Femmes immigrées et implication citoyenne
Les chemins de l’intégration passent entre autres par l’implication citoyenne et le bénévolat. Expériences vécues par des femmes migrantes dans les centres de rencontres et d’échanges interculturels du canton de Neuchâtel.
Par Danielle Othenin-Girard, psychologue, membre du Comité de RECIF, Neuchâtel
Depuis une vingtaine d’années, l’association RECIF [1] poursuit un travail de réflexion et de mise en place de projets favorisant l’implication des femmes migrantes dans son fonctionnement. Deux objectifs complémentaires sous-tendent cette réflexion: d’une part tirer bénéfice de la richesse de l’interculturalité et de l’apport des expériences migratoires non seulement dans la rencontre et le partage, mais également dans la pratique du bénévolat, l’offre de prestations dans les deux centres, situés à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds, et la prise de décisions ; de l’autre, permettre une sensibilisation des femmes migrantes à une citoyenneté active, utile à la fois à la société d’accueil et à leur propre insertion sociale.
Aujourd’hui, ce processus d’intégration participative progresse dans les différents secteurs d’activités : formation, animation, Espaces-Enfants. L’association est d’ailleurs connue et reconnue comme un lieu qui encourage les participantes à faire valoir leurs compétences.
Cet article décrit nos objectifs et hypothèses, montre notre cheminement, cite quelques projets en cours et apporte des témoignages de migrantes.
A la base : un fonctionnement participatif
RECIF est née il y a vingt-trois ans de l’initiative d’un petit groupe de femmes suisses et étrangères, travaillant dans une étroite collaboration interculturelle. L’élargissement rapide des activités et la croissance importante de la taille de l’association ont nécessité le renforcement de la petite équipe salariée et la structure s’est forcément complexifiée. Comment recréer, dans le contexte actuel, un fonctionnement plus participatif ?
Précisons d’emblée que les femmes représentent près de la moitié de la population migrante résidant dans le canton de Neuchâtel. 600 d’entre elles (et 250 jeunes enfants), environ, fréquentent les deux centres associatifs; elles sont nombreuses à faire preuve de réelles compétences. Pourtant, s’intégrer dans un réseau social plus large reste parfois un défi et l’accès à l’activité professionnelle s’avère très souvent extrêmement difficile. Comment mieux aider ces femmes afin qu’elles parviennent à prendre leur place, déjà au sein de l’association, puis à l’extérieur ? A les entendre, ce qui les freine avant tout : un «manque de confiance», souvent une «perte de l’estime de soi à travers le vécu migratoire», «la peur de devoir prendre la parole en public». Par contre, ce qui les encourage beaucoup : pouvoir vivre des «étapes de participation» et recevoir de la reconnaissance, ainsi que le montrent les trois témoignages de Roxana, Luisa et Souad.
Agir le plus tôt possible
Le rôle de RECIF est de recevoir et d’accompagner les femmes migrantes principalement au début de leur intégration. L’association est donc bien placée pour introduire très tôt cette idée de participation et montrer aux nouvelles arrivées que déjà dans cet espace d’apprentissage et de rencontre, il leur est possible de devenir actives, de prendre des initiatives et d’apporter quelque chose d’elles-mêmes.
Le secteur animation, aujourd’hui très développé, offre un environnement particulièrement propice à un tel travail de sensibilisation. Ses activités d’accueil informel (Cafés bla-bla), moments mères-enfants ou encore ses «soirées-partage» sont autant d’occasions de valoriser le fait que les participantes ont librement choisi de venir, de les encourager à dire ce qu’elles savent faire ou aimeraient faire et apprendre, de voir ensemble comment utiliser leurs idées, de faire place à leurs compétences et de réaliser des co-animations. Ainsi est née l’idée d’organiser des après-midis «apprentissage du vélo», ou encore de mettre sur pied un groupe-communication pour les informations à l’interne. Ces expériences aident à prendre confiance, à se sentir utiles et peut-être à se découvrir un intérêt pour le bénévolat.
Poser les bases d’une citoyenneté
Cette dynamique s’est mise en marche notamment grâce au projet «Migrantes et citoyennes actives», financé par la Commission fédérale pour l’intégration des personnes étrangères. Un des principaux buts de ce projet est de favoriser «l’exercice actif d’une citoyenneté de base», c’est-à-dire favoriser l’expression orale des participantes ainsi que la confiance dans leur opinion et savoir-faire, les aider à les rendre visibles. C’est aussi créer l’envie de se responsabiliser face à soi-même et aux autres. Un tel état d’esprit consolide le sentiment d’appartenance à un groupe, avec en retour des effets bénéfiques sur l’apprentissage de la langue, voire sur la motivation pour acquérir d’autres connaissances.
Fait partie également de cette ouverture sur la citoyenneté l’encouragement au bénévolat. Il s’agit de faire connaître son utilité, d’expliquer en quoi il est un acte de citoyenneté et d’intégration. Actuellement, le mouvement s’est bien ancré et l’équipe d’intervenantes peut vraiment être qualifiée d’interculturelle. C’est aussi un atout pour les bénévoles suisses : la séparation entre «elles et nous» s’atténue, les regards mutuels s’enrichissent, et on réalise quotidiennement ce que peut être l’apport spécifique des migrantes pour l’intégration. Fatima, bénévole à l’Accueil du centre de La Chaux-de-Fonds parle de son ressenti : «Dans ce travail, je me sens vraiment à ma place. Je peux utiliser toutes mes expériences. Quand les femmes arrivent, elles ont peur de parler et d’être jugées. Elles disent ‘c’est le social qui me demande de venir’, mais n’arrivent pas à savoir vraiment ce qu’elles veulent. Elles restent fermées sur elles-mêmes. Beaucoup sont arabophones. Quand elles voient que je comprends leur langue et que je viens d’un pays proche de leur culture, aussitôt elles se détendent. Je peux alors mieux leur expliquer les cours, comment ça fonctionne, montrer les autres activités qui sont organisées, les encourager à découvrir et surtout à parler avec les autres femmes. Et cela commence à prendre du sens pour elles.» [2]
Les déléguées choisies par les migrantes
Un Forum, moment d’échanges entre l’équipe salariée et les participantes, est organisé chaque année dans chacun des deux centres. Le but est que les apprenantes puissent prendre la parole, s’intéresser à la marche de l’association, notamment se motiver pour venir aux assemblées générales. Comment encourager les femmes migrantes à davantage participer à ces rencontres ? Anne-Rebecca Bigler, responsable du secteur animation, explique : «Ces forums créés uniquement à l’intention des femmes migrantes existent depuis plusieurs années. On procédait par simple invitation. Dans les faits, très peu de femmes venaient. Se risquaient principalement celles qui comprenaient bien le français, donc non représentatives de l’ensemble des participantes. Nous avons repensé notre manière de faire et adopté une approche plus participative et mieux adaptée pédagogiquement aux différents niveaux de langue. Afin de toucher un maximum de personnes, l’idée est d’utiliser le cadre des cours de français pour informer sur les buts de ces forums. Le matériel à disposition aide les migrantes à exprimer leurs besoins face à l’association. De plus, nous faisons appel à l’intermédiaire de déléguées que les migrantes se choisissent entre elles.»
La tâche confiée à ces déléguées est de faire connaître les souhaits des participantes, puis de retransmettre les débats dans le cadre des cours auxquels elles participent.
L’expérience est récente, mais elle apporte déjà des résultats intéressants. Toutefois elle n’a pas encore permis une plus grande participation et prise de parole des participantes lors des assemblées générales, même parmi les déléguées qui sont pourtant expressément invitées. L’hypothèse est que la crainte de devoir s’exprimer en public, ou simplement de se retrouver dans un cadre très formel, au milieu d’un grand groupe de personnes dont beaucoup sont inconnues, constitue encore un frein important.
L’équipe du Comité mène également une réflexion afin d’intégrer les femmes migrantes en leur donnant davantage de chances et de motivations pour un engagement sur le long terme dans les tâches du Comité. Le problème actuel, bien connu des comités bénévoles, est de devoir consacrer toujours plus de temps à l’administratif et à la gestion, cela au détriment de la place laissée à la réflexion, à l’échange informel et à l’apport d’expériences de trajectoires de vies. Inclure des femmes migrantes est donc un excellent moteur de changement !
En tout cas, les témoignages recueillis démontrent le rôle fondamental du soutien associatif dans un chemin menant à la citoyenneté active et à l’intégration, y compris professionnelle.
Roxana, d’origine bolivienne
«Au début, le plus difficile, c’est la différence avec la culture, la façon de parler, le rythme, l’intonation de la voix, il faut s’habituer à la manière d’être de l’autre, et au début ça bloque. Ce que l’association m’a apporté d’essentiel, c’est une aide pour oser prendre la parole en français, devant les autres. C’est également ici que j’ai pris conscience qu’il ne faut pas toujours vivre dans le monde d’où l’on vient ; surtout ne pas rester dans la nostalgie et la plainte. Il faut aller vers une nouvelle vie. La première chose que j’ai faite, c’est de suivre le cours ‘Travail au féminin’, cela m’a aidée pour prendre des responsabilités dans ma famille, comme la tenue des comptes. C’était un acte d’autonomie. Puis on m’a proposé de collaborer à l’animation d’une ‘Soirée-partage’, j’ai eu beaucoup de plaisir, j’ai eu envie de faire plus et je me suis alors engagée comme bénévole régulière à l’Espace-Enfants. Puis de bénévole, je suis devenue salariée, en ayant mon premier job comme co-animatrice de la formation ‘Aide-ménagère’.»
Depuis, Roxana, tout en gardant son activité associative, a cherché du travail à l’extérieur. Actuellement elle occupe un 40 % dans une crèche de la ville comme aide-éducatrice :
«Après tout ce que j’ai vécu, appris, reçu ici, j’ai eu le besoin, le courage de voir ailleurs. Cette longue expérience m’a poussée à avancer, m’a donné la motivation pour faire ce pas.»
Luisa, d’origine espagnole
«Au début, ce qui était très dur, c’était de voir les réactions face à mon accent, en particulier quand je devais parler avec les maîtresses d’école de mes enfants. Quand j’avais le moral trop bas, l’équipe m’a beaucoup aidée. C’est un lieu où j’ai pu être active et être reconnue. Un jour, j’ai proposé de faire un atelier de couture, et plus tard un cours d’espagnol. Cela a tout de suite été accepté et cela m’a donné beaucoup de courage. Ici, c’est un monde social, j’y ai découvert une conscience sociale, en voyant toutes ces personnes qui donnent de leur temps ! Je n’aurais peut-être pas découvert cela si j’étais restée en Espagne, dans mon ancien travail. Aujourd’hui, j’ai la chance de travailler comme comptable salariée à RECIF, mais aussi dans deux autres associations. J’ai retrouvé mon métier et suis heureuse de le faire pour des valeurs humanistes.»
Souad, d’origine marocaine
«Je connaissais RECIF, mais comme je savais bien le français, je n’ai pas cherché à suivre des cours. Puis j’ai eu besoin de sortir de chez moi, de voir du monde. J’ai alors découvert toutes les activités, j’ai donné des coups de main pour différentes animations, et un jour j’ai eu envie de me proposer comme enseignante bénévole. Je me sentais capable de faire cela. Si j’étais restée au Maroc, j’aurais terminé mon parcours universitaire et enseigné. Mais avec mon vécu, j’avais besoin de reconnaissance. Il me fallait m’accrocher à quelque chose et le centre était le lieu idéal pour me réaliser. L’équipe m’a fait confiance et j’ai appris le sens des responsabilités, l’importance du donner-recevoir.»
Il y a quelques mois, Souad a choisi de rejoindre le comité :
«En tant que migrante je pense que je peux apporter des idées nouvelles, utiles à l’association, aider le comité à avoir un autre regard que seulement suisse. Mais ce n’est pas seulement pour apporter mon expérience, c’est aussi pour l’approfondir, mieux connaître le monde associatif qui se donne pour les minorités dont je suis issue. Il ne faut pas rester en marge de la société d’accueil, mais apprendre à connaître les mœurs et ainsi construire des ponts de traverse.»
[1] RECIF, centre de rencontres et d’échanges pour femmes migrantes. Site internet
[2] La revue REISO adapte légèrement les citations orales pour leur transcription écrite.
Cet article appartient au dossier Inclure les étrangers
Votre avis nous intéresse
Comment citer cet article ?
Danielle Othenin-Girard, «Femmes immigrées et implication citoyenne», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 28 août 2017, https://www.reiso.org/document/2054