Santé sexuelle et prévention pour les migrant·e·s
La prévention VIH-SIDA et la promotion de la santé sexuelle auprès des populations migrantes et vulnérables exige des modes spécifiques d’intervention. Eclairages et pistes d’action à partir d’une expérience menée à Genève depuis dix ans.
Par Noelia Delicado, MScSI, et Denise Wetzel, infirmières spécialisées en santé communautaire, chargées de projet, Groupe sida Genève
Le Programme national « VIH et autres Infections sexuellement transmissibles » 2011-2017 de l’Office fédéral de la santé publique définit une stratégie nationale. Un de ses principaux objectifs est de développer «des mesures efficaces et innovantes de la prévention structurelle et comportementale afin de réduire le risque de transmission du VIH et des autres IST critiques pour la santé publique» [1]. Des actions spécifiques doivent être développées pour atteindre les populations les plus vulnérables et les plus exposées, dont font partie notamment les personnes migrantes en provenance de pays à haute prévalence et/ou en situation de précarité.
L’Office fédéral reconnaît la nécessité de porter un intérêt particulier envers ces personnes, souvent invisibles, qui ne bénéficieraient pas d’un accès facilité aux actions de prévention ainsi qu’au système de soins. Face à cette problématique, un cadre a été posé pour planifier les actions en prévention VIH/IST:
Le contexte migratoire influe souvent sur la santé, de façon indirecte, en se répercutant négativement sur la situation personnelle, sociale, économique, politique et juridique des personnes migrantes. A cela s’ajoutent parfois des expériences de violence et d’autres traumatismes dans le pays d’origine ou pendant la fuite. Ces facteurs peuvent entraîner un comportement plus risqué en matière de santé et compliquer l’accès aux offres de soins en raison par exemple de difficultés de compréhension ou d’un statut de séjour précaire. [2]
Les circonstances dans lesquelles les personnes naissent et grandissent ainsi que les systèmes auxquels elles peuvent faire recours en cas de maladie ont un impact important sur leur santé. Les personnes en provenance de pays à forte prévalence de VIH et d’autres IST sont plus souvent concernées par le risque d’infection et ceci est constaté même si elles ne se sont pas infectées dans leur pays d’origine. En effet, à leur arrivée en Suisse, d’autres facteurs de vulnérabilité s’ajoutent au contexte migratoire, tels que la précarité économique et le faible niveau de compétences en santé. Ainsi, la volonté actuelle de santé publique est de mettre en place des actions de prévention recouvrant non seulement des individus, mais principalement des groupes cumulant divers facteurs de vulnérabilité en facilitant l’accès au dépistage.
Dépistage et entretien individualisé
En 2006, une consultation de Conseil et test volontaire du VIH/SIDA pour personnes migrantes précaires a été créée au sein du Programme santé migrants dans le cadre d’un projet pilote cofinancé par les Hôpitaux Universitaires de Genève, l’Office fédéral et la Direction générale de la santé du canton, en collaboration avec le Groupe sida Genève [3].
Le concept est de lier un test de dépistage du VIH à un entretien de prévention individualisé. La consultation implique le volontariat et le consentement éclairé de la personne. Le test de dépistage est gratuit. Les entretiens sont réalisés par des infirmières spécialisées, qui reçoivent les patients de manière confidentielle, sur un mode anonyme s’ils le souhaitent. Une attention particulière est portée à la qualité de la communication : le message d’information est individualisé selon le niveau d’éducation et les origines socio-culturelles du patient. En cas de séropositivité, la personne bénéficie d’une prise en charge rapide et adéquate par le réseau socio-sanitaire [4]. Si nécessaire, les infirmières sollicitent des interprètes ayant bénéficié d’une formation spécifique afin d’être à l’aise pour traduire des discours concernant la sexualité. Le but est d’aborder ce thème de manière directe, sans tabou ni a priori, tout en respectant la culture et les convictions des patients.
Le conseil accompagnant le test permet une discussion approfondie sur les conduites à risque en matière de VIH/sida et une mise à jour des connaissances sur le sujet auprès des populations migrantes vulnérables. De nombreuses personnes n’ont jamais bénéficié de ce type de discussion avant leur arrivée en Suisse. La confidentialité et l’intimité de l’entretien permettent d’aborder de manière plus large les questions en lien avec la sexualité. Ces consultations sont l’occasion de discuter des représentations sur la sexualité, d’aborder des sujets comme l’homosexualité ou le multiple partenariat, les pratiques sexuelles, les risques et les moyens de protection.
Education à la santé sexuelle
Il arrive que des personnes n’aient jamais vu un préservatif ou ne sachent pas comment l’utiliser, cette consultation devient alors un temps et un lieu dédiés à un accompagnement éducatif pour une utilisation autonome. Les moyens de contraception sont abordés avec les femmes mais également avec les hommes ainsi que les adresses pour avoir accès à la pilule du lendemain si nécessaire.
Les hommes ont souvent peu l’occasion de partager leurs ressentis sur ces questions, il n’est pas rare qu’ils expriment la pression qu’ils ressentent face à la société actuelle quant aux performances attendues lors de rapports sexuels. Cette discussion permet ainsi de rassurer les patients, de dédramatiser et aussi d’apporter des explications au regard de leurs perceptions ou de leurs croyances. La question du plaisir lors des relations sexuelles est soulevée afin de porter un regard attentif à l’expérience vécue lors de rapports. L’infirmière est également sensibilisée aux expériences plus douloureuses ou contraintes de rapports sexuels et aborde ce sujet si la personne souhaite en parler.
Entre janvier 2012 et décembre 2016, 1’414 consultations ont été réalisées et neuf cas de séropositivité diagnostiqués. La majorité des entretiens ont été effectués auprès de la population masculine (83%), les demandes d'asile concernant davantage de jeunes hommes célibataires. L’origine des patients depuis le début du projet étant principalement l’Afrique subsaharienne (entre 60 et 75% selon les années) montre la pertinence de développer ces dispositifs auprès des personnes cumulant divers facteurs de vulnérabilité afin de toucher les publics principalement concernés [5].
Proximité de l’accès aux soins
La proportion de personnes sans assurance maladie se déplaçant à la consultation a peu évolué et n’a représenté que 18% en 2016. Face à ce problème, une antenne a ouvert depuis octobre 2016 dans les locaux de la Consultation ambulatoire et mobile de soins communautaires. Elle rapproche les infirmières des populations les plus vulnérables en termes d’accès aux soins afin de faciliter l’accès au dépistage. Sur une période de huit mois, 107 personnes ont ainsi bénéficié d’un entretien et de la possibilité de faire un test VIH et autres IST. La population plus largement rencontrée est d’origine latino-américaine (56%) suivie de l’Asie (12%), de l’Afrique de l’Ouest (12%), puis de la région du Maghreb (10%), atteignant ainsi des personnes hors du domaine de l’asile ne se déplaçant pas jusqu’à la consultation [6].
Les acteurs du Groupe sida Genève rencontrent cependant dans leurs actions de prévention un nombre important de personnes migrantes précarisées qui ont des difficultés à se rendre dans une structure sanitaire. Cet aspect s’explique notamment par la méconnaissance de leurs droits en terme d’accès aux soins, par la peur d'être contrôlées sur leur identité ou par le temps passé dans les déplacements jusqu’aux lieux de consultation et l’attente d’un rendez-vous. Selon une enquête menée sur des actions de proximité auprès des usagers (N=96): 40% des personnes rencontrées n’avaient pas d’assurance maladie, 48% des personnes ne savaient pas où se rendre pour faire un test, 24% ne s’étaient jamais faites dépistées et 22% avaient fait leur dernier test il y a plus de trois ans.
De novembre 2011 à mai 2012, Aspasie, l’association défendant le droit des travailleuses/eurs du sexe, le Groupe sida Genève et le Programme santé migrants, en collaboration avec le Checkpoint de Dialogai, ont mené conjointement un projet pilote de consultation auprès des travailleuses/eurs du sexe. Ces personnes avaient répondu favorablement à l’offre, elles s’étaient montrées intéressées et présentes en nombre lors des actions confortant l’hypothèse qu’un dépistage gratuit, à proximité du lieu de vie ou de travail du public cible, facilite largement l’accessibilité à la prévention [7]. Depuis mars 2017, une nouvelle consultation de proximité a ainsi vu le jour, offrant un dépistage gratuit du VIH, de l’hépatite B, de la syphilis, de la gonorrhée et des chlamydias. La consultation est ouverte deux soirs par mois et a rapidement atteint le seuil maximum de consultations possibles.
Compétences en santé pour tous et toutes
L’objectif de l’ONUSIDA de mettre fin à l’épidémie d’ici 2030 porte un focus important sur l’égalité des chances en santé des individus à travers le monde en termes de dépistage et d’accès au traitement. En 2013, le Conseil de coordination de ce programme de l’ONU a déclaré avoir l’intention de soutenir les efforts des pays et des régions pour déterminer de nouvelles stratégies. Ses objectifs pour l’horizon 2020 : 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, 90% de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable, 90% des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée [8]. La nécessité d’offrir un dépistage de proximité accessible à la population et principalement aux personnes migrantes précaires et vulnérables répond à ce défi.
Ainsi, la volonté actuelle est d’adapter le concept du Conseil et test volontaire du VIH/SIDA migrants aux besoins et au contexte spécifique des personnes vulnérables qui ne se rendraient pas jusque dans une structure de soins en offrant un dépistage gratuit du VIH et autres IST à proximité de leurs lieux de fréquentation. Il s’agit de mettre en place une offre de dépistage complémentaire à l’offre des dispositifs classiques existants. En sus des projets mis en place, d’autres actions de proximité sont actuellement en discussion pour développer cette offre à un public de populations migrantes plus large. Faciliter l’accès des personnes étrangères vulnérables aux offres de dépistage et à l’information concernant leur santé sexuelle favorise l’augmentation de leurs compétences en santé et reconnaît pleinement leur place au sein du système de soins.
[1] Office fédéral de la santé publique [OFSP]. (2012) Programme National VIH et autres Infections sexuellement transmissibles (PNVI) 2011–2017. Berne : OFSP
[2] OFSP (2016) Cadre pour la planification d’actions en prévention VIH/IST - Migration et facteurs de vulnérabilité 2016+ (cadre MV). Berne : OFSP
[3] Pérennisé depuis janvier 2009, ce projet est maintenant financé par le Groupe sida Genève.
[4] Wetzel, D., Jeannot E, Durieux S. (2016) Niveau de connaissances et comportement en matière de prévention du VIH/sida au sein d’une population de migrants précaires à Genève. Document inédit, GsG/HUG. Genève
Wetzel, D. (2012). Connaissance et comportements en matière de VIH/sida auprès des migrants précaires à Genève - L’expérience du VCT migrants - mémoire certificat de sante communautaire 2010-201, Institut de médecine sociale et préventive, Université de Genève, Faculté de Médecine Genève
[5] Wetzel, D. (2016) Projet conseil et dépistage VIH pour les personnes migrantes, présentation au Forum VIH/IST 2016, OFSP.
[6] Wetzel, D. & Delicado, N. (2017) Statistiques et activités du VCT migrants GsG/HUG. Genève : Rapport d’activité 2016
[7] Wetzel, D., With S., & Durieux, S. (2014) Mise en place d’une consultation d’information sur les IST et de dépistage du VIH pour les personnes exerçant la prostitution à Genève, rapport d’activité de la phase pilote Novembre 2011- Mai 2013. Genève : Aspasie, GsG, PSM (HUG).
[8] ONUSIDA (2014). 90-90-90 Une cible ambitieuse de traitement pour aider à mettre fin à l’épidémie du sida. Genève : ONUSIDA
Cet article appartient au dossier Inclure les étrangers
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Noelia Delicado et Denise Wetzel, «Santé sexuelle et prévention pour les migrant·e·s», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 10 août 2017, https://www.reiso.org/document/1998