la Chaire de l’UNESCO et centre collaborateur OMS « ÉducationS & Santé » chez 1'440 seniors vaudois bénéficiaires de prestations d’aide et de soins des centres médico-sociaux, 2022.

[6] Grosjean et Bonneville, 2007.

[7] Ce projet est soutenu par la Fondation Leenaards.

[8] Le senior-lab est une structure interdisciplinaire issue de la Haute école d’ingénierie et de gestion du Canton de Vaud, de la Haute école de la santé La Source et de l’École cantonale d’art de Lausanne.

[9] Lindsey et al., 2012

[10] HAS, 2020

[11] AVASAD, 2022

[12] GBD 2019 Dementia Forecasting Collaborators, 2022

[13] AVASAD, 2022

Comment citer cet article ?

Sophie Boucard-Magand et al., «Seniors et soignant·es, sources d’innovation», REISO, Revue d'information sociale, publié le 12 décembre 2024, https://www.reiso.org/document/13470

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