La sortie du foyer commentée par les jeunes
Quitter le cadre d’un foyer et entrer dans le monde de l’adulte : ce cap est important. Des adolescents placés à Neuchâtel témoignent. Leurs réactions montrent quelles stratégies identitaires ils et elles mobilisent.
Par Maelle Ericson et Virginie Bach, travail de bachelor à la Haute école de travail social, Fribourg
Selon la Constitution fédérale, la Confédération et les cantons s’engagent à ce que, par les placements en foyer, « les enfants et les adolescents soient encouragés à devenir des personnes indépendantes et socialement responsables et soient soutenus dans leur intégration sociale, culturelle et politique »[1]. Or, la sortie du foyer peut être vécue comme une perte de repères, une situation insécurisante ainsi que contraignante par l’augmentation d’espace de liberté, d’autonomie et de responsabilité pour le jeune. Cette période de changement engendre la mise en place de stratégies identitaires, c’est-à-dire de procédures mises en œuvre par un acteur pour atteindre une ou des finalités[2].
Comment les jeunes adultes perçoivent-ils la fin de leur placement? A quels changements sont-ils confrontés? Quelle est leur représentation de l’autonomie? Quelles stratégies identitaires mettent-ils en place dans cette période de transition? Neuf jeunes adultes placés durant leur adolescence en foyer dans le canton de Neuchâtel et n’étant pas retournés dans leur famille, ont partagé leur vécu[3]. Afin de questionner la pratique professionnelle, le point de vue des premiers concernés a été étudié.
« Tu connais la reine des neiges, la chanson “libérée, délivrée” ? [Rires] Ben c’était ça. T’es libre, t’as plus personne qui te cassait les couilles en fait. »
« Ouais, tu crois que t’es libre, mais en fait tu as beaucoup trop de contraintes tout autour de toi tout le temps, tout le temps, tout le temps. »[4]
Apprendre à ne pas trop s’attacher
Malgré le sentiment de liberté ressenti par la majorité des jeunes adultes, différentes contraintes ont été présentes à la sortie du foyer. Ce passage n’est pas anodin, car il amène la personne à un statut social d’adulte, à un nouveau lieu de vie et à une certaine autonomie.
« Quand je suis parti du foyer, ben ça a été dur pour moi parce que je m’étais attaché en fait. Moi j’ai un gros problème avec l’attachement, c’est dû à mon parcours de vie. Souvent, quand je commence à m’attacher à quelqu’un, ben c’est là où je dois me séparer de la personne. C’est un peu dur. »
« T’es bien copain quand t’es en foyer. C’est un peu comme l’armée, en fait. Ça devient ta famille aussi. Pis en même temps, t’apprends ce que ça veut dire le détachement, parce que tu sais que tu vas plus forcément les revoir. Donc t’apprends à t’attacher sans t’attacher. »
« Pour moi, prendre un appartement, c’était vraiment déjà couper un lien avec le foyer, avec les éducs que j’aimais trop. [...] Et ils disaient : “Ouais, mais t’auras quand même un endroit pour dormir.” [...] C’était comme ma famille. Et les éducateurs étaient comme mes parents, tous. Alors c’était difficile de les laisser, de laisser ma chambre tout. Alors j’étais en dépression, j’ai perdu du poids [rires]. »
Les responsabilités auxquelles ces jeunes adultes sont confrontés les poussent à se débrouiller seuls et à développer de nouvelles compétences. Dans ce tournant, ils mettent à égalité l’autonomie au fait de compter sur soi-même.
« Je me dis que les seules solutions elles viennent de moi. Faut se battre pour avoir tout ce que tu veux. Tu vas être indépendant, tu vas aller habiter où tu veux, il y a personne qui va te dire où tu vas. Quand tu dépends de gens, ils te disent : “Tu restes là, ou tu vas là.” Parce que tu dépends d’eux. Mais quand tu dépends de toi, tu vas où t’as envie. »
« Pour un jeune qui part du centre et qui doit entrer dans la vie d’adulte, je dirais qu’il doit compter sur lui-même. Bon après, il peut aussi compter sur ses proches, mais je dirais qu’il doit vraiment compter sur lui-même. En fait, disons qu’on doit faire son chemin par soi-même. »
Faire preuve de volonté et d’individualisme
Effectivement, « se battre » est l’une des stratégies omniprésentes et centrales dans les propos des jeunes adultes au moment de la sortie du foyer. Comme le mentionne un jeune pour qui il faut « être vaillant », il décrit une réelle volonté de faire front à ces changements.
« C’est pas facile. Pour tout le monde c’est pas facile, c’est pas évident. Mais moi je dis qu’il faut juste vouloir. Ouais, si t’as pas de volonté, tu peux faire tout ce que tu veux, c’est rien. Tu vas pas réussir. C’est comme ça. »
D’où provient cette volonté de se gouverner soi-même ? Dans cette stratégie, nous entendons l’injonction de la société individualiste dans laquelle nous évoluons. Être sujet de soi-même est une attente implicite de notre société et les jeunes adultes interrogés ne semblent pas y échapper. Nous imaginons également qu’un sentiment d’avoir été dans une «place d’aidé» peut émaner de ce placement. Cette terminologie ne semble d’ailleurs pas anodine, puisqu’elle fait référence à une demande d’assistance de la part d’un tiers.
La sortie et l’intégration à une vie autonome offrent ainsi aux participants un certain pouvoir d’agir et la possibilité d’être actif dans leurs choix et dans leurs décisions. Dans leurs propos, nous relevons que certaines étapes vécues peuvent renforcer la conviction qu’il faut se battre seul et que chaque personne est livrée à elle-même. Un jeune adulte a évoqué le fait qu’il allait « se faire remplacer par quelqu’un d’autre » au moment de son départ du foyer. D’autres ont abordé les liens personnels et sociaux qui allaient être modifié par la sortie. Ces étapes ont peut-être conduit au développement de cette stratégie qui consiste à éviter un attachement trop fort et à compter sur soi-même pour pallier la peur d’être confronté à de nouvelles ruptures.
L’adaptation représente une autre stratégie mobilisée par les jeunes adultes. Les expressions « s’habituer » et « faire avec », utilisées de manière récurrente par les participants, démontrent une capacité d’acceptation et d’adaptation à la situation nouvelle qui survient à la sortie du foyer.
S’identifier à une personne de référence
Quelles que soient les étapes de la vie, l’individu chercherait à se reconnaître dans le temps. Dans ce sens, l’identité évoluerait sans pour autant se modifier. Cette quête de stabilité est mise en évidence par beaucoup de jeunes interrogés qui expriment ne pas avoir changé après le départ du foyer et l’installation dans un logement privé.
Malgré la faculté d’adaptation mise en évidence par les personnes interrogées, certains ont changé de fréquentations depuis lors, car elles ne leur apportaient pas ce qu’ils en attendaient. D’autres disent accorder peu d’importance aux regards des autres et s’affirment en privilégiant leurs projets personnels.
Certains participants semblent percevoir les éducateurs comme des personnes peu accessibles. Il leur semble difficile de s’identifier à eux parce qu’ils manqueraient de « vécu ». Des jeunes semblent avoir le besoin d’entretenir une relation avec les éducateurs qui irait au-delà de l’aspect professionnel ; c’est-à-dire une relation qui se jouerait, avant tout, entre deux personnes et qui relèverait davantage d’une réelle connaissance mutuelle. Dans un même sens, l’un des jeunes adultes interrogés a expliqué qu’il aurait eu besoin de pouvoir s’identifier à une personne, aspect important de la construction identitaire.
« Il faudrait peut-être plus de gens moins diplômés dans l’éducation, mais plus de gens avec de l’expérience de vie en fait. Sans être méchant avec vous [les travailleurs sociaux], vous avez beaucoup de théorie […] Je pense qu’un mec qui est plus dans la vie banale, avec une expérience à lui, peut aussi apporter du soutien moral à un jeune adolescent. Peut-être plus que quelqu’un qui, moi je dis, est de la belle jeunesse et qui a grandi bien et tout… Je dis pas que vous avez rien vécu. Mais les ados, ils aimeraient bien être comme certains éducateurs et il y a souvent de la jalousie envers eux. Eux, ils ont leur diplôme et tu te dis : “Mais moi aussi je veux.” »
Mieux se défendre dans le monde
En tenant compte de ces divers témoignages, comment atténuer le décalage entre le cadre du foyer et la liberté individuelle à la sortie ?
Les rencontres avec les jeunes adultes mettent en évidence un aspect important sur ce qui se passe avant la sortie. Ainsi, ouvrir un espace d’expérimentation en foyer apparaît comme une attitude positive, car elle offre aux jeunes la possibilité d’exercer une certaine autonomie dans ses relations et ses décisions.
« Y’a une période où de toute façon tu pars dans l’extrême. Moi de mes 18 ans à mes 19 ans, je me suis fait peur tout seul. Tu pars de toute façon dans l’extrême, que ce soit la beuh, l’alcool, tout ça. Parce qu’en fait, on t’a pas permis de faire ces expériences avant. […] Je les avais les responsabilités, mais je les prenais pas forcément. J’étais encore très ado parce que dans le foyer, on reste très ado, on te maternise une chiée. Ils nous voient comme des gens avec beaucoup de difficultés et qu’il faut beaucoup nous aider. »
Voler de ses propres ailes après un placement institutionnel ? Oui, mais alors comment ?
« Savoir mieux se défendre dans le monde. Je pense. Faudrait vraiment, à défaut de faire des petits cours de Krav Maga, que dans le cerveau on soit un peu plus fort. »
[1] Constitution fédérale, art.41 al.1 g, 2012, Berne, Chancellerie fédérale, en ligne
[2] Lipiansky, E.-M., Taboada-Leonetti, I., & Vasquez, A. (2013). Introduction à la problématique de l’identité. Dans P. Fraisse (dir.), Stratégies identitaires (p.7-26) (4ème éd.). Paris, France : Presses Universitaires de France.
[3] « Du foyer au monde de l’adulte : les stratégies identitaires mobilisées par les jeunes », Bach Virginie, & Ericson Maelle, Jordan Marine, février 2017, 87 pages.
[4] REISO adapte légèrement les citations orales pour leur lisibilité en version écrite