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Exclusive, l’écriture inclusive?

Lundi 08.04.2024
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Décriée ou encensée, l’écriture inclusive fait l’objet de vifs et nombreux débats. Parmi les enjeux de cette évolution de l’usage de la langue française figure une meilleure représentativité des personnes composant la société.

Par Valérie Vuille, décadréE, et Céline Witschard, Vision Positive

Souvent mal définie, l’écriture inclusive est réduite à des outils décriés et accusés de restreindre l’accessibilité des textes. Les tests effectués et des études en cours montrent cependant que les problématiques de lectures rencontrées sont surmontables. L’un des enjeux à un emploi plus largement accepté du langage inclusif réside donc dans la combinaison entre accessibilité et représentations inclusives des textes.

En français, il s’avère en effet difficile, à l’oral comme à l’écrit, de ne pas désigner les personnes en les renvoyant au masculin ou au féminin. Le français reste une langue genrée, contrairement à d’autres moins ou pas genrées, comme l’anglais ou le perse. De plus, la grammaire actuelle contribue à entretenir le sexisme marquant la société contemporaine. En témoigne, la fameuse règle de l’accord au masculin universel affirmant que « le masculin l’emporte sur le féminin », laquelle invisibilise et infantilise les femmes. Et si certaines personnes prétendent que le masculin remplace ou vaut pour le neutre en français, les récentes études en psycholinguistique montrent que le masculin se lit uniquement au masculin [1].

Depuis plusieurs décennies, des solutions sont ainsi envisagées pour pallier ce problème et représenter, dans le langage et l’écriture, toute personne à égalité. Dite épicène ou inclusive, cette langue propose des techniques ou de nouvelles règles, que l’on retrouve sous forme de directives dans de nombreuses institutions romandes. Ainsi, des villes, universités, cantons ou établissements publics et privés déclarent désormais inadéquat de privilégier le masculin [2].

En réponse à ces positionnements, des interventions politiques et médiatiques condamnent l’écriture inclusive en pointant du doigt un manque d’accessibilité à la lecture pour les personnes déficientes visuelles ou dyslexiques. Dans ces discours, l’écriture inclusive y est souvent réduite au seul usage de la ponctuation. Or, de multiples techniques existent et il s’avère erroné de la réduire à un seul outil. Les procédés passent de la formulation des noms de métier et d’activité au féminin, à l’usage de terminologies neutres et englobantes, jusqu’à l’ajout des terminaisons féminines par l’utilisation de ponctuation. Le terme « écriture inclusive » regroupe ainsi l’ensemble des techniques rédactionnelles qui visent à pallier aux biais de représentations genrés.

Les différentes techniques d’écriture inclusive, si elles peuvent se mixer, n’ont pas toutes les mêmes conséquences sur l’accessibilité des textes. Plus encore, les problématiques d’accessibilité sont complexes et multiples. Les difficultés rencontrées par une personne déficiente visuelle ne seront en effet pas nécessairement identiques aux à celles d’une personne porteuse d’une singularité intellectuelle ou d’une dyslexie. Il importe donc de tenir compte de cette diversité.

La synthèse vocale, un outil à prendre en compte

Les personnes aveugles ou malvoyantes sont nombreuses à utiliser des moyens auxiliaires pour avoir accès à l’information écrite, dont le système le plus répandu est l’usage de la synthèse vocale. Ces logiciels sont paramétrables, mais particulièrement complexes à configurer dans le détail, d’autant qu’ils sont majoritairement utilisés par un public âgé (plus de 90% des personnes déficientes visuelles ont plus de 65 ans), qui ne dispose pas nécessairement de connaissances numériques suffisantes.

DécadréE et Vision Positive ont mené plusieurs tests entre 2021 et 2023 utilisant plusieurs synthèses vocales et différentes formes de ponctuation. Ils montrent que les synthèses vocales réagissent mal à l’ajout de ponctuation. En effet, le point médian, souvent sollicité dans les directives d’écriture inclusive, est toujours lu par la voix de synthèse. Ainsi, comme le texte est systématiquement entrecoupé par cette information parasite, l’accès à l’information est fortement entravé, voire rendu impossible.

Il en est de même des barres obliques ou des parenthèses. Le tiret ou le point en bas, considérés comme de la ponctuation classique et non-significative, peuvent être tus. Cependant, la synthèse ne reconstruira pas le doublet en entier. Des « es », « trice », « ère » non reliés aux mots sont ainsi prononcés et entravent la compréhension du lectorat.

Au contraire, les autres outils d’écriture inclusive posent rarement des problèmes. Les doublets, comme « lecteur et lectrice », et même les néologismes neutres « lecteurices » ou « iel » sont prononcés adéquatement par la synthèse vocale. Une personne avertie ne rencontrera ainsi aucun problème de compréhension.

Les doutes quant à la dyslexie

La situation est plus complexe en matière de dyslexie, dont il existe plusieurs formes. En plus, chaque personne aura mis en place des stratégies de lecture différentes afin de s’adapter à ses difficultés. Il est ainsi faux de prétendre unilatéralement que l’écriture inclusive péjore la lecture des personnes dyslexiques, et aucune étude ne le prouve actuellement. A l’heure actuelle, même l’usage de polices spécialement conçues pour les personnes dyslexiques, telle qu’Opendyslexic, ne montre pas d’amélioration significative de la lecture pour les enfants dys par exemple. [3] Il se peut cependant que l’ajout de l’écriture inclusive constitue une entrave lors de l’apprentissage de la lecture.

La non-binarité une question ouverte

Différents tests menés par les associations précitées montrent ainsi qu’une écriture inclusive, centrée sur la visibilisation des femmes, peut tout à fait se lier avec une préoccupation de l’accessibilité. Cependant, les femmes ne sont pas les seules personnes à être invisibilisées par l’usage actuel de la langue française. L’invisibilisation que subissent les individus non-binaires s’avère plus importante.

Les personnes non-binaires ne se sentent ni exclusivement homme, ni exclusivement femme. Elles peuvent être entre les deux, un genre au-delà du féminin et du masculin, un « mélange » de genres ou aucun genre. La non-binarité regroupe un nombre important d’identités [4]. Or le français en tant que langue genrée, ne reconnaissant classiquement que le masculin et le féminin, ne donne pas d’existence aux personnes non-binaires.

Des outils existent pourtant. Les néologismes neutres, tels que « lecteurices » ou « rédacteurices », tout comme le néo-pronoms « iel », « ceulles » ou « elleux » permettent de réintroduire la notion de « neutre » en français. Par ailleurs, une nouvelle terminaison, le « x », contribue également à visibiliser les personnes non-binaires. L’usage de cette terminaison est multiple. Elle peut en effet précéder ou suivre le féminin, avec ou sans ponctuation.

Ces techniques, moins répandues, peuvent entraver l’accessibilité à un contenu. Si elles ne sont pas connues du lectorat, qu’il soit empêché de lire ou non, elles peuvent soulever des interrogations et de l’incompréhension. Elles questionnent également en ce qui concerne l’usage des synthèses vocales. Sans ponctuation entravante, elles sont pourtant très bien comprises et lues par les logiciels. Ainsi « collaborateurices », « lecteurices », « employéexs » sont lus correctement. Il serait donc faux de condamner ces techniques d’un premier abord.

Tout comme pour les femmes, l’existence et la visibilisation dans la langue représente en effet un outil essentiel pour conscientiser et respecter l’existence des personnes non-binaires dans la société. Ainsi, la langue constitue un outil essentiel de promotion de leur santé en raison du fait que les enjeux et les violences qu’elles traversent au quotidien sont reconnus et mis en lumière.

Les personnes non-binaires peuvent ainsi se projeter à travers une langue neutralisée et des formulations englobantes et épicènes. Il convient également de s’adresser à elles, avec le minimum d’égard et à égal, en utilisant les pronoms et les accords souhaités, comme cela est la norme pour les personnes cisgenre.

Des défis qui persistent

Une chose est sûre : l’inclusivité et l’accessibilité ne peuvent pas être mises en place sans effort ni compromis. Produire une communication respectueuse, accessible et inclusive relève ainsi d’une compétence à acquérir et à développer au quotidien. De manière générale, il s’agit de se questionner au sujet de son public, en évitant de réduire les individus à une seule caractéristique. En effet, l’accessibilité concerne tout le monde à un moment donné ou un autre de sa vie : chacun et chacune peut se trouver dans un pays étranger, à la recherche d’une information non transmise de manière simple et claire. Les difficultés de la vue, liées à l’apparition de troubles visuels liés à l’âge ou à la fatigue visuelle, concernent également, potentiellement, chaque personne.

Pour accéder à une société plus égalitaire et respectueuse de toutes les individualités, la mise en place et l’usage d’une langue à la fois inclusive et accessible se révèle essentiel. Des solutions sont possibles, malgré les difficultés. Preuve en est, cet article a été rédigé de manière inclusive sans ponctuation ni néologisme, grâce aux reformulations et aux mots épicènes.

DécadréE est un Institut de recherches et de formations et laboratoire d’idées sur l’égalité dans les médias. Il propose des outils, des formations et de l’accompagnement destinés aux professionnel·les des médias et de la communication, s’engageant ainsi pour la construction d’une presse plus égalitaire. Il œuvre aussi vers un changement de paradigme dans la communication linguistique et visuelle.

Vision Positive est une entreprise spécialisée dans le conseil, la formation et l’accompagnement de projets autour de la communication accessible, mais aussi de la médiation culturelle accessible et de l’accueil des publics à besoins particuliers et des enjeux liés à l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société. Vision Positive et sa fondatrice et directrice Céline Witschard, malvoyante de naissance, ancienne journaliste RP et enseignante, s’engagent pour une société inclusive et plurielle à tous les niveaux.

[1] Pascal Gygax, Sandrine Zufferey, Ute Gabriel, Le cerveau pense-t-il au masculin ?, Le Robert, 2021.

[2] On peut notamment citer la directive de l’Université de Genève ou celle des HUG, la directive de l’Université de Lausanne, de l’EPFL, ou encore de l’Université de Neuchâtel pour n’en citer que quelques-unes. 

[3] LE GOA ËC, Alix, Effet de l’utilisation de la police OpenDyslexic sur la précision de lecture d’enfants dyslexiques de 9 à 12 ans : Réplication de l’étude de Wery et Diliberto (2016), Mémoire de grade Master 2 en orthophonie, Université Claude Bernard Lyon 1, 2018.

[4] Définition provenant du lexique de décadréE mis en place en partenariat avec la fédération genevoise des associations LGBT.

Comment citer cet article ?

Valérie Vuille et Céline Witschard, «Exclusive, l’écriture inclusive?», REISO, Revue d'information sociale, publié le 8 avril 2024, https://www.reiso.org/document/12281

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