L’approche communautaire avec les migrants
Quelles sont les spécificités d’une approche communautaire pour le travail social avec les personnes migrantes précaires ? Quels sont ses avantages et ses limites ? Eclairages sur la base de l’expérience de permanences volantes à Genève.
Par Gaëlle Martinez, Projet Permanences volantes, EPER Genève, Théogène-Octave Gakuba, HETS Genève, Jérôme Mabillard, HETS Genève
Le projet dénommé «Permanences volantes» (PV) a été mis en place en 2003 à Genève par l’Entraide protestante suisse. Il vise le soutien social, la défense des droits et la promotion de la santé des personnes migrantes en situation précaire. Il s’est initialement adressé à des migrants venant d’Amérique latine et d’Amérique centrale, puis d’Europe (Espagne, Portugal) et de Mongolie.
L’évaluation de ce projet [1] a notamment mis en évidence les caractéristiques de l’intervention au niveau de communautés structurées. Cet article discute d’abord des fondements théoriques du modèle communautaire en travail social avant d’aborder la spécificité de cette approche pour le travail social avec les migrants puis d’analyser ses avantages et ses limites.
Quelques repères théoriques
L’approche communautaire a notamment été développée dans le travail social au Québec. Plusieurs définitions de l’approche communautaire dans la littérature québécoise se basent sur les documents publiés par la Fédération provinciale des centres locaux de services communautaires. Selon Poupart et al., « l’approche communautaire c’est se soucier de la communauté, lors de la distribution de services et lors de l’intervention visant à produire un changement social » [2]. Les auteurs définissent la communauté comme « ce qui est commun aux membres d’une collectivité particulière, elle repose sur des solidarités ou soudures sociales. Ces solidarités ont deux sources : les valeurs et les intérêts. Ce sont les deux manières pour un être humain de tisser son appartenance à une communauté » [3]. Cette vision de la communauté amène Drolet à définir l’approche communautaire comme « une mobilisation de valeurs et comme une utilisation des liens d’intérêt et ce, aux trois niveaux de réseaux présents dans la communauté : la famille/le voisinage, les groupes sociaux et l’Etat, qui correspondent aux trois types d’interactions sociales de l’individu » [4].
Les trois niveaux mentionnés par Drolet peuvent interagir dans le cas des communautés bien organisées, structurées et reconnues par l’Etat et où la famille est très présente. Cependant, dans les situations de migration, la famille est souvent séparée et les personnes migrantes se trouvent parfois en situation d’exclusion de la société d’accueil.
L’approche communautaire s’inscrit dans l’un des modèles de travail social en lien avec les populations migrantes développés par Bolzman. Il s’agit du modèle communautaire « qui part de l’idée qu’un certain nombre de problématiques rencontrées par les migrants trouvent leur source dans des trajectoires de vie semblables, liées au fait qu’ils sont issus d’une même société ou d’une même culture, qu’ils occupent une même position au sein de leur famille du fait de leur genre […] ou qu’ils ont vécu des traumatismes semblables» [5]. Dans ce modèle, le travailleur social a une position de médiateur, au sens où son rôle est d’une part de faciliter l’établissement des liens entre des personnes migrantes avec des parcours semblables et, d’autre part, entre ces personnes et la société d’accueil.
Quels types d’accompagnement?
Les Permanences volantes offrent trois types de service :
1. L’information. Les personnes migrantes, en particulier celles sans statut légal ou récemment arrivées, ont une connaissance souvent lacunaire des institutions présentes sur le canton et leur fonctionnement. Il est donc important de créer des espaces d’informations et de discussions adaptés. Les professionnels se déplacent ainsi dans les communautés pour présenter les institutions du réseau sous forme de séances d’information, en associant généralement des représentants de ces institutions.
2. L’écoute. Les Permanences reçoivent également les bénéficiaires en entretien individuel, pour apporter information et au besoin les orienter vers des partenaires du réseau socio-sanitaire genevois.
3. Les actions communautaires. Les personnes migrantes vivant dans une situation de grande précarité sont souvent isolées, sans possibilité d’activer leurs ressources. Le projet propose des activités collectives (sous forme d’ateliers artistiques, d’activités sportives, de projets culturels ou de formations) permettant de rompre l’isolement, de valoriser les ressources des bénéficiaires, favorisant ainsi leur l’intégration et la mixité sociale.
Les communautés ciblées se définissent sur la base de certaines caractéristiques partagées comme la langue, la religion, le statut de séjour ou des référentiels culturels communs. Les communautés peuvent également s’organiser autour d’un lieu. L’action des permanences volantes en tient compte à plusieurs niveaux. Les lieux d’intervention sont soigneusement choisis. Des séances d’information sont ainsi organisées dans des ambassades, capitalisant sur les relations qu’elles ont forcément avec leurs ressortissants.
Une action sur les lieux de vie
Les professionnels se déplacent également régulièrement dans les « lieux de vie » afin d’atteindre les personnes migrantes concernées grâce à un travail de lien et de médiation. On peut citer en premier lieu les églises et communautés religieuses fréquentées par les migrants originaires de pays d’Amérique latine. En effet, la dimension religieuse est importante du point de vue social pour cette population : ils sont nombreux à s’investir dans les groupes religieux ou églises, qui constituent un ancrage social fort, notamment pour construire leur réseau suite à leur arrivée. D’autres lieux de vie sont également privilégiés, comme les lieux d’accueil, de formation et de soutien.
La notion de communautés transcende le partage d’une même origine ou d’une langue. Les activités culturelles ou sportives proposées par les actions communautaires visent à mobiliser les personnes au-delà des communautés. Elles partagent ainsi un objectif commun qui crée des liens de solidarité.
Dans l’approche communautaire, la médiation interculturelle est utilisée comme moyen de toucher les publics les plus vulnérables à travers la transmission d’informations exactes. Elle permet d’améliorer la compréhension des informations données et oriente les bénéficiaires vers les institutions adéquates du réseau socio-sanitaire. Ce travail de médiation interculturelle exige des professionnels des compétences linguistiques, relationnelles et interculturelles. L’utilisation de la langue d’origine des migrants est privilégiée. « Il faut dire que les migrants sont aussi bloqués pour s’exprimer par exemple. Ce n’est pas seulement la langue mais aussi la compréhension de la complexité de la situation et les représentations des personnes avec qui ils ont à faire. Ils ne sont pas vraiment à l’aise devant un médecin ou un professeur. C’est très compliqué. Par exemple si vous dites CAMSCO [6], la personne ne va pas comprendre, les migrants disent Hugo ou l’hôpital des sans-papiers » (un professionnel des PV).
La médiation ne se limite pas aux bénéficiaires, elle s’adresse aussi aux partenaires des permanences, afin de mieux leur faire connaitre les spécificités des populations migrantes, voire d’établir un lien pour une situation spécifique.
La difficulté de définir le groupe
L’approche communautaire est appréciée par les partenaires du réseau socio-sanitaire genevois. Ces derniers estiment que, par cette approche, les Permancences volantes ont une très bonne connaissance de la réalité des situations des populations migrantes, ce qui contribue à créer un lien de confiance avec elles. En se déplaçant sur les terrains où les migrant·e·s vivent et se rencontrent, ils peuvent toucher des personnes qui ne prennent pas l’initiative de s’adresser à des structures ou des associations.
Les professionnels soulignent cependant la difficulté de définir un groupe communautaire. Il n’est pas toujours facile de cerner précisément les membres de la communauté avec laquelle ils doivent travailler, leurs caractéristiques, leurs intérêts, les différences entre les membres, leur sentiment d’appartenance… Même si certaines activités sont élaborées par rapport à un lieu ou une communauté spécifique, le modèle communautaire proposé reste cependant ouvert. Le fait que les membres de cette communauté entrent en contact avec les autres personnes migrantes et même les autochtones lors de différentes activités proposées donne aux PV une dimension interculturelle.
[1] Gakuba. Th.O et Mabillard, J., (2017), Evaluation du projet Permanences Volantes (EPER) pour la période 2013-2016 (rapport final). Genève. Haute Ecole de Travail Social de Genève, en ligne
[2] Poupart, R., Simard J.-J. & Ouellet, J.-P. (1986). La création d'une culture organisationnelle : le cas des CLSC. Montréal : Université du Québec à Montréal, Centre de recherche en gestion, p. 3
[3] Poupart, R., Simard J.-J. & Ouellet, J.-P. (1986). La création d'une culture organisationnelle : le cas des CLSC. Montréal : Université du Québec à Montréal, Centre de recherche en gestion, p. 64
[4] Drolet, M. (1986). L’approche communautaire: un moment pour réfléchir sur l’orientation du service social. Service social, 35(3), p. 419
[5] Bolzman, C. (2009). Modèles de travail social en lien avec les populations migrantes : enjeux et défis pour les pratiques professionnelles. Pensée plurielle, 21, p.46
[6] Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires.
Cet article appartient au dossier Inclure les étrangers
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Gaëlle Martinez, Théogène-Octave Gakuba et Jérôme Mabillard, «L’approche communautaire avec les migrants», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 6 novembre 2017, https://www.reiso.org/document/2332