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Le système de santé suisse est aux urgences… Le professeur Stéphane Rossini passe en revue les problèmes structurels qui ont généré cette gabegie. D’abord, les responsabilités sont diluées et très mal coordonnées entre la Confédération, les cantons et les communes. Ensuite, les lois se sont confusément empilées les unes sur les autres au fil des décennies. De plus, les primes sont déterminées sans prendre en considération la situation économique de l’assuré et chaque canton adopte sa propre pratique de réduction pour les personnes à faible revenu. N’en jetez plus ! Tous ces dysfonctionnements aboutissent à des inégalités de traitement, à des injustices dans l’accès aux soins, à des comportements irrationnels coûteux. Un exemple parmi tant d’autres : il est plus avantageux pour une personne de rester à l’hôpital que de séjourner dans un home.
Dans sa synthèse de dix pages (disponible ci-dessous), Stéphane Rossini décrit cinq grands axes de réforme. Ils s’articulent autour de plusieurs principes de base, notamment la justice sociale, l’égalité de traitement, la régulation du service public plutôt que le renforcement de la libéralisation qui instaure des concurrences parfois néfastes. L’auteur met les médecins au cœur de toute la stratégie. Ils ont un rôle déterminant « dans la lutte contre la surconsommation, contre les interventions inappropriées, contre le gaspillage. »
Un Secrétaire d’Etat et un pool des hauts risques
En plus des mesures pour harmoniser les lois, les modalités de financement et d’assurance, l’auteur propose la création d’un poste de Secrétaire d’Etat à la santé et la protection sociale qui aurait un rôle de rassembleur. Des mesures intéressantes et novatrices sont également suggérées pour la médecine de pointe, le secteur hospitalier ou la régulation des progrès technologiques.
Stéphane Rossini souligne l’importance d’une parfaite coordination des soins pour une prise en charge rigoureuse et optimale des patients. Il imagine aussi un « pool des hauts risques » qui serait financé par tous les assureurs en fonction du nombre de leurs assurés. Ce pool serait un élément-clé contre la déplorable chasse aux bons risques à laquelle se livrent les assureurs. Il répondrait également à cette donnée méconnue : « Environ 10% des patients, souffrant notamment de maladies graves ou chroniques, induisent plus du trois-quarts des coûts des assurances maladie. »
Le professeur et conseiller national souligne la dimension sociale de tout l’édifice et donne des pistes pour renforcer la solidarité, lutter contre le dumping des caisses ou contre les effets pervers des franchises élevées. Et il propose un objectif : « Aucun ménage ne devrait allouer plus de 8% de son revenu pour s’assurer contre la maladie. »
Retrouver l’envie d’agir
Contrairement aux déclarations tonitruantes de certains qui ne pensent qu’à réduire les coûts de la santé, Stéphane Rossini vise un objectif autrement plus ambitieux : « des soins de qualité, en quantité et à des coûts adéquats ». C’est probablement ce noble but qui rend les réformes proposées plus cohérentes et stimulantes pour tous les acteurs concernés : autorités, institutions hospitalières ou de soins, assureurs, assurés, médecins, vous, moi… Au lieu de dénoncer les coupables de la hausse des coûts de la santé, cette vision stratégique et sociale nous met tous, à égalité, devant les vrais défis. Bref, elle donne envie d’agir ensemble et non plus les uns contre les autres.
Marylou Rey
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Les lois sur l’assurance chômage ne se contentent pas de discriminer les femmes, elles renforcent les inégalités devant le travail.
Les normes juridiques appliquées dans l’assurance chômage renforcent les inégalités de genre de deux façons et à deux moments distincts. D’abord, la loi considère globalement que seul le travail salarié, par opposition au travail domestique et/ou éducatif, est digne d’être vraiment indemnisé. Ensuite, elle se méfie de toutes les variétés de temps partiel qui sont le lot presque exclusif des femmes et des mères en particulier. Sophistiqués, les mécanismes de discrimination agissent dès l’affiliation à l’assurance, puis une nouvelle fois lors de l’indemnisation de l’assurée qui doit remplir des conditions plus strictes que celles imposées aux assurés. Dans le dernier numéro de « Nouvelles Questions féministes »*, la chercheuse Carola Togni pose cinq jalons historiques de cette discrimination si persistante.
1. 1924-1933 : la norme du travail masculin
Introduite en 1924, la première loi fédérale sur l’assurance chômage se borne à octroyer des subventions aux caisses privées et publiques existantes. Ces caisses sont principalement organisées par les syndicats et les membres s’y affilient sur une base volontaire. Or les syndicats de l’époque considéraient souvent les femmes comme des concurrentes déloyales (notamment à cause des bas salaires qu’elles recevaient !) et elles sont donc peu nombreuses à s’affilier. Cette première loi précise que, pour avoir droit aux indemnités, la personne doit pouvoir prouver un travail régulier et subir une perte sur le gain « normal »… Malgré ces restrictions, la disposition légale a un effet positif : la part des femmes dans les effectifs des caisses passe de 17% en 1924 à 25% en 1933. Chiffre encourageant qu’il faut pourtant immédiatement nuancer puisque, dans le même intervalle, la proportion de femmes parmi les personnes indemnisées diminue de 30% à 20%.
2. 1934-1950 : l’exclusion des femmes mariées
Une ordonnance de 1934 vient remettre l’église au milieu du village… Désormais, seule une personne par famille a le droit de toucher des indemnités de chômage. Et le texte précise : « Cette personne est celle qui pourvoit en majeure partie aux dépenses du ménage ». Les choses se gâtent encore plus en 1942 : les femmes mariées ne sont plus assurables que si le revenu de leur mari se révèle insuffisant pour l’entretien de la famille. La majorité des cantons fixent alors le barème au niveau ridicule de 350 francs par mois, alors que le salaire d’un ouvrier auxiliaire sans formation s’élève au minimum à 362 francs. Autant dire que les femmes mariées sont exclues de l’assurance.
3. 1951-1974 : l’exclusion de professions féminines et du temps partiel
La loi de 1951 supprime les discriminations envers les femmes mariées… mais exclut les employés d’hôtel et de restaurant, les infirmiers privés et les employés de maison, toutes professions évidemment occupées par des femmes.
4. 1975-1996 : les inégalités survivent aux réformes
Ce n’est qu’en 1976 que l’assurance chômage devient obligatoire pour toutes les personnes salariées. Mais là encore, le Conseil fédéral s’empresse de mettre les points sur les « i » et d’exclure les personnes qui n’ont pas une activité professionnelle régulière. En 1982, légère ouverture pour les femmes séparées, divorcées, mariées à un homme devenu invalide et pour les veuves. Si elles sont « contraintes » de reprendre une activité lucrative et ne trouvent pas de travail, elles n’ont pas besoin d’avoir cotisé pendant le délai ordinaire pour obtenir les indemnités. L’auteure précise toutefois : « Le travail salarié des femmes mariées reste, dans la vision du législateur, une "contrainte" et non un droit. » Ce n’est finalement qu’en 1995 que la loi reconnaît la période éducative comme période de cotisation. Une générosité à nouveau relative puisque les femmes doivent prouver une « nécessité économique » à leur travail, nécessité évaluée sur la base des revenus du conjoint.
5. 1999-2008 : persistance et renforcement des discriminations
Avec la période d’austérité budgétaire, en 1999, le Parlement rogne de moitié les indemnités aux personnes qui font valoir la période éducative de leurs enfants. Deux ans plus tard, cette « période éducative » est carrément rayée des textes. Cette révision renforce aussi l’exigence de régularité de cotisation pour ouvrir un droit aux prestations. Quant aux conditions d’accès aux indemnités, elles sont toujours, voire de plus en plus, restrictives à l’égard des mères qui ont des enfants en bas âge. Leur « aptitude au placement » est refusée si elles n’ont pas de place de garde ou si elles ne sont pas disponibles toute la journée… En général, aucune preuve n’est exigée des pères. D’ailleurs, on ne les soupçonne pas d’être inaptes au placement.
Ignorant superbement ces arguties législatives, l’Enquête suisse sur la population active considère « sans emploi » les personnes entre 15 et 74 ans qui sont activement à la recherche d’un emploi et sont disponibles pour travailler. Elle ne tient pas compte des conditions d’accès aux indemnités introduites par les dernières révisions légales. Et que découvre-t-elle en 2008 ? La Suisse compte davantage de femmes que d’hommes sans emploi, mais davantage d’hommes que de femmes indemnisés par l’assurance chômage ! Une situation absurde et discriminatoire qui, pour l’instant, ne semble pas émouvoir la majorité du Parlement…
Marylou Rey
Les normes sociales ont besoin de transparence mais également d’une part d’ombre. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’éclaircir un délit, le perfectionnisme peut parfois affaiblir la validité des normes légales.
Une personne qui touche l’aide sociale de manière indue commet une fraude. La norme légale du Code pénal suisse (paragraphe 146) est appliquée dans ce type de cas. La fraude est un délit poursuivi d’office ; la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) en fait mention dans ses mesures visant à garantir la qualité et à empêcher l’abus de l’aide sociale. A côté de l’appareil policier des autorités officielles en matière de poursuite pénale, quelques communes suisses ont recours depuis peu à des détectives sociaux chargés de constater et dénoncer les fraudes.
La manière de gérer sa vie en Suisse, de façon générale, a un effet très normatif sur la société : les gens pourvoient eux-mêmes à leurs besoins grâce à leur revenu. Ce revenu provient soit du salaire d’un travail fixe, soit d’un gain en capital – ou des deux. Une personne sans revenu propre bénéficie d’une couverture du minimum vital grâce au revenu de l’Etat, aux impôts. C’est pourquoi, les couches les plus basses de la société sont souvent suspectées de fraude. Il y a peu de tolérance pour les chiffres obscurs en cas d’abus de l’aide sociale. Tout doit être mis en lumière et éclairci. A cet égard, le comportement social normatif, qui comprend l’acquisition d’un revenu, fait référence.
Société en verre
Dans son article intitulé "Über die Präventivwirkung des Nichtwissens / Dunkelziffer, Norm und Strafe (Sur l’effet préventif de l’ignorance / chiffres obscurs, norme et sanction)", le sociologue Heinrich Popitz (1925-2002) part de la représentation utopique, très désagréable, d’une société dans laquelle les hommes et les femmes découvrent tout les uns des autres. Des canaux hiérarchisés comprenant un système d’espionnage conjugué à une méthode permettant d’obtenir des aveux forcés sont censés satisfaire le besoin d’information des hautes sphères politiques.
Popitz constate cependant : "La tentative de parvenir à la transparence du comportement dans une unité sociale définie finira immanquablement par se heurter à des limites ; subjectives – malaise psychique des personnes concernées, indocilité, contre-réactions - et objectives, les limites du possible sur le plan organisationnel et technique ainsi que les coûts sociaux."Une société en verre, semblable à une prison, une horrible société reste impossible, il s’agit d’une utopie négative. Pourquoi est-ce ainsi ?
Chiffres obscurs
La sanction des délits, tout comme l’ignorance des délits, participent à la cohésion de la société. Popitz commente ces tendances opposées à l’aide des chiffres obscurs – très désagréables lorsque l’on veut être perfectionniste. Selon Popitz, la vie sociale a besoin de flou, "qui sert finalement aussi à la bonne opinion que nous nous formons les uns au sujet des autres tout comme au sujet de notre système de normes." En effet, les normes ont besoin d’un peu d’ombre. Popitz constate que les sanctions n’ont que peu d’impact sur la validité de la norme. Le nier peut occulter le débat relatif à un changement de norme. La discussion sur les abus en matière d’aide sociale pourrait ainsi donner lieu à un discours sur une utopie positive, sur un revenu de base inconditionnel pour tous, par exemple. Car la liberté sociale est également conditionnée par le revenu.
Parler du respect entre hommes et femmes revient à brosser le tableau des conditions qui empêchent les uns et les autres de s’apprécier mutuellement et de se vouer le respect qu’ils se doivent. Ainsi, face à la perte du sentiment communautaire et de l’appartenance sociale, de l’isolement face aux dérives entraînées par l’industrie et le commerce mondialisés, les relations interpersonnelles se détériorent. C’est en tout cas l’avis de Jaques Depallens, municipal chargé des affaires sociales à Renens, qui s’exprimait à l’occasion de l’ouverture de la campagne « Entre hommes et femmes, on se respecte ».
Pour Pascale Manzini, chargée du social à Ecublens, le mot respect fait d’abord penser au respect du prochain et finalement "à tout le monde qui vit autour de vous et qui n’est pas vous". Dans le mot "prochain", il y a aussi "proche". C’est donc aussi envers nos proches que nous devons du respect. « Une telle attitude suppose une catégorie de règles qui dépendent des us et coutumes des différents groupes de la société ». La députée insiste particulièrement sur le respect de l’aîné, de l’ancien, de celui qui a construit notre présent en vivant dans le passé. Pour la Vaudoise, il faut donc un respect particulier pour le passé, l’expérience et la sagesse. « Si la société veut continuer d’exister dans sa diversité, elle doit aussi respecter ses enfants et ses jeunes », a recommandé la municipale des affaires sociales à Ecublens, qui prône la notion de durabilité du respect.
Concilier modernité et tradition
Jacques Depallens, municipal social de la commune de Renens, pense qu’il faut avoir le courage de concilier modernité et tradition. « Personne, Suisse ou étranger, ne peut vivre exactement comme vivaient les grands-parents, souvent dans un cadre villageois et une famille élargie très encadrante », fait remarquer le popiste. Et de rappeler que dans les années 1950-60, les filles ne sortaient que peu de la maison avant le mariage. « La vie sociale des jeunes filles était très réduite, à la différence de celle des garçons qui sortaient pour faire du sport, participer aux sociétés de jeunesse, faire l’armée, etc. Peu de filles suivaient une formation poussée. Elles n’avaient même pas le droit de vote ! »
« Mais la modernité n’est pas non plus rose », observe le municipal qui dénonce les nombreux dérapages par exemple dans les moyens de communication de masse. Pour lui, internet et téléphonie mobile véhiculent impunément des images dégradantes pour les femmes et de nature à égarer les hommes. Quant aux affiches publicitaires, elles associent toujours le corps féminin dénudé avec la vente d’objets de consommation.
Promouvoir le « vivre ensemble »
De nombreuses personnalités issues des milieux scientifiques se sont également exprimées sur ce thème du respect mutuel entre hommes et femmes. Ainsi, pour Ilario Rossi, professeur d’anthropologie à l’Université de Lausanne, la société moderne est devenue très métissée. « Mais ce métissage du présent ne doit pas être trop encombrant pour le passé. Il doit plutôt l’enrichir », indique ce scientifique pour qui l’homme d’aujourd’hui est un héritier d’un ensemble de mémoires. C’est à cet homme même à qui il est demandé de s’adapter à l’affirmation des différences pour ne pas mettre en cause le « vivre ensemble ».
Même son de cloche chez Véronique Mottier, professeure associée à l’Université de Lausanne et spécialiste des questions de genre. D’après elle, il y a encore de nombreuses discriminations à l’égard de certaines catégories de populations, ce qui empêche les gens de construire leur propre identité. Elle donne comme exemple le cas des homosexuels qui restent encore stigmatisés, ici comme ailleurs. Même chose pour les immigrés musulmans, accusés de ne pas respecter un certain nombre de valeurs occidentales. Si les gens veulent avoir une meilleure qualité de vie sociale, et même économique, il faut du respect entre hommes et femmes. Voilà le chantier qui attend les habitants des communes de l’Ouest lausannois.
Déo Negamiyimana
Le dossier que l’on appelle désormais « liberté de contracter » est un vrai serpent de mer… Rappelez-vous ! En 2002, le Conseil fédéral décide, à titre provisoire, de geler toute nouvelle installation de médecins en cabinets privés. On craint alors qu’avec la libre circulation des personnes, de nombreux médecins en provenance de l’Union européenne ne s’installent en Suisse et n’exercent à la charge de l’assurance maladie, faisant augmenter sensiblement des coûts qui ont déjà une nette tendance à l’escalade.
Cette mesure « provisoire » est reconduite régulièrement depuis lors et est toujours en vigueur, mais, « croix de bois, croix de fer », le Parlement ne se laissera plus faire et refusera toute prolongation au-delà de 2009. Il faut donc trouver un autre moyen de gérer les installations de nouveaux médecins et de maîtriser les coûts.
En 2004 déjà, le Conseil fédéral fait une proposition fondée sur la « liberté de contracter ». Il prévoit de laisser aux assureurs la possibilité d’établir des contrats avec les médecins qui leur conviennent et donc de leur donner le pouvoir de choisir les praticiens qui peuvent ou ne peuvent pas exercer à la charge de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal).
Ce modèle fait la joie des assureurs, à qui il attribue le pilotage du système de santé. Les patients en revanche n’ont plus le choix du médecin et doivent se renseigner sur les contrats conclus avec leur assureur. Les médecins n’ont qu’à bien se tenir s’ils veulent être reconnus.
Tergiversations du Parlement
Le Parlement, quant à lui, tergiverse, sachant bien que ce modèle n’a pas l’heur de plaire aux citoyens. On palabre, mais on ne décide rien… avant les élections de 2007. 2008 est l’année de la créativité : émergent alors les modèles dits Helsana, Oggier, des cantons, FMH, liberté de contracter seulement pour les médecins spécialistes, managed care, etc. On parle encore et encore et on n’avance pas. Le Conseil national met alors le Conseil des Etats sous pression et le somme de trouver une solution, sans quoi le gel des admissions tombera sans autre forme de procès.
Le 1er juin 2008, le peuple vote sur l’assurance maladie et exprime clairement sa volonté : il ne veut pas du pouvoir absolu des caisses… Fin juin, la commission des Etats procède à des auditions, reçoit les représentants des cantons et de la Fédération des médecins suisses (FMH), constate que leurs deux modèles sont compatibles, moyennant quelques aménagements et propose aux deux organisations de se rencontrer et de présenter un projet commun.
Le missile de santésuisse
Fin août, c’est chose faite, la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS) et la FMH envoient le résultat de leurs réflexions : une obligation de contracter et une intervention des cantons à titre subsidiaire, au cas où il y aurait trop ou trop peu de médecins. C’est compter sans le missile de santésuisse : juste avant la réunion de la commission, la faîtière publie un modèle dit « de coopération ». On y trouve, d’une part, une assurance de base comme actuellement, mais sans gel des admissions ; et d’autre part, un système « de coopération », où les assureurs et les fournisseurs de prestations définissent librement et contractuellement leur collaboration. La liberté de contracter est donc de retour…
Et que croyez-vous que décide la commission ? Elle entre en matière sur le message du Conseil fédéral sur la liberté de contracter de 2004 et renvoie le projet au Département de l’intérieur avec mission de reprendre le travail sur la base des propositions des assureurs ! Le dossier est prudemment renvoyé au Département et non au Conseil fédéral, ce qui évite une publicité inutile autour d’un sujet qui pourrait fâcher…
Pour le document CDS-FMH, c’est un enterrement sans fanfare. Les cantons et la FMH ne pèsent pas lourd face aux assureurs à la commission des « Etats ».
Gisèle Ory, conseillère aux Etats socialiste et directrice de Pro Infirmis Neuchâtel
Commentaire
reçu le mardi 19 mai 2009 à 00h47
La suppression de l’obligation de contracter n’est qu’une mesure parmi d’autres visant à réduire les coûts de la santé. Dans un pays aussi riche que la Suisse, le fait de consacrer 11% du PIB à la santé n’est pas excessif. Le vrai débat devrait tourner autour du financement de la santé et non pas autour de ses coûts. De tous les pays de l’OCDE, la Suisse a le financement de la santé le moins social. 67% des frais sont payés par les ménages, et la part de l’Etat au financement a chuté de 40% à 25% ces dernières années. Le système des primes par tête, de quote-part et de franchises à option défavorisent de façon intolérable les bas revenus.
En attaquant les coûts de la santé, M. Couchepin se trompe non seulement de cible, mais aussi de sujet : la base de tout acte thérapeutique est la confiance qui doit s’établir entre le médecin et son patient. Or, en permettant aux assureurs de se mêler de cette relation, M. Couchepin en empêche la réalisation. Comme d’autre part il favorise une médecine à deux vitesses en réduisant le catalogue des prestations de l’assurance de base en faveur des complémentaires, il peut se vanter d’avoir saboté en un temps record un système de santé qui comptait parmi le meilleurs au monde.
Dr Georges Muheim, Fribourg
Davantage encore que tout autre dispositif de la sécurité sociale, l’assistance publique symbolise la solidarité nationale. Cette solidarité, objectivée dans des lois, se conjugue à un contrôle des populations les plus démunies : c’est le gouvernement des pauvres.
Loin de rester statique, ce gouvernement évolue. C’est ce que montre l’ouvrage Temps d’assistance issu d’une recherche menée dans le cadre du Programme national de recherche « Intégration et exclusion ». Selon ce livre, quatre manières différentes de concevoir le gouvernement des pauvres se succèdent en Suisse romande depuis la fin du XIXe siècle.
Le temps des principes (1888-1889) correspond la période de mise en place de la législation d’assistance publique. Le problème politique majeur semble être celui de la définition des destinataires de l’assistance. Faut-il aider toutes les personnes qui habitent la commune ou uniquement celles qui en sont originaires ? Suivant les cantons, c’est l’une ou l’autre solution qui est choisie.
Mais aucune des solutions choisies ne permet de résoudre complètement les problèmes liés aux mouvements de population. Il faut dès lors, et rapidement, penser à réformer l’assistance. L’arrivée de la crise, à la fin de la Première Guerre mondiale, accélère encore le mouvement. Cantons et communes prennent des mesures complémentaires à l’assistance publique : travaux de chômage, réfectoires et dortoirs pour chômeurs, assurance chômage. Le temps de l’adaptation (1908-1940) amène donc les cantons à repenser du tout au tout le gouvernement des pauvres et, notamment, à différencier le chômage de l’assistance.
Durant la période de haute conjoncture qui suit la fin de la guerre, l’assistance n’est guère nécessaire, car le développement des assurances sociales a diminué le besoin d’assistance. C’est le temps de la contingence (1944-1973) et certains parlent de supprimer l’assistance. Elle est maintenue comme dernier « filet » du système de sécurité sociale, pour résoudre les problèmes de ce qu’on appelle à l’époque « l’inadaptation sociale ».
L’émergence de l’exclusion
La crise du milieu des années 70 change tout. De multiples enquêtes établissent la persistance de la pauvreté en Suisse. S’installe alors dans l’imaginaire collectif l’idée que des processus d’exclusion traversent la société. Dès 1995, le droit à l’assistance publique, est reconnu au nom de la dignité humaine. Ce droit oblige à formaliser l’assistance, c’est le temps de la gestion (dès 1974).
La réforme de l’assistance se fait souvent en temps de crise. Le consensus sur la nécessité de fournir assistance aux pauvres est fort à ces périodes. Mais les limites de la solidarité sont également évidentes… Durant la période de développement des années d’après guerre, ces limites s’estompent, mais la question même de maintenir l’assistance est posée. Le gouvernement de l’assistance est donc comme on le voit tributaire de l’évolution économique.
Basé sur l’analyse d’un vaste corpus fait de débats parlementaires sur l’assistance publique, de décisions de justice, d’articles de presse et d’ouvrages d’époque ainsi que sur des interviews, Temps d’assistance révèle le travail social de définition et de délimitation qui a permis l’émergence de la législation sur l’assistance publique en Suisse romande et a motivé ses réformes. Il se termine en donnant la parole aux bénéficiaires, qui disent ce que signifie vivre de l’assistance publique aujourd’hui.
Jean-Pierre Tabin
L’addiction sexuelle est rare, mais elle se révèle déstructurante pour celui qui en est atteint. Cette thématique a été débattue en septembre passé à Genève par le Forum addictions, qui réunit plusieurs fois par an des professionnels du social et de la santé, sous l’égide de l’association Première ligne (réduction des risques), d’ARGOS (toxicomanie), des Hôpitaux universitaires et de l’Hospice général. Les actes de cette rencontre viennent d’être publiés.
Il apparaît que la définition de l’addiction au sexe est des plus floues. Il n’existe pas de critères spécifiques pour la délimiter. « Le déroulement du forum ne s’est toutefois pas révélé moins complexe que sa préparation », écrivent ses organisateurs. En effet, il n’est pas facile d’évoquer – même pour des thérapeutes et des travailleurs sociaux – la sexualité en tant que telle, sans réserves personnelles ou allusions plus ou moins ludiques.
Se droguer pour oublier son corps
Gaëlle Martinez, collaboratrice socio-sanitaire à Première ligne a fait apparaître que le recours aux drogues diverses par les prostituées est avant tout un moyen de conjurer leurs angoisses et de favoriser leur désinhibition. La consommation de drogue fonctionne comme un « outil de travail » qui leur permet de dissocier la tête et le corps. « Les femmes vont consommer de l’alcool pour pouvoir travailler, de la cocaïne avec le client et ensuite elles vont prendre des médicaments (somnifères, antidépresseurs) pour pouvoir se reposer ou supporter cette situation ». Pour ces femmes, parler de consommation de drogues est difficile. « Elles ne veulent pas être associées aux femmes toxicomanes et vivent déjà difficilement le fait de pratiquer la prostitution ». Par ailleurs, il existe des « échanges de services sexuels » entre prostituées et dealers. Enfin, une rivalité oppose les consommatrices de drogues qui se prostituent aux prostituées qui consomment des psychotropes.
L’abus sexuel et l’abus d’abstinence
Le psychiatre Georges Abraham a mis en évidence le fait que les comportements addictifs en matière de sexualité ne sont souvent que des réponses à divers besoins. Considérant les abus de comportements sexuels, il souligne que l’abstinence peut être tout aussi tyrannique que l’addiction ! Quant aux sources de cette addiction, elles peuvent être diverses. L’angoisse de la perte d’appétit sexuel constitue par exemple une angoisse pouvant aller jusqu’à la perte du goût de vivre.
L’impact des maltraitances
Pour le docteur Bron, chef de clinique a la consultation interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence aux HUG, la maltraitance et l’abus de drogues sont liés. Par ailleurs, il est également apparu que la consommation de drogues rend les auteurs de maltraitances aussi vulnérables que leurs victimes.
Stéphane Herzog / Source : Sexualité et addictions : zoom sur un sujet tabou, 18ème Forum des addictions, Genève.
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Policier de quartier, romancier, formateur spécialisé en éthique, Yves-Patrick Delachaux est un flic atypique avec une vision sociale de son travail. Aujourd’hui, il démissionne de la gendarmerie genevoise et s’en explique.
Vous quittez la police genevoise après seize ans d’exercice, pourquoi ?
Si je restais en poste dans les conditions actuelles, j’aurais au sens strict du terme l’impression de "démissionner", c’est-à-dire de ne plus pouvoir remplir la mission que l’on m’avait initialement confiée. Depuis deux ans, j’observe la nouvelle direction de la Police et je constate que les policiers souffrent de l’absence d’un certain nombre d’outils en matière d’immigration, d’accueil, d’intégration des étrangers. Ils ne sont ni formés, ni encadrés pour intervenir efficacement dans un contexte social et sécuritaire de plus en plus complexe. Actuellement la police genevoise est surtout utilisée comme une police d’intervention à qui l’on demande de réagir à chaud à des situations d’urgence. A mon avis, elle n’est pas en mesure d’anticiper, de réparer, d’innover, d’inventer.
Pour que la Police genevoise commence à travailler autrement, il faudrait que les institutions d’État s’engagent avec courage dans une réforme du management qui n’a, à mon avis, été réalisée pour l’instant que dans l’Administration fiscale. J’ai interpellé ma direction à plusieurs reprises dans mes textes et expertises, notamment dans Présumé non coupable. Mais aucun responsable n’a souhaité entrer en matière. Pire : les rares processus de formation sur la migration et la discrimination dans un contexte policier, dont j’avais la charge, ont été abandonnés. D’où ma décision de démissionner.
Entre police d’intervention (de répression) et police de résolution des conflits (de proximité), le débat est récurrent. Quel est votre point de vue sur la mission de la police ?
Je suis inquiet du développement sécuritaire de la police, inquiet de la mise en place de groupes de sécurité, comme les BAC en France, qui ont pour missions de faire augmenter le nombre des interpellations pour justifier un accroissement des moyens sécuritaires. A Genève, comme en France, il a été question de l’utilisation par la police de drones, ces avions sans pilote conçus pour l’espionnage sur les champs de batailles. Comment pouvons-nous imaginer régler des conflits sociaux à l’aide de ce type de matériel ?
A Genève, l’idée d’installer une police de proximité est présente depuis quatorze ans. Aujourd’hui, nous avons en tout et pour tout une trentaine d’îlotiers. Ceux-ci font un travail fantastique, grâce à des personnalités hors du commun, mais leurs objectifs ne sont pas clairement précisés. Ils n’ont suivi aucune formation adéquate et on ne leur propose aucune vision d’avenir. Il serait temps d’engager une véritable politique en matière de police de proximité.
Depuis dix ans vous proposez des formations à l’éthique, à la lutte contre la discrimination raciale au sein de la gendarmerie genevoise … qu’est ce qui a concrètement changé dans les pratiques ?
Certains corps de police, comme la police municipale de Lausanne, ou encore de Neuchâtel et Fribourg se sont intéressés aux pratiques policières de lutte contre les discriminations. Ils ont travaillé à la refonte de leurs programmes de formations, élaboré des chartes et mis en place de nouvelles formes de management. J’ai aussi, à plusieurs reprises, collaboré avec des corps de police en Belgique et en France. Nous avons réfléchi à des formations donnant aux policiers des outils pour améliorer leur pratique quotidienne, notamment en matière de résolution de conflits. Je constate donc que ma direction m’envoie auprès d’autres polices, suisses ou européennes, et auprès de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (octobre 2007) pour présenter des pratiques et réflexions… que nous n’appliquons pas à Genève. Pourquoi ?
Comment voyez-vous les relations entre les policiers et les travailleurs sociaux ?
Il n’est plus possible d’envisager le travail policier sans une certaine pluridisciplinarité et des échanges avec les professionnels dont les pratiques visent aussi à la régulation sociale et l’amélioration du vivre ensemble.
Il y a aujourd’hui de meilleures relations entre les travailleurs sociaux et les policiers, mais je constate qu’il s’agit surtout d’efforts individuels, pas encore de véritables processus pluridisciplinaires qui engagent les directions. Je constate avec regret que si les policiers et les travailleurs sociaux se trouvent régulièrement côte à côte dans la rue, ils ne sont jamais réunis en formation. Là encore, ce serait à nos directions d’être novatrices, inventives, audacieuses.