Souris dans ton quartier, le goût de la solidarité

Par Carine Willemin et Valérie Pellet, fondatrices de l’association Souris dans ton quartier, Genève

Cet article est le troisième du dossier Journée d’automne 2024 de l’Artias. Explorant la thématique de l’insertion sociale et professionnelle, ce dossier réalisé en collaboration entre REISO et l’Artias compile les articles et interviews de la majorité des oratrices et orateurs ayant contribué à cette rencontre des acteurs et actrices de l’action sociale en Suisse latine, déroulée le 28 novembre 2024 à Lausanne.

Dans un monde en perpétuelle évolution, où les crises sociales, sociétales et économiques se succèdent, il s’avère plus que jamais nécessaire de redonner du sens à ce qui nous lie. C’est précisément ce à quoi se dévoue l’association Souris dans ton quartier, un collectif de bénévoles qui œuvre à renforcer l’insertion et la cohésion sociale au sein de la région de Trois-Chêne (40’000 habitant·es), dans le canton de Genève.

Répondre au besoin d'entraide

L’aventure débute en octobre 2023, lors d’un groupe de réflexion initié par deux assistantes sociales du centre d’action sociale de Trois-Chêne ^[1]. Le sujet de la discussion est brûlant : « Budget serré : quelles pistes possibles ? ».

Après de nombreux échanges, une nécessité émerge : modifier l’environnement. Le besoin profond d’entraide au travers de contacts humains surgit comme une évidence. Les participant·es sont convaincu·es que les besoins ne sont pas seulement économiques. De ces échanges et à l’initiative de deux participantes naîtra l’association Souris dans ton quartier.

Depuis janvier 2024, ce collectif rassemble des bénévoles ^[2] qui s’engagent activement à fournir des services gratuits destinés aux habitant·es de Trois-Chêne. Ses objectifs sont de développer des transactions solidaires, de contribuer à créer du lien et de promouvoir l’accompagnement de personnes, selon l’adage « aider les autres, c’est aussi s’aider soi-même ». Ce sont les compétences et les connaissances des bénévoles qui donnent vie au projet.

En octobre 2024, l’association a officiellement vu le jour. Si l’élaboration des statuts a été complexe, l'équipe n'a jamais hésité à demander de l'aide lorsqu'il le fallait. La solidarité et le soutien sont essentiels pour avancer et toutes ces qualités, mises bout à bout, servent de carburant au projet. Elles permettent ainsi à Souris dans ton quartier de fonctionner avec un budget proche de zéro. Aujourd’hui, forte de quinze volontaires, elle donne, en moyenne, un coup de main tous les deux jours.

Services proposés par l'association

• Un service de petites réparations à domicile ou à l’extérieur, Proxi-répare.
• Un écrivain près de toi, une assistance pour la rédaction ou la lecture de courriers, une action qui peut être un véritable casse-tête pour quelqu’un·e qui rencontre des difficultés en français ou qui est submergé·e par ses émotions.
• Les Bla-bla parc, des rencontres informelles dans un des nombreux espaces verts de la région. Pour pratiquer le français dans un cadre détendu, hors du domaine administratif ou officiel.
• Les Cafés-sourires, des moments conviviaux autour d’un café, souvent en binôme, afin que les personnes sortent de leur isolement. 

L’ensemble des actions sont guidées par la bienveillance et le non-jugement.

La solidarité au cœur des actions

Les premier·ères bénévoles ont eu l’opportunité de rencontrer un groupe de plus de dix ans d’expérience et issu d’un projet similaire : Onex bénévoles. Articulée autour de trois éléments clés, cette rencontre a aidé l’association à commencer à se façonner en initiant d’abord une réflexion sur l’organisation et les pratiques à adopter, en identifiant des différences en termes de moyens, de compétences et de disponibilités, ainsi qu’en soulignant l’importance de définir un cadre clair pour accompagner et soutenir l’engagement des bénévoles.

La création d’une association telle que Souris dans ton quartier ne va en effet pas de soi et peut comporter des difficultés. L’accompagnement et le soutien de divers partenaires institutionnels — en l’occurrence le centre d’action sociale de Trois-Chêne principalement — est précieux, car il contribue à renforcer la solidarité et à enrichir son réseau, à amplifier ses actions et à mettre en avant les bénévoles.

L'engagement bénévole : une source d'inspiration

L’implication des bénévoles est essentielle pour la pérennité du projet. Chacun·e y trouve sa place et peut apporter sa pierre à l’édifice. Grâce à ce rôle, les personnes se sentent valorisé·es, s’éloignent un peu des stigmates liés au recours à l’aide sociale. Souvent, il est important pour eux et elles d’exprimer leur envie de travailler, que leur situation n’est pas le fruit d’un choix ou le résultat d’une quelconque paresse. L’association leur délivre des « attestations de bénévolat » afin de valoriser leur engagement et de mettre en lumière leurs compétences.

Chaque action menée, chaque rencontre organisée renforce la confiance, tant envers soi qu'envers les autres et son environnement. Être utile, et se sentir utile, donne en effet beaucoup de sens aux personnes qui s’engagent dans l’association. Cette notion d’utilité est perçue de manière consensuelle comme un élément fondamental de vecteur de lien social par l’ensemble des bénévoles : « Le travail, c’est faire quelque chose pour autrui ». Présent depuis le premier jour, Nicola l’exprime ainsi : « Aujourd’hui je me sens chez moi, non seulement dans mon appartement, mais aussi dans mon quartier ». Karhol, elle, témoigne également en ce sens : « Je me sens enfin respectée à ma juste valeur. L’association me donne l’opportunité de mettre en avant mes compétences, sans jugement et avec beaucoup de bienveillance ».

Ces personnes sont fières de contribuer à redonner du sens au terme « vivre ensemble ». Outre leur apport à la vie de leur quartier, elles espèrent que leur engagement inspirera d'autres bénévoles à les rejoindre, en apportant leurs compétences, leurs idées et leurs talents comme précieux bagages.

La créativité et la solidarité transforment les obstacles

Lorsque l’on interroge le collectif sur les difficultés rencontrées au quotidien, les « sourissien·ne·s » préfèrent parler d’une approche créative et solidaire face aux contraintes. Adopter cette philosophie positive transforme leur expérience ; elle aide à transformer les difficultés en occasion d’apprendre et à aborder les défis de façon constructive, que ce soit au sein de l’association ou dans la vie en général. De plus, la situation précaire n'est plus perçue uniquement comme une source d'anxiété, mais devient un terreau fertile pour le courage. Ensemble, les bénévoles se sentent moins isolé·es face à l'incertitude : « Lorsqu’on n’a plus grand-chose à perdre, pas de pression de l’échec, on y va, on ose, on se réinvente chaque jour », rapporte l’une d’entre elles et eux.

Pour soutenir chacun·e dans l’amélioration de son bien-être et de faciliter la performance globale des systèmes (ergonomie), une approche organisationnelle est nécessaire. Une gestion d’équipe transversale nourrit cette dynamique et contribue à réduire les conflits tout en développant la confiance en soi.

Riches de leurs expériences positives, les bénévoles réfléchissent aux développements possibles pour l’association. C’est ainsi que Souris dans ton quartier cherche désormais un local pour assurer une permanence et faciliter les rencontres. L’association prévoit d’y développer aussi des ateliers créatifs et inclusifs. Le collectif souhaite établir des relations durables avec de nouveaux partenaires, tout en renforçant les collaborations existantes. Enfin, il œuvre à la mise en place de budgets et mobilise des dons, sous diverses formes, pour donner vie à ses nombreux projets.

Les membres de l’association sont reconnaissant·es pour les leçons apprises, les rencontres, et pour la générosité reçue à toutes les étapes. Chaque sourire, chaque moment partagé, chaque besoin satisfait, devient une récompense inestimable. Le goût de la solidarité n’est plus seulement un slogan sur le papier, il devient réalité au quotidien.

^[1] Le centre d’action sociale de Trois-Chêne fait partie de l’Hospice général. Il délivre les prestations d’aide sociale aux habitant·es de Chêne-Bougeries, Chêne-Bourg et Thônex.   

^[2] Les bénévoles proviennent de tous horizons géographiques et ne sont pas forcément des bénéficiaires de l’aide sociale.

Lire également :

• Kevin Meyer, «Le groupe, ressource importante à la réinsertion», REISO, Revue d'information sociale, publié le 17 mars 2025
• Magali Donzel, «Écologie et lien social, étape vers la réinsertion», REISO, Revue d'information sociale, publié le 11 mars 2024
• Marie Lequet et Marion Repetti, «Nourrir durablement, un projet pilote à Sion», REISO, Revue d'information sociale, publié le 6 novembre 2023
• Anna Perrenoud, «De bénéficiaires de l’aide sociale à bénévole», REISO, Revue d'information sociale, publié le 28 novembre 2022
• Marie Torres et Yaël Liebkind, «Des cercles d’écoute au service du bien-être social», REISO, Revue d'information sociale, publié le 7 juillet 2022