Aider les proches de patients bipolaires
Le trouble bipolaire touche environ 2% de la population. A Genève, une équipe pluridisciplinaire organise des groupes de proches pour apprendre à « composer » avec cette maladie et à prévenir les récidives.
Par Marie-Joëlle Stauffer-Corminboeuf et Nancy Aillon, infirmières spécialisées, Programme des troubles de l’humeur, Dr Jean-Michel Aubry, professeur, médecin-chef du service des Spécialités psychiatriques, Hôpitaux universitaires de Genève
Le trouble bipolaire est une maladie récidivante qui s’accompagne de variations trop fréquentes et trop marquées de l’humeur [1]. Des phases d’exaltation et d’euphorie (hypomanie-manie) alternent avec des épisodes dépressifs ainsi que des périodes de stabilité de l’humeur. L’aspect récidivant entraîne d’importantes conséquences dans les différents domaines de la vie – privée, professionnelle, sociale – de la personne qui souffre de ce trouble, mais il provoque aussi une souffrance au sein de la famille. Ce trouble représente ainsi une charge importante, émotionnelle mais aussi socio-économique, pour les proches et l’entourage des patients.
En 1999, le programme Bipolaire (Psychiatrie générale, Hôpitaux universitaires de Genève - HUG) a mis sur pied un groupe psycho-éducatif et de soutien destiné aux proches de patients souffrant d’un trouble bipolaire [2]. Le groupe s’adresse à la famille élargie adulte ou à toute personne significative de l’entourage du patient. A noter que les proches peuvent y participer même si le patient n’est pas pris en soin dans notre structure. Les participant·e·s ont en général appris l’existence de ces groupes par les soignants, les associations de patients ou les médias. Ils s’y inscrivent de leur propre initiative et s’engagent à une participation régulière.
Parler, échanger, s’informer
Un groupe des proches est un groupe fermé et réunit entre 8 et 10 personnes. Il est animé par deux infirmières spécialisées du programme des troubles de l’humeur des HUG. Le programme compte 13 séances hebdomadaires de 2 heures ainsi qu’une séance de « rappel » trois mois après la fin du groupe. La première partie de chaque soirée est consacrée au soutien et à l’entraide. Cet espace de parole du début de séance permet à chacun d’évoquer ses préoccupations personnelles. La deuxième partie est centrée sur l’information autour d’un thème précis. Les thèmes traités :
- Le trouble bipolaire dans sa généralité
- Les manifestations de la maladie
- Les causes et les facteurs précipitants
- Les principaux traitements
- La famille et la prévention des récidives
- Les habiletés de communication
- Comment obtenir l’aide nécessaire
- Vivre avec la maladie et le rôle des associations
L’information médico-sociale ciblée permet à de nombreuses familles de développer des compétences de gestion de la maladie. Elles apprennent par exemple à reconnaître les symptômes et les signes avant-coureurs d’une rechute. Cet aspect est fondamental dans le traitement du trouble bipolaire. L’expérience des dernières années permet d’établir que les groupes de proches ont un impact positif sur la prévention des récidives. En plus de cet objectif de prévention, les autres objectifs des séances visent à améliorer la qualité de vie des proches ainsi qu’à améliorer la collaboration entre les proches et les équipes soignantes.
Concrètement, notre intervention commence par un entretien individuel préalable. Là, nous identifions dans quel contexte le futur participant a entendu parler du groupe, ses ressources et ses compétences ainsi que ses connaissances du diagnostic, des causes et des traitements de la maladie. Lors de cet entretien, nous accordons une grande attention aux attentes de la famille : il s’agit de comprendre comment elle fait face à la maladie et comment chaque membre de la famille est affecté. Nous nous préoccupons de manière générale des stratégies d’adaptation que les proches ont pu mettre en œuvre.
Et la santé du proche aidant ?
Souvent, les proches ne mettent pas de limites à leurs engagements. Accompagner une personne souffrant d’une maladie chronique est pourtant extrêmement exigeant et nécessite de nombreuses compétences. Il importe de connaître la maladie et le réseau de soin, de savoir demander de l’aide, d’obtenir les interventions adaptées dans les moments propices. Le groupe est un lieu d’entraide où l’on peut soulager un vécu émotionnel stressant. Les participants osent y évoquer leurs difficultés et leurs besoins dans le respect de chacun et sans que cela ait des conséquences négatives.
Au-delà des informations médicales sur le trouble bipolaire, les groupes visent à aborder les problèmes concernant le trouble bipolaire du point de vue des proches. Ainsi, lorsque le stress généré par l’accompagnement au long cours du malade dépasse leurs capacités d’adaptation, les proches peuvent avoir besoin de soins pour eux-mêmes. C’est l’occasion de les aiguiller vers un soutien thérapeutique individuel.
Des proches bien informés peuvent apporter un soutien efficace et contribuer à la diminution du nombre de rechutes et à leurs conséquences. L’entourage apprend à différencier un « bon jour » d’un état hypomane et « un mauvais jour » d’un état dépressif. Les proches réalisent que la personne malade peut prendre en mains ses soins. Le fait d’avoir une meilleure connaissance du trouble bipolaire permet ainsi aux proches de se sentir mieux préparés à faire face aux moments difficiles, en particulier lors des rechutes.
Une aide et non une intrusion
Les proches apprennent également à formuler des demandes plus claires et sans culpabilité : accompagner le malade à un rendez-vous, participer à un entretien ou faire un téléphone. L’intervention du proche est dès lors comprise comme une aide et non comme une intrusion dans les soins. Partager un savoir commun avec le proche malade amène à une plus grande efficacité dans l’intervention lors de l’apparition des signes précurseurs. Ainsi, le soutien psycho-éducatif permet peu à peu aux patients et aux proches de passer d’un sentiment d’impuissance, de découragement ou de révolte face à la maladie à une position de collaboration. Collaboration entre eux, mais aussi avec les soignants. Les commentaires des proches évoquent aussi l’amélioration de leur qualité de vie : « J’ai mieux compris ce que peut ressentir mon proche malade. » « Je me sens plus à l’aise avec lui et avec notre entourage. » « Lorsque je suis à bout, je sais reprendre des forces dans mes activités pour revenir plus fort après. »
Les groupes de proches de personnes souffrant de trouble bipolaire s’inscrivent dans un contexte et une philosophie de partenariat de soins. Ils impliquent le patient, son entourage et les professionnels de la santé. D’après notre expérience clinique et les données de la littérature, la capacité à assumer la maladie et à participer activement à son traitement contribue à améliorer la qualité de vie du patient mais aussi la qualité de vie de ses proches.
[1] Bibliographie
- F. Ferrero, J.-M. Aubry, Traitements psychologiques des troubles bipolaires. Elsevier Masson Editeur, 2009.
- F. Nerfin, N. Aillon, L’Aide aux familles, in Santé Mentale, 2004 (92) 57-63.
- Deleu et Chambon, Thérapies psychoéducatives familiales et psychoses chroniques. Charleroi, Socrate Editions, 1999.
- J.-M. Aubry, N. Aillon, M.-J. Stauffer-Corminboeuf, Troubles bipolaires : Accompagner les familles, in Santé Mentale, 2011 (159) 48-51.
[2] Adresse du Programme des troubles de l’humeur du Service des spécialités psychiatriques des HUG en ligne.