Former chacun et chacune à l’autodétermination
Une formation-pilote à l’autodétermination pour les personnes en situation de déficience intellectuelle a été mise en place par la Fondation Aigues-Vertes. Avec des premiers résultats stimulants.
Par Yanick Galpy, directeur, Secteur Formation, Culture & Sport, et Bettina Schildknecht, formatrice, Secteur Formation, Culture & Sport, Fondation Aigues-Vertes
Le contexte
- © Izabela Habur / IStockphoto
En 2004, dans le cadre de l’élaboration d’un projet Institutionnel intégrant l’évolution du droit de la personne en situation de handicap (ONU, OMS, etc.), le Conseil de Fondation et la Direction d’Aigues-Vertes décident de mettre en place une collaboration avec la faculté d’orthopédagogie de l’université de Mons-Hainaut, en Belgique, pour réaliser et publier un outil de formation à l’autodétermination. En effet, plusieurs études démontrent que la participation de la personne à son projet de vie est étroitement liée à son potentiel en autodétermination. Adaptée de « C’est la vie de qui après tout ? » [1], cette formation répond aux besoins spécifiques d’une population adulte possédant le minimum de compétences requises en expression verbale. En 2007, la première version de « Coach’in autodétermination » (apprenant et coach) est scientifiquement validée par l’université de Mons. En 2012, une formation de base et une formation spécialisée de formateurs sont données par l’Association pour l’innovation en orthopédagogie et, lors du premier semestre de 2013, une première offre de formation à l’autodétermination destinée aux Villageois et Compagnons élaborée sur la méthodologie des outils « Coach’in » est intégrée au Centre de formation d’Aigues-Vertes.
La nouvelle formation à l’autodétermination s’adresse à toute personne ayant une déficience intellectuelle légère ou moyenne et souhaitant agir directement sur sa vie en faisant des choix libres, en connaissance de cause. Elle vise à développer des stratégies simples et efficaces en faveur de prises d’initiative et de l’autonomie.
- Coach in © AiguesVertes
Nous travaillons sur la base du manuel de formation « Coach’in », outil pédagogique individuel que chaque participant peut s’approprier en y apportant des commentaires personnels ou des illustrations. Dans une partie introductive, l’apprenant réfléchit à sa propre vie ainsi qu’aux choix et prises de décisions qu’il a déjà accomplis. Puis le premier chapitre, intitulé « Moi », encourage la personne à développer une meilleure connaissance d’elle-même et de son handicap. Le bénéficiaire fait son portrait et travaille sur la connaissance de son réseau social. A l’aide d’histoires concrètes, d’extraits de films et d’exemples issus de la vie quotidienne, il aborde les notions de différence, de déficience et de situation de handicap. Le deuxième chapitre, « Les autres et moi », concerne la communication. Suite à une réflexion sur la définition et les différentes fonctions de la communication, l’apprenant entraîne, au travers de jeux de rôles, l’expression verbale, non-verbale, l’écoute, la reformulation et apprend ainsi à communiquer de manière efficace et constructive. Le troisième chapitre, « Mon avenir », guide le participant dans la formulation d’un projet de vie personnalisé. Il clarifie la notion d’avenir, apprend à formuler un objectif en fonction de ses souhaits d’apprentissage et sollicite les ressources dont il dispose pour l’atteindre.
Pour mettre en place cette formation, nous avons constitué deux groupes de cinq personnes ayant toutes manifestées un intérêt à participer au projet. Nous avons regroupé des bénéficiaires ayant des niveaux similaires en lecture, écriture, compréhension et raisonnement afin de leur permettre d’avancer au même rythme. Pour la dynamique de cours, s’agissant d’un sujet personnel, nous avons également veillé à regrouper des personnes qui s’entendent sur le plan des relations interpersonnelles.
Premier bilan : une liberté étonnante
Au terme d’une phase test de six mois, 90% des participants sont satisfaits de la démarche de formation. Ils relèvent, à l’unanimité, le caractère non-jugeant des séances et la liberté qu’ils ont d’exprimer leurs pensées sans craindre de préjugés. Et un participant de dire : « Pendant ce cours, nous abordons des sujets issus du quotidien. C’est intéressant parce que je ne me rends pas toujours compte des réactions que j’ai. Cette formation m’ouvre à beaucoup de choses auxquelles je ne pense pas ou que je ne veux pas voir. »
Les discussions de groupe permettent des mises en perspective et des débats pertinents. Nous travaillons sur les prises de conscience et les représentations de façon à susciter des évolutions et des progressions vers des comportements toujours plus empreints d’autodétermination. Nous faisons des liens entre les références théoriques et la politique institutionnelle. Les connaissances mises en avant par les bénéficiaires, souvent élaborées à partir de leurs expériences, sont tout aussi valables que les savoirs des professionnels. C’est, par ailleurs, la combinaison de ces différents savoirs qui nous intéressent. En tant que formateurs, nous ne voulons pas être vus comme des experts mais comme des facilitateurs. La confiance et le soutien deviennent alors deux éléments essentiels dans la globalité de la démarche.
A l’heure actuelle, nous pouvons, par conséquent, attester avec certitude que cette formation, adaptée aux personnes ayant la capacité de relater des situations vécues et d’exprimer une opinion, est bénéfique et répond à un besoin réel du terrain. S’il est une dimension qui est plus complexe à aborder, c’est celle de créer une formation pour des personnes ayant des difficultés majeures de communication et de raisonnement. Nous aimerions, à terme, relever ce défi et construire, sur la base de notre expérience, des outils d’apprentissage destinés aux personnes qui disposent de capacités cognitives sévèrement restreintes.
Une des facettes du concept de l’autodétermination encourage l’apprenant à connaître ses forces et ses limites afin de s’en servir comme tremplin et d’en tirer le plus de bénéfices possibles. En ce sens, dans notre rôle de formateur, nous soutenons l’apprenant dans la planification de son projet, quel qu’il soit, en imaginant, avec lui, le nombre d’étapes à passer pour atteindre l’objectif fixé, gardant une fenêtre ouverte sur les notions d’acceptabilité et d’ajustement.
Construire sa propre théorie de vie
Pour illustrer ce propos, évoquons brièvement l’exemple d’une bénéficiaire ayant exprimé le souhait de fonder une famille. Que pouvons-nous mettre en place pour qu’elle se rende compte des responsabilités que le rôle de parents implique ? Comment peut-elle prendre la mesure des conséquences d’une telle décision ? Dans une situation de ce genre, nous pouvons lui proposer une collaboration avec les professionnels de la santé (gynécologue, planning familial, sexopédagogue, etc.), en suivi individuel ou de couple, pour clarifier son désir d’enfants et explorer les notions de droits et devoirs d’être parents. Nous pouvons lui suggérer une participation à un groupe de parole au sujet de la sexualité et de la procréation. Nous pouvons également l’encourager à passer quelques journées avec une maman qui a un enfant en bas âge afin de faire un bilan des éléments positifs et négatifs et ainsi susciter une réflexion sur la notion de parentalité et des compétences impliquées. Toutes ces démarches lui permettront d’évoluer vers une meilleure connaissance de ses capacités à élever un enfant [2].
Considérons un autre exemple, celui d’un bénéficiaire qui souhaite passer son permis de conduire. D’un point de vue physiologique et moteur, il dispose de toutes les facultés requises pour atteindre son désir. Il n’a, toutefois, pas conscience du danger, présente des troubles de la concentration, est hyperactif et impulsif. Nous allons l’encourager à exprimer ses motivations pour comprendre sa demande. Nous allons définir avec lui, les différentes étapes du projet « obtenir un permis de conduire » : cours de samaritains et de sensibilisation, test de vue, permis provisoire et examen. Ce processus l’amènera, lors de chaque étape, à prendre conscience par lui-même des possibilités réelles dont il dispose pour arriver à ses fins.
Cette démarche de formation est dynamique et pragmatique. Le bénéficiaire quitte le registre qui consiste à répondre à une exigence pour se former soi-même. Il construit en quelque sorte, sa propre théorie de vie. Il progresse dans sa capacité à argumenter en développant plus de crédibilité et de légitimité. Il cherche à communiquer pour soi et pour les autres. Il se construit, met des priorités, fait des choix et se positionne en tant qu’acteur et partenaire.
L’individualisation au lieu de l’individualisme
Nombreux sont les résidents qui expriment le souhait de voir les professionnels croire davantage en leurs capacités à expérimenter, réussir, échouer et rebondir. En offrant aux bénéficiaires la reconnaissance de leurs compétences, nous allons favoriser le développement de l’estime de soi, laquelle va susciter, à son tour, la motivation qui elle-même nourrira l’envie et l’espoir de réussir. L’autodétermination n’est intéressante que si la démarche dans son ensemble ouvre des portes sur l’avenir. Comme le spécifie l’un des participants : « Ce cours m’aide à voir mes capacités. Je prends conscience de ma personnalité et de ce que je veux devenir dans le futur. Identifier mes difficultés me permet de préciser ce que je peux améliorer et rattraper. Les formateurs sont là pour nous encourager, pour nous aider à être mieux et à planifier l’avenir. »
Les bénéficiaires sont des personnes en quête d’autonomie et de liberté. Comme tout un chacun, ils revendiquent le droit de faire des choix autonomes et individuels. Les règles communes que nous pouvons mettre en place dans un groupe entravent, parfois, ce processus d’individualisation intégré au concept de l’autodétermination. Individualisation ne veut pas dire individualisme. Alors que l’individualisme reprend la notion de chacun pour soi et implique un repli sur soi, l’individualisation prend en compte les notions de différenciation et d’unicité, mettant en avant les besoins spécifiques d’une personne. [3]
[1] Outil visant le développement de l’autodétermination chez les adolescents présentant un handicap – Association pour l’innovation en Orthopédagogie, université de Mons, Belgique.
[2] Lire aussi l’article « J’aimerais avoir un bébé » dans notre revue.
[3] Deux journées traitant de l’autodétermination se tiendront à Aigues-Vertes et Lausanne en mars 2014
Abordant principalement : « La prise de parole et la place prise par les personnes concernées ainsi que les moyens mis en œuvre pour la faciliter par les institutions, les milieux associatifs et les centres de formation », ces journées dont les dates restent à confirmer seront organisées conjointement par l’AIRHM, la Fondation Aigues-Vertes et l’Association Solidarité-Handicap.