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La présence émotionnelle repose sur les femmes

Jeudi 15.06.2023
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Répondre aux demandes, implicites et explicites, de soutien émotionnel de ses parents par téléphone, dans un contexte transnational, s’inscrit comme un travail genré, ainsi que le montre une recherche exploratoire menée en Suisse.

Par Myrian Carbajal, professeure HES, Haute école de travail social, Fribourg (HES-SO)

« Ma mère (...) attend plus de moi (...) que de mes frères (...) [1] en ce sens que je m'inquiète plus, que j'appelle plus (...) Les soins [matériels], (...) heureusement mes parents n'en ont pas besoin, ils sont totalement indépendants et autonomes (...) Même si je suis loin, je suis une femme et je parle plus à ma mère que mes frères [qui sont au Pérou] » (Paula, 39 ans, résidant en Suisse depuis 15 ans).

Ces propos ont été recueillis dans le cadre d'une recherche exploratoire et qualitative sur les stratégies de soins transnationaux utilisées par les personnes migrantes d’origine péruvienne vivant en Suisse et au Chili (pays d'accueil). La manière dont leurs parents au Pérou (pays d'origine) perçoivent et vivent les soins prodigués par leurs enfants migrants (voir Carbajal et al., 2023 ; Cavagnoud et al., 2023) figurait également dans les objectifs de ce travail. Cet article se concentre sur l'analyse de quatorze entretiens individuels (neuf femmes et cinq hommes) menés en Suisse et ne rapporte que le point de vue des enfants migrants. Parmi ces personnes, âgées de 39 à 59 ans et résidant en Suisse depuis 10 à 31 ans, onze ont la nationalité suisse, les autres possédant un statut juridique stable (permis C). La majorité d’entre elles sont des universitaires et une minorité a suivi des programmes de formation professionnelle dans des institutions suisses.

Comme Paula, péruvienne et biologiste dans un centre de recherche en Suisse, d'autres femmes interrogées ont exprimé le fait que leur mère [2], restée au Pérou, attendent d'elles, en tant que filles, une présence émotionnelle plus importante que celle de leurs frères, qu'ils soient migrants ou non. Cette présence émotionnelle s’exprime, lorsque l’on est éloigné physiquement, par des appels téléphoniques réguliers. Le fait d’appeler ses parents, notamment la mère, permet en effet d’exprimer de l’affection, du souci pour leur bien-être, la volonté d’accompagner leurs préoccupations et de répondre au mieux à leurs demandes implicites et/ou explicites de soutien. Ces actions sous-tendent un travail émotionnel important.

Le concept de travail émotionnel, forgé par Arlie Russell Hochschild (2003), « désigne l’acte par lequel on essaie de changer le degré ou la qualité d’une émotion ou d’un sentiment. « Effectuer un travail sur » une émotion ou un sentiment c’est (…) la même chose que « gérer » une émotion (…) » (Hochschild, 2003, p. 32). Comme elle l’indique, cette notion renvoie aux actes fréquents des personnes visant à façonner les émotions ou à inhiber les sentiments par des actes de gestion « de façon à les rendre « appropriés » à la situation » (p. 19). Hochschild (2003) précise que la notion de travail émotionnel désigne l’effort et non le résultat, ce qui n’est pas toujours couronné de succès.

Prendre soin de ses parents à distance

La prestation de soins à distance, connue sous le nom de soins transnationaux, désigne l’ensemble des pratiques de nature matérielle, émotionnelle et pratique (Boccagni, 2015) régies par des normes de réciprocité entre les générations (Baldassar & Merla, 2014). Dans cette perspective, le devoir filial est compris comme un ensemble d’attentes explicites et implicites de soutien, sous-tendu par de normes de solidarité en relation avec la responsabilité des enfants adultes de s’occuper de leurs parents âgés, comme leurs parents l’ont fait pour eux pendant l’enfance. Cette obligation filiale a été largement discutée comme un processus genré, dans lequel plus de pression et d’attentes sont placées sur les épaules des femmes, car elles ont tendance à être considérées comme des soignantes « naturelles » (Chan, 2017 ; Ho & Chiang, 2017).

Les appels téléphoniques (WhatsApp ou autre) constituent une pratique de soin transnationale de caractère émotionnel, dans lesquels les enfants migrants, en suivant la perspective du devoir filial, offrent des moments d’écoute à leurs parents et cherchent à leur apporter un soutien moral.

Téléphoner aux parents, un processus différencié selon le genre

Bien que les hommes consultés dans le cadre de cette étude soient impliqués, certains plus que d’autres, dans la prise en charge émotionnelle de leurs parents et notamment de leur mère, ce sont surtout les femmes interviewées qui s’investissent davantage. Alors que sept sur neuf appellent leur mère entre une et plusieurs fois par semaine, les appels plus espacés sont très rares. En revanche, les appels espacés ont tendance à être aussi fréquents que les appels moins espacés chez les hommes : deux sur cinq appellent une à plusieurs fois par semaine et trois sur cinq appellent tous les quinze jours ou une fois par mois (voir tableau 1). Soulignons que cette différence de genre s’exprime également dans la régularité des visites au pays d’origine. Là encore, ce sont les femmes interrogées qui rendent visite à leurs parents au Pérou plus souvent que la plupart des hommes.

carbajal tableau frequence appels parents enfants migrants 400Source: Élaboration propre sur la base d’informations empiriques collectées.Lors des appels téléphoniques, le contenu de la discussion semble également différer selon le genre. Fany, psychologue et responsable d’une structure sociale, témoigne non seulement d’attentes parentales différenciées entre elle et son frère, mais aussi des pratiques d’échange mère-fille et mère-fils variées. Selon elle, alors que les conversations agréables et quelque peu triviales seraient communes entre sa mère et son frère, les discussions sérieuses, où il est question d’expression de besoins et de demande de soutien, caractérisent les échanges entre elle et sa mère.

« Elle est beaucoup plus exigeante avec moi qu’avec mon frère [qui vit aussi en Suisse] (…) parce que je suis une femme (…) pour ma mère, je ne sais pas… c’est plus facile pour elle de me demander, et si elle appelle mon frère, c’est pour rire, parler de choses et d’autres, mais avec moi, il y a toujours une demande, n’importe quoi. Ça peut même être : "appelle-moi demain, parce que je suis malade", "je me sens mal", "j’ai besoin que tu me parles" » (Fany, 47 ans, résidant en Suisse depuis 31 ans).

Les demandes de soutien émotionnel peuvent être à la fois explicites et implicites. En cas de requête implicite, il s’agit, pour les femmes interviewées, de la décoder. Dans certains cas, les reproches et les plaintes d’abandon peuvent être communes. Luna, assistante maternelle et gérante d’un restaurant de plats à emporter, raconte :

« Je sais que mes frères et sœurs, qui vivent au Pérou, ne l’appellent pas toujours. Alors j’essaie, au moins, de l’appeler… presque tous les jours. (…) Elle, en tant que mère, en tant que femme, attend plus de ses filles que de ses fils (…) Ma mère (…) se victimise beaucoup… Alors, elle dit que si on ne l’appelle pas, c’est qu’on ne l’aime pas. L’autre jour, je n’ai pas appelé pendant trois jours, et elle m’envoie un message : "Ma fille, au cas où, je suis encore en vie" (…) "Ne m’oublie pas" [rires]. C’est aussi sa façon de faire pression (…) de manipuler dans une certaine mesure (…) C’est un fardeau (…), pas parce que ça coûte, pas parce qu’on doit lui envoyer de l’argent. C’est plutôt une charge émotionnelle. » (Luna, 56 ans, résidant en Suisse depuis 29 ans)

Ce type de reproche n’a pas été évoqué par les hommes. Les témoignages des femmes relèvent comment la communication fréquente avec leurs mères engendre des situations émotionnelles complexes. Comme Luna le dit, il s’agit d’un travail personnel de gestion de ses propres émotions pour essayer de répondre de manière adéquate aux attentes de sa mère. En même temps, la charge émotionnelle implique un travail constant d’anticipation des besoins de sa maman, aspect qui s’ajoute au quotidien de la vie en Suisse.   

Gérer la charge émotionnelle

Les récits montrent que les contacts fréquents avec les mères entraînent un travail important sur la gestion des émotions ; ces dernières peuvent être diverses et aller de l’amour et de l’affection à la colère et au ressentiment. Il s’agit de gérer et de travailler l’inquiétude, le stress, la culpabilité, c’est-à-dire d’« effectuer un travail sur » (Hochschild, 2003, p. 32) ces émotions, afin que, lors des conversations, les enfants adultes puissent être à la hauteur des attentes parentales et offrir à leur mère écoute, empathie, recherche de solutions ou encore conseils. Le témoignage de Fany illustre ce travail émotionnel :

J’ai appris à mieux contrôler mes émotions (…). Cela signifie que si, par exemple, des choses me causaient beaucoup de stress ou me faisaient me sentir mal, ou me causaient des problèmes, ce n’est plus le cas. (…) Maintenant, je le prends avec plus de philosophie, plus de calme… J’essaie de trouver des solutions plus rapidement… plutôt que de m’inquiéter. (…) Par exemple, avant, elle me disait : " Oh, je suis malade, j’ai mal ici, j’ai du diabète. J’ai…". Toutes les maladies du monde, alors, je m’inquiétais beaucoup, je ne dormais même pas… "Oh, il va lui arriver quelque chose, elle est loin", "Qu’est-ce qu’on va faire ? Comment je vais faire ? Comment je vais faire mon travail ? Comment je vais m’organiser" (…). (Fany, 47 ans, résidant en Suisse depuis 31 ans).

Comme l’illustre ce récit, travailler sur ses propres émotions, c’est être capable de les modeler et de se montrer vis-à-vis de sa mère comme quelqu’un capable de la rassurer, de la sécuriser, de ne pas augmenter ses peurs et de surmonter les obstacles. Ainsi, malgré l’inquiétude générée par l’état de santé physique ou émotionnel de sa mère, Fany parvient à se montrer patiente avec sa mère et l’apaiser. Plusieurs témoignages des filles interviewées soulignent cet aspect de rester calme face à leur mère pour leur apporter confiance et sécurité. Daniela dit :

« Quand je communique avec ma mère, je fais très attention à ne pas générer de stress ou de peur, à ce que les mots soient corrects car elle peut vite angoisser. » (Daniela, 52 ans, résidant en Suisse depuis 15 ans)

La stabilité, gage de réussite

Ce travail de gestion émotionnelle se révèle essentiel pour maintenir un équilibre entre ses obligations filiales et sa vie en Suisse. Comme le précise Fany, « poser des limites émotionnelles » lui permet de conserver un rythme de vie normal (dormir ou se concentrer sur son travail par exemple) sans se laisser submerger par les émotions. Cela dit, les femmes interviewées possèdent toutes une stabilité juridique et, dans la plupart de cas, également économique [3]. Savoir comment les personnes migrantes en situation de précarité gèrent la charge émotionnelle lié aux soins transnationaux de leurs parents nécessiterait une recherche complémentaire.

Nos résultats suggèrent que la stabilité professionnelle, juridique ou familiale offrent une certaine disponibilité mentale et une forme de prévoyance, ainsi que des ressources plus importantes pour effectuer le travail émotionnel. L’ensemble de ces éléments apparaît comme certainement bénéfique pour l’accompagnement émotionnel des mères. Si l’amour et sa distribution incombent aux femmes, avec la charge mentale et le travail émotionnel que cela implique, ce sont certainement les femmes plus aisées qui disposent de plus de ressources pour gérer la charge émotionnelle.

Références bibliographiques

[1] Pour des raisons de lisibilité, REISO adapte légèrement les citations orales lors de leur transcription écrite.

[2] Dans cet article, nous parlerons des mères, car ce sont principalement elles qui maintiennent le lien familial entre la fille et/ou le fils migrant et la famille non migrante.

[3] S'agissant d'une recherche exploratoire avec une période de collecte de données limitée, il n'a pas été possible d’interviewer des personnes avec des statuts juridiques précaires. Les entretiens ont été réalisés entre juin et juillet 2020 en face-à-face. Après la première vague de la pandémie de Covid-19 (février-mai 2020), la Suisse a assoupli les mesures de santé publique de juin à octobre 2020, permettant à nouveau les rencontres en présentiel. Il convient toutefois de noter que les caractéristiques des personnes interrogées reflètent le profil des migrant·e·s péruvien·ne·s arrivé·e·s en Suisse à la fin des années 1980 et au début des années 2000.

Comment citer cet article ?

Myrian Carbajal, «La présence émotionnelle repose sur les femmes», REISO, Revue d'information sociale, publié le 15 juin 2023, https://www.reiso.org/document/10881