Insertion des jeunes adultes : une approche partagée
Le suivi individualisé est largement appliqué dans les démarches d’insertion socioprofessionnelle des jeunes adultes en difficulté. Au-delà des outils utilisés, sur quels dénominateurs communs les intervenant·e·s travaillent-ils ?
Par Damien Quaglia, responsable de structures d’insertion, Fondation Le Relais, Morges
L’insertion socioprofessionnelle des jeunes adultes en difficulté d’insertion fait l’objet de la plus grande attention. Dès les années 1980, les professionnels du social se sont mobilisés pour ces jeunes dont la situation est devenue plus précaire : « Ruptures d’apprentissage, ruptures familiales, solitude et difficulté à trouver sa place sont devenues le quotidien de beaucoup de ces jeunes et, subséquemment, des travailleuses et travailleurs sociaux qui y sont confrontés » [1].
L’augmentation des exigences de performances professionnelles, la montée du chômage, la baisse de la demande de travailleurs non ou peu qualifiés, la difficulté à trouver des repères dans la société, rendent compliquées les tentatives d’insertion ou de réinsertion des personnes les plus vulnérables, en particulier des jeunes. Dans le même temps, le statut professionnel a pris une place considérable dans le processus d’identification et de valorisation personnelle rendant l’enjeu de l’insertion encore plus émotionnel. Selon Vincent De Gaulejac qui a étudié en profondeur le rôle qu’a pris le travail dans nos vies : « il est présent à tout moment comme référence à la norme sociale et comme le moyen privilégié de confirmer des qualités individuelles » [2]. Pour lui, le travail « a été déplacé de la sphère de la survie (revenu/consommation) à une sphère plus abstraite de la richesse et de la reconnaissance sociale » (p. 104).
L’entrée dans le monde du travail est souvent une période difficile. Elle l’est d’autant plus pour des jeunes qui arrivent à l’âge adulte sans disposer des ressources internes (confiance en soi, persévérance, autonomie…) ou externes (soutien de la famille, logement stable…) suffisantes pour se lancer dans la démarche exigeante qui mène à l’insertion. On remarque aussi que ces derniers ont souvent eu un parcours parsemé de ruptures, de carences, d’échecs, voire de maltraitances diverses.
La pratique des entretiens individualisés
En réponse à cette problématique, les autorités politiques de nombreux pays de l’OCDE ont mis l’accent sur l’insertion socioprofessionnelle de ces jeunes adultes. Les pouvoirs publics, ainsi que de nombreuses organisations actives dans l’action sociale ont mis en place des mesures d’insertion [3] afin de soutenir cette politique publique et de répondre aux besoins des différentes institutions en charge de l’insertion.
Dans ces mesures d’insertion, on remarque qu’une prestation est largement utilisée et tient souvent lieu de fil rouge dans le soutien proposé pour faire face aux difficultés particulières des jeunes. Il s’agit des entretiens individualisés, au cours desquels ces derniers pourront élaborer un projet professionnel, convenir des démarches concrètes à réaliser, échanger sur les difficultés rencontrées et les solutions envisagées. Ces entretiens sont précieux, car ils permettent au travailleur social de prendre en compte la situation particulière et unique de la personne accompagnée.
Les professionnels de l’insertion pratiquant le suivi individualisé jouent un rôle important à un moment crucial de la vie de ces jeunes. Il a paru, de ce fait, pertinent de savoir comment ils font face à cette responsabilité.
Une recherche, dont les résultats ont été publiés cette année [4] a alors été conduite en Suisse romande auprès de praticiens expérimentés pratiquant le suivi individualisé afin de mettre en lumière cette forme d’intervention. La démarche a mis en valeur les nombreux outils utilisés lors de leurs entretiens. Au-delà de la diversité des outils, il a toutefois été possible d’identifier plusieurs points communs chez les praticiens dans leur manière d’appréhender l’insertion des jeunes adultes qu’ils accompagnent.
Esquisse d’une approche partagée
Le premier de ces dénominateurs communs semble être la volonté de faire progresser le jeune adulte dans le développement de tout une série de compétences lui permettant de faire face aux défis de notre société et de se prémunir contre une insertion précaire. L’objectif général est de briser la spirale négative de la perte de confiance, qui provoque le repli sur soi pouvant aboutir à une réelle désertion sociale. Pour inverser cette tendance et enclencher un cycle vertueux de maîtrise de son devenir, l’accent est mis sur la reprise de confiance et le renforcement du sentiment d’efficacité personnelle, qui favoriseront l’envie d’apprendre et de sortir de sa zone de confort pour en retirer de la gratification.
Pour atteindre cet objectif suprême, il est indispensable, selon les praticiens rencontrés, d’adopter une posture qui considère le jeune comme une personne capable de faire des choix et de les assumer. Il s’agit alors de l’encadrer dans ses prises de décision, plutôt que de le soumettre à un avis exogène « d’expert ». L’accompagnement se fait, en conséquence, dans un processus de découverte de la réalité extérieure et de soi, au fil des expériences vécues. Les intervenants comptent aussi sur les compétences et les ressources acquises préalablement par le jeune, qu’il aura, si nécessaire, réactualisées au cours de la mesure, pour faire progresser la dynamique d’insertion.
Les hésitations ou les doutes des participants concernant leurs intérêts professionnels, ainsi que les fluctuations de la motivation, sont généralement considérés par les intervenants comme faisant partie d’un processus normal d’élaboration et de construction d’un projet de vie. Au cours d’un suivi, les difficultés personnelles, les besoins d’insertion sociale, ainsi que les enjeux identitaires et relationnels, sont pris en compte et discutés, au besoin, avec le jeune.
Avec ce modèle, même en cas d’abandon de la mesure, on peut penser que le jeune adulte pourra profiter des progrès réalisés lorsqu’il tentera à nouveau de s’insérer.
Consensus sur les compétences transversales
Plusieurs praticiens postulent que l’utilisation de méthodes plus directives laisse peu de place à la réflexion et à la modification des représentations, et que si ce travail n’est pas effectué certaines difficultés pourraient réapparaître plus tard. En effet, selon eux, les approches très directives sont moins adaptées pour développer les compétences transversales qui permettront une insertion durable. Ces compétences transversales appelées aussi « habiletés transférables » sont, contrairement aux habiletés spécifiques à une profession, des compétences utiles dans la plupart des métiers, par exemple la capacité à communiquer avec autrui, à s’affirmer, l’esprit d’analyse et d’initiative, la gestion du temps et du stress, la capacité d’adaptation et d’organisation, l’anticipation.
Les intervenants ajoutent que ces compétences sont également utiles dans d’autres sphères que l’activité professionnelle, telles que les loisirs, les relations sociales et intimes, ou encore les choix de vie importants. En revanche, une fois que le jeune aura acquis l’autonomie et la confiance suffisantes pour assumer les exigences d’une insertion dans un marché du travail concurrentiel, les intervenants s’accordent sur le fait qu’un suivi moins soutenu, tel qu’une aide au placement, peut s’avérer très efficace. Ce service offre aux jeunes en fin de mesure la possibilité de se créer de nombreuses opportunités de trouver un emploi ou une entreprise pour débuter un apprentissage.
Il semble aussi se dégager un consensus sur l’importance de clarifier les objectifs d’accompagnement et de maintenir un cadre avec des limites bien établies. La confrontation à ce cadre permettra la socialisation et l’autonomisation par l’apprentissage de ce que son comportement peut provoquer chez l’autre. Elle préparera aussi le jeune adulte à entrer dans le monde professionnel, notamment en le sensibilisant au fait que les organisations humaines fonctionnent avec des normes qu’il s’agit de respecter au risque d’y être exclu.
Réussite ou échec ? Une responsabilité partagée
Les intervenants discutent ouvertement des limites et des aspects négatifs de la société avec les jeunes, afin de ne pas les culpabiliser et de ne pas leur faire porter l’entier de la responsabilité de leur situation. Ils déploient, en effet, un argumentaire où la responsabilité de la réussite ou de l’échec d’une insertion est présentée comme partagée entre la société (les changements dans le monde du travail, le chômage…), le jeune adulte (son comportement, ses connaissances scolaires…), et le soutien des intervenants de la mesure. L’objectif étant aussi, parfois, de tenter de les réconcilier avec le système et le « monde des adultes ».
[1] C. Regamey, « Papa, Maman, l’État et moi : jeunes adultes, accès aux dispositifs sociaux et travail social : un état des lieux », Rapport de recherche, 2001, p. 5.
[2] V. De Gaulejac & I. Taboada Léonetti, La lutte des places, Desclée de Brouwer, 2007, p. 102.
[3] Nous appelons « mesure d’insertion » toutes prestations visant à promouvoir l’insertion.
[4] Damien Quaglia, Favoriser l’insertion des jeunes adultes en situation de vulnérabilité : Outils pour un suivi individualisé, Chronique Sociale, 2015. Cet article reprend des parties des conclusions de l’ouvrage. NDLR de REISO : les méthodes et outils utilisés par les intervenants lors des entretiens avec les jeunes adultes sont décrits et décryptés de façon remarquable. Présentation du livre sur cette page de REISO.